Obésité : maladie ou dérive individuelle ? Pourquoi l’efficacité des opérations chirurgicales bouscule la médecine (et la vie des "gros")<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
Les personnes obèses se voient très souvent se faire faire la morale par leur entourage proche, et même de temps en temps pas si proche que ça.
Les personnes obèses se voient très souvent se faire faire la morale par leur entourage proche, et même de temps en temps pas si proche que ça.
©Cinémax

Les préjugés passés au scalpel

Elles ont beau suivre leur régime à la lettre et faire du sport, certaines personnes souffrant d'obésité ne peuvent pas maigrir, faisant face à une véritable pathologie, encore trop souvent non reconnue comme telle. Une réalité que met en lumière les recours de plus en plus nombreux à la chirurgie bariatrique.

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste. Il est membre du Think Tank ObésitéSIl a dernièrement écrit Le S.A.V. des régimes aux éditions Marabout.

Voir la bio »
  • En France, les personnes obèses sont encore très stigmatisées.
  • Les opérations chirurgicales destinées à lutter contre l'obésité ont triplé en 8 ans.
  • L'augmentation du recours à la chirurgie "décomplexe" les personnes obèses, car cela prouve qu'elles souffrent bien d'une véritable maladie, contre laquelle la seule volonté ne suffit pas.

Atlantico : La journaliste Rivka Galchen affirme dans le New Yorker (voir ici) que la multiplication des opérations chirurgicales pour vaincre les obésités amène de plus en plus d'Américains à considérer le surpoids morbide comme une véritable maladie, exemptant ainsi les patients des jugements moraux portés sur leur incapacité à maigrir. Constatez-vous également une augmentation des opérations chirurgicales pour vaincre l'obésité en France ? Si oui, êtes-vous d'accord avec l'analyse de la journaliste Rivka Galchen ?

Arnaud Cocaul :Comme aux Etats-Unis, les opérations chirurgicales destinées à lutter contre l'obésité se multiplient à vitesse grand V en France (Gastroplastie, Sleeve gastrectomie, Bypass gastrique et Mini Bypass Gastrique). Selon le dernier rapport de l'Académie nationale de la chirurgie (voir ici), le nombre d’interventions a triplé en huit ans, avec une augmentation majeure des Sleeve Gastrectomies.

Et, toujours comme aux Etats-Unis, je pense que l'augmentation du recours à la chirurgie "décomplexe" en quelque sorte les personnes obèses, car cela prouve qu'elles souffrent bien d'une véritable maladie, contre laquelle la seule volonté ne suffit pas. 

C'est une bonne chose, car l'obésité est bel et bien une pathologie. On ne parle d'ailleurs pas entre médecins de "l'obésité" mais "des obésités", comme on peut parler du diabète type 1 ou du diabète type 2. 

L'obésité est-elle encore stigmatisée en France ? Si oui, de quelle manière ?

En France, les obèses sont encore très stigmatisés, même si l'augmentation du recours à la chirurgie est peu à peu en train de faire changer l'opinion publique.

Par la population, d'abord, qui juge généralement qu'une personne obèse est en surpoids morbide uniquement par manque de volonté. On considère, surtout lorsqu'il s'agit d'une femme, que le surpoids est dû à l'incapacité à se tenir à un régime alimentaire sain et à la pratique d'une activité sportive régulière. 

Par les politiques, ensuite. Le dernier plan de lutte contre l'obésité présenté par la ministre de la Santé Marisol Touraine, avec son fameux "logo nutrition", laisse entendre que la prise en charge des personnes obèses coûte les yeux de la tête à la Sécurité sociale, donc indirectement au contribuable. 

Ainsi, les personnes obèses se voient très souvent se faire faire la morale par leur entourage proche, et même de temps en temps pas si proche que ça. 

Comment les obèses français vivent-ils leur surpoids selon vous ? Quelle est la nature des témoignages que vous entendez au cours de votre pratique de tous les jours ? 

Après tout ce que je viens de vous expliquer, il est évident que la grande majorité des personnes obèses vivent très mal leur maladie, car elles intègrent inconsciemment tous les jugements négatifs de la société et des politiques à leur égard. Beaucoup de mes patients souffrent d'avoir une image d'eux-mêmes très négative, systématiquement liée à l'échec, et manquent cruellement de confiance en eux. 

La chirurgie est-elle la meilleure solution pour lutter contre l'obésité ? Comment expliquer les multiples récits de personnes obèses témoignant de l'échec chronique du combo "régime/sport" ?

Déjà, l'idée que le sport fait maigrir est fausse, même si elle a la vie dure. Au mieux, le sport aide à stabiliser son poids, mais en aucun cas à faire diminuer les kilos qui s'affichent sur la balance. Beaucoup de personnes obèses qui se jettent à corps perdu dans une activité physique sont donc souvent très déçues du résultat et abandonnent.

Ensuite, le problème des régimes est qu'ils sont tous trop compliqués à respecter à la lettre, exigeant une force mentale hors du commun, sans compter que la plupart de ces diètes ne sont pas pensées pour durer sur le long terme mais pour faire perdre du poids le plus rapidement possible ; dès que la personne arrête de suivre son régime, elle retrouve son poids d'origine, voire plus. 

Cette multiplication des opérations chirurgicales pour vaincre l'obésité comprend-elle des risques ? Y a-t-il des patients obèses pour lesquels la chirurgie n'est pas recommandée ?

Pour qu'une opération chirurgicale arrive à guérir une personne de son obésité, il faut qu'elle soit accompagnée d'un suivi psychologique, nutritionnel et médical, au moins six mois en amont et en aval de l'intervention. Si ce suivi n'est pas fait, ce qui arrive malheureusement encore assez souvent, les risques liés à une telle opération chirurgicale se multiplient : dépression, pulsion suicidaire, graves carences alimentaires, blessures physiques...

Globalement, on recommande les opérations chirurgicales quand l'obésité menace la vie du patient, que l'on est sûr du sérieux de son suivi médical, qu'il n'a pas d'autres pathologies plus graves (un cancer, par exemple), et enfin quand toutes les autres méthodes pour essayer de maigrir ont échoué. Certaines personnes obèses, même avec la meilleure volonté du monde, n'arrivent pas à maigrir, car les causes de l'obésité sont multiples : elles peuvent être génétiques, provenir de l'alimentation de la mère pendant sa grossesse, dépendre de l'environnement, etc.

Une opération chirurgicale pour vaincre l'obésité prémunit-elle définitivement des risques de reprises de poids ?

Non, on peut revenir à son poids initial si le mental ou le corps flanche suite à l'intervention. Mais il faut pour cela refaire une opération qui enlève le dispositif médical installé dans le corps du patient.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Et maintenant, l'obésité reconnue comme un handicap : la très lourde erreur de la Cour européenne de justicePourquoi les régimes et le sport ne suffiront pas à lutter efficacement contre l’obésitéExplosion de l'obésité en Chine : ce qu'elle nous apprend sur la société française et ses modes de consommation

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !