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“Si nous continuons comme ça, nous allons vers la guerre civile” : oui, mais “comme ça” comment… et laquelle de guerre civile ?
©REUTERS/Stephane Mahe

Le pire de tous les maux

Alain Juppé a déclaré dans un entretien paru dans le Monde du 23 septembre qu'il fallait craindre une guerre civile. Et ce du fait du climat hostile que certains candidats encourageraient aujourd'hui... On peut cependant se demander si ce n'est pas l'irénisme de certains politiciens qui fait gronder le peuple de nos jours.

Thierry Get

Thierry Get

Thierry Get est ingénieur. Il est membre du bureau politique de La Droite libre et du CNIP. Son groupe sur Facebook ici

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : "Il faut absolument apaiser le climat qui règne aujourd’hui en France" a déclaré dans un entretien au Monde Alain Juppé, mettant en garde contre la possibilité d'une "guerre civile". L'ancien Premier ministre suggère ainsi que c'est l' "hystérie" que provoque le débat sur l'Islam qui est dangereuse et qui crée l'insécurité actuelle, et donc que c'est la majorité qui fait la guerre contre la minorité aujourd'hui. Le candidat à la primaire de la droite et du centre fait-il le bon constate selon vous ? Ce risque doit-il être appréhendé dans le sens majorité contre minorité ?

Jean PetauxTrois mots me semblent pouvoir être cités pour commenter l’entretien que l’ancien Premier ministre a accordé au journal "Le Monde" : hauteur ; courage ; risque. Toute personne qui utilise son cerveau pour réfléchir et non pas un autre de ses organes peut, dans sa quasi-intégralité du contenu, signer ce texte et faire sien les propos tenu. A fortiori tout intellectuel dont la mission et les capacités d’analyse et de synthèse sont entretenues et en bonne état de marche ne peut qu’adhérer aux réponses d’Alain Juppé. Seuls quelques cas isolés, prisonniers de leurs fantasmes et de leurs obsessions peuvent, ici, ne pas se retrouver dans ce que dit le maire de Bordeaux.

De quoi s’agit-il ? Alain Juppé pointe un phénomène qui enfle depuis des années : l’hystérie du débat politique autour d’une obsession monothématique : l’Islam. Pour sa part, comme il le dit dans son entretien : "Moi, je préfère parler aux jeunes Français de la transformation numérique du monde ou des nouveaux modes de développement économique qu’il faut inventer pour lutter contre le réchauffement climatique, dont nous sommes responsables". On aura remarqué la claque, au passage, au "climatologue" Sarkozy. Alain Juppé se situe délibérément dans "l’après-primaire". Tout son discours est d’ailleurs plus qu’un discours de candidat présidentiel, c’est celui d’un candidat élu président, tant il est vrai que s’il l’emporte au soir du second tour des primaires de la droite et du centre (ce qui est loin d’être fait…) on voit mal ce qui pourrait l’empêcher d’être élu président. Donc en sa qualité de "futur président" il fait ce que tout président de la République se doit de faire : apaiser le pays, ne pas dresser une partie de la société française contre une autre et surtout ne pas souffler sur des braises incandescentes. Le ton qu’emploie Alain Juppé est grave. On peut tout lui reprocher mais on conviendra aussi que c’est quelqu’un qui ne fait ni dans l’emphase ni dans la grandiloquence. Ses seuls emportements sont à l’égard de quelques adversaires politiques bordelais (jamais nationaux) et de certains journalistes où il est alors capable de dire à peu près n’importe quoi dès lors qu’il est en colère. Mais là il ne s’agit pas de colère, ou alors elle est froide. L’exaspération que lui inspire le "Sarkozy-en-campagne" (de primaires) ressort autrement dans son interview au "Monde". Il s’agit ici d’une vraie mise en garde et d’une dramatisation qui n’est ni une posture ni une clause de style. Ce que dit Juppé c’est tout simplement "Halte au feu !" et il a parfaitement raison d’avoir le courage de le faire. Mais, ce faisant, son appel devient du même coup très risqué pour lui dans le contexte d’une élection primaire qui ne relève pas du tout des mêmes répertoires rhétoriques et des mêmes registres politiques qu’une élection présidentielle au suffrage universel.

Il y a bien une hystérisation du débat politique. Elle n’est d’ailleurs pas portée actuellement par le Front national, même si celui-ci en est le principal responsable et celui qui en fut le géniteur. Cette hystérie propre au vocabulaire politique actuel est provoquée par la primaire à droite, véritable machine à produire de la haine. Elle est voulue par Nicolas Sarkozy qui a tout intérêt à polariser le débat autour de l’islam parce que ce débat-là est clivant, mobilisateur, émotionnel et, littéralement, "réactionnaire". Autrement dit désigner l’islam comme l’ennemi potentiel, sans nuance, mélangeant tout, comme jadis le communisme était irréductiblement et irrémédiablement l’ennemi espéré et utile pour la droite, le centre et même les socialistes (à la grande époque de la SFIO), c’est provoquer une "action-réaction" qui est censée mobiliser derrière Nicolas Sarkozy tous les inquiets de la société française, pétrifiés à l’idée de voir les "Mahométans" surgir de partout avec leurs barbes et leurs couteaux. On s’étonne d’ailleurs qu’après les Gaulois convoqués au "tribunal des primaires", l’ancien président de la République n’ait pas encore ressorti de la naphtaline et du placard ce vieux terme de "Mahométans" nettement plus stigmatisant (donc efficace) que le terme "Musulmans", désormais banalisé.

Alain Juppé parle aux cerveaux, Nicolas Sarkozy aux tripes. L’ennui c’est que l’électorat a souvent plus de gros colon que de cervelle. C’est en ce sens qu’Alain Juppé prend un risque pour les primaires.

Thierry Get La vision d’Alain Juppé par le "petit bout de la lorgnette" est à la fois limitée et culpabilisante car les attaques ou guerres de/avec l’islamisme contre les autres civilisations ne datent pas de hier, plus exactement elles ont duré 14 siècles (islamisation de territoires chrétiens : Egypte, Syrie, Magreb, Turquie etc..).  Seule la domination de l’Occident pendant 3 siècles a calmé les velléités islamistes ; encore que pendant la guerre du Soudan de la fin du XIXième siècle Churchill écrivait sur ce conflit séculaire : "Si la chrétienté n’était protégée par les bras puissants de la Science, la civilisation de l’Europe moderne pourrait tomber, comme tomba celle de la Rome antique" ; The River War: An Historical Account Of The Reconquest Of The Soudan, Winston Churchill.

Le conflit est donc mondial : actuellement en Afrique sur la ligne de partage entre civilisations (Soudan, Nigéria, Mali..), en Asie (Philippines, Birmanie, Thailande, Inde/Pakistan), un peu en Europe et sur les frontières de la Russie et ailleurs …

Et le débat actuel franco-français ne changera pas grand chose face à cette tendance lourde car il y a avec l’islamisme un conflit mondial et historique.

Tenter de faire porter la responsabilité des attaques passées et futures aux français sous prétextes divers est donc erroné et procède de l’esprit de culpabilisation. Comme l'expliquait Sun Tzu, fameux général chinois du VIᵉ siècle av. J.-C, pour gagner une guerre de subversion, c'est à dire prendre un pays sans tirer un seul coup de feu, une des techniques est de faire en sorte que le pays qui est votre cible se sente coupable, coupable de tout, coupable de son histoire, coupable de son présent, coupable pour ce qu'il a fait et surtout coupable pour ce qu'il n'a pas fait.

La montée de l'insécurité suscite plutôt une résilience étonnante de la part des Français aujourd'hui : émeutes de banlieue récentes, villes bloquées, les attentats... et pourtant aucune réaction autre que citoyenne (intentions de vote plus "sécuritaires") ou légaliste (appel à la violence légitime de l'Etat). Doit-on pour autant considérer que cette retenue risque d'atteindre prochainement ses limites ? En quoi est-ce qu'on est loin de la vision d'Alain Juppé pour qui c'est la France qui veut "interdire les prénoms qui n’ont pas une consonance gauloise" qui envenime le débat ?

Jean Petaux : On voit bien, après chaque attentat, que la corde (au sens de "cordée" comme pour les alpinistes) qui tient les Français entre eux est de plus en plus tendue et, craint-on, prête à craquer. Et pourtant ce qui fait société demeure plus fort que ce qui pourrait la défaire. Mais tous les responsables politiques vous diront, en "off", en "privé" (même les plus énervés en apparence en ce moment…) qu’ils sont inquiets et qu’ils craignent énormément, après un nouvel attentat d’envergure, des contre-réactions violentes qui répondraient à la violence isolée (les actes terroristes) par une contre-violence massive et coordonnée dont les victimes seraient les "Musulmans"… Avec toute l’imprécision de ce terme. Alain Juppé met en garde comme une "laïcité extrémiste" qui ferait que l’on devrait éliminer tous les calvaires aux carrefours si on voulait faire en sorte que l’espace public soit laïc. Et là encore il a raison. On voit bien le caractère totalement inepte des propositions des tenants d’une éradication des traces de toute religion dans l’espace public… Un État, jadis, a voulu faire cela : l’Albanie d’Enver Hodja. On sait ce qu’il en advint. La France est une république laïque (c’est écrit dans la Constitution) mais la société française et l’espace public français ne sont en rien laïc. Ou alors les religieuses qui marchent dans la rue doivent être toutes interpellées ; Mathieu Ricard doit quitter illico sa toge safran de moine bouddhiste et tous les Juifs religieux doivent enlever leur kippa sur le champ. Ce que dit Alain Juppé est tout simplement du bon sens. C’est ce qu’il appelle, profondément marqué et influencé par son année (forcée) au Canada : "les accommodements raisonnables". Cela veut dire qu’il doit y avoir moyen entre hommes et femmes de bonne volonté de trouver les moyens de "vivre ensemble" sans se crêper le chignon en permanence et sans considérer systématiquement que l’autre est un ennemi irréductible. Face à cela il est vrai, Nicolas Sarkozy (qui est le seul à vraiment faire campagne directement contre Alain Juppé) fait peu de cas de ces "accommodements raisonnables". Lui, il pencherait plutôt pour des "arraisonnements pas commodes".

Thierry Get Tant que les français vivront bien ou pas trop mal, il est probable qu’ils ne s’engagent pas dans une guerre civile, ils auraient beaucoup à perdre à leur "confort", leur vie de famille… Et les islamistes ne  seraient pas encore assez nombreux pour engager le conflit (15 000 radicalisés selon M. Valls auxquels il faut ajouter les 5000 djihadistes partis en Syrie).

Mais il est vrai toutefois que les Corses ont réagi récemment de manière plus vive à certains événements récents.

Par ailleurs, dans l’entretien au Monde, à plusieurs reprises, Alain Juppé procède par amalgame et confusion :

  • A ceux de son camp qui considèrent que "la religion musulmane est par essence incompatible avec la République", il répond dans l’interview au Monde "un musulman n’est pas un terroriste".

Mais là n’est pas la problème, l’islam est un système global : politique, juridique et religieux au-dessus des gouvernements. Il impose aux musulmans de respecter en particulier la charia.  A titre d’exemple un musulman ne peut changer de religion sous peine (théorique) de mort. Il en est de même pour l‘homosexualité sévèrement réprimée. La question de sa compatibilité avec la république se pose donc.

  • A la question des prénoms à autoriser ou non en France, Juppé répond  "Aux Invalides, lundi, ont été cités les prénoms des victimes des attentats : j’ai aussi entendu des 'Myriam', 'Fatima', 'Mohamed'…" Quel est le rapport avec la question posée ?

Plus généralement, Alain Juppé ne semble pas vouloir connaître la réalité de l’islam. Il écrivait notamment "Rien dans l’islam ne justifie l'inégalité entre les hommes et les femmes" (sic- la sourate du coran IV.38 dans lequel Allah affirme "Les hommes sont supérieurs aux femmes"). Et pourtant, comme le relevait Michel Onfray, Alain Juppe a déclaré "l'islam est une religion d'amour". Lorsque Onfray lui demanda le 23 mars 2015 sur Canal Plus "Avez vous lu le Coran ?" Juppé répondit "heu non"

Pourquoi est-ce que cette question de "guerre civile" est-elle si souvent présentée ces derniers temps? Est-elle dans toutes les têtes aujourd'hui ?

Jérôme Fourquet : En réalité, le spectre de la guerre civile sur une base d’affrontements communautaires plane depuis un moment sur la société française et hante les esprits de toute une partie de la population. Un tel scénario sert par exemple de toile de fond au roman de Michel Houellebecq, Soumission, dont la parution coïncida avec les attentats de janvier 2015. Comme le relève Jérôme Sainte-Marie dans son livre Le Nouvel ordre démocratique, on retrouve également cette image d’une France balkanisée en proie à des violences entre milices d’extrême-droite et groupes armés islamistes dans le roman d’Olivier Rolin, Les événements. Si Olivier Rolin est classé à gauche, la thématique de la guerre civile communautaire revient également fréquemment chez des auteurs de droite comme Eric Zemmour ou Ivan Rioufol. Ce dernier avait par exemple intitulé un billet posté sur son blog en date du 7 janvier 2015 (après l’attentat de Charlie Hebdo) : "Une guerre civile menace la France", texte dans lequel il précisait : "La France est en guerre. En guerre civile peut-être demain. Son ennemi est l’islam radical".

A la suite de ces attentats, la représentation d’une communautarisation accentuée de certains quartiers ou villes comme stade préalable et annonciateur d’un basculement vers le terrorisme ou la guerre civile fut abondamment utilisée par toute une série de responsables politiques de la "droite dure". Jean-Paul Fournier, le maire Les Républicains de Nîmes, ville dont Lunel n’est pas très éloignée, évoqua au lendemain des attentats du 13 novembre "une guerre civile en France". Même tonalité chez Lionnel Luca, député Les Républicains des Alpes-Maritimes : "Ce soir Paris, c’est Beyrouth ! Logique pour un pays en voie de libanisation. Nous paierons cher notre lâcheté face au communautarisme !". Philippe de Villiers, quant à lui, imputait cet "immense drame de Paris au laxisme et à la "mosquéisation" de la France". Cette grille de lecture n’était pas l’apanage de certains responsables politiques, de nombreux Français la partageaient. Ainsi par exemple, si Lionnel Luca faisait référence au cas libanais pour pointer les risques d’un conflit confessionnel dans une société devenue communautarisée, un agriculteur à la retraite vivant à Amfreville, petit village de l’Eure, interrogé en décembre 2015, dans le cadre d’un article du Figaro, mobilisait une autre référence historique toute aussi parlante "Un jour, ça finira en France comme en Yougoslavie avec une guerre civile entre musulmans et chrétiens. On ne peut pas s’entendre."

Quelques semaines plus tard, survenaient les violences dans le quartier sensible des Jardins de l’Empereur à Ajaccio au cours desquelles plusieurs centaines d’habitants des autres quartiers de la ville monteront manifester plusieurs jours de suite vers cette cité située sur les hauteurs de la ville dans lequel des pompiers avaient été victimes d’un guet-apens. Cette "mobilisation citoyenne" se transformera rapidement en une manifestation violente au cours de laquelle des voitures et un restaurant kebab seront endommagés. Une partie des émeutiers saccagera également une salle de prière musulmane et y brûlera des livres. La motivation de cette partie des manifestants n’était donc pas seulement de mettre la main sur les agresseurs des pompiers mais d’en découdre avec un ennemi, le "musulman", en attaquant son lieu de culte et cela dans le contexte post-13 novembre. Or selon une enquête de l’Ifop pour le site Atlantico, réalisée à la suite de ces événements marquants, pas moins de 87% des personnes interrogées estimaient que ce genre de manifestations violentes ou d’expéditions punitives pourraient très bien se reproduire ailleurs en France… Ce chiffre massif démontre que le diagnostic d’une multiplication des affrontements communautaires partout en France était très largement partagé à la fin de l’année 2015 et que ces événements ne furent pas principalement considérés comme l’expression radicalisée d’un nationalisme corse qui s’était imposé dans les urnes deux semaines plus tôt.  

Plus près de nous, d’autres indices témoignent de la prégnance de ce type de représentations. Ce sont par exemple, ces propos recueillis par Florence Aubenas dans les Yvelines au lendemain du meurtre du couple de policiers  par un jeune Maghrébin ayant fait allégeance à Daesh : "la guerre est dans les têtes" selon un conseiller en médiation à Mantes-la-Jolie, à quoi répond en écho "on va vers une guerre civile" prononcée par une femme, croisée devant une école de Magnanville, commune où a eu lieu l’attaque. Quelques jours avant ce meurtre, amenés par les enquêteurs de l’Ifop à imaginer l’avenir du pays, un groupe d’électeurs marseillais tentés par le FN évoque "un scénario à la Houellebecq avec des partis musulmans radicaux au pouvoir, une guerre civile, qui serait certes un scénario catastrophe mais hélas assez plausible". Les sondages quantitatifs démontrent que la perspective d’affrontements communautaires et d’actes de représailles est partagée bien au-delà des seuls rangs frontistes.

Ainsi, dans un sondage réalisé quelques jours après l’attaque de Magnanville, 73% des interviewés jugent certain (19%) ou probable (54%) qu’en cas de nouveaux attentats menés par des terroristes islamistes dans les prochains mois, nous assisterons alors à des actions de représailles incontrôlées de la part d’individus qui voudraient "se venger ou se faire justice" en attaquant par exemple des mosquées, des commerces ou des quartiers fréquentés par la population musulmane. C’est parmi les sympathisants frontistes que ce scénario apparaît le plus plausible (82% dont 36% de "certainement") mais ce pronostic est également partagé par 79% des proches des Républicains, 76% de ceux du PS et par 68% de ceux du Front de Gauche.

Aujourd'hui, entre le discours qui met de l'huile sur le feu et veut systématiquement nommer les problèmes, au risque de susciter les tensions, et celui qui laisse le feu couver sous la braise, lequel est le plus propice à créer la "guerre civile" dont parle Alain Juppé ?

Jean Petaux : On voit bien que chaque camp stigmatise l’autre. Mais l’art de la caricature est plutôt du côté des Sarkozystes. A deux niveaux. D’abord parce que Sarkozy se caricature lui-même, à un niveau jamais atteint. Ensuite parce que Sarkozy veut à tout prix faire passer Juppé pour un "mou du genou" et un faible.

Le "coup des Gaulois" est absolument extraordinaire. Alain Juppé rappelle que Nicolas Sarkozy a dit exactement le contraire, sans rappeler la date : 2006. Patrick Cohen, sur France Inter, a ressorti opportunément l’archive sonore INA qui le prouve incontestablement. Mais de cela Nicolas Sarkozy n’en a cure. Il va encore accentuer le trait et les provocations. Parce qu’il sait que cela peut lui permettre de mobiliser le bloc le plus à droite de l’électorat de la droite qui entend ainsi une musique (et surtout des paroles) chères à son cœur. Pourquoi changerait-il de stratégie ? Celle-là semble fonctionner. Même s’il est impossible, raisonnablement et scientifiquement, de prédire quoi que ce soit en matière de résultats des primaires. Ce que l’on sait depuis de nombreuses années c’est que les mesures des "valeurs" partagées par les Français montrent un très fort glissement vers des valeurs défendues par la droite (sécurité ; ordre ; refus des différences et de la diversité ; rejet de la mondialisation ; retour de la Nation France ; etc.). Nicolas Sarkozy sait tout cela et tend à surfer sur cette vague porteuse.

Donc Nicolas Sarkozy crie en permanence "au loup" en espérant que le loup va venir…

Face à cela Alain Juppé et les siens caricaturent évidemment les postures de Nicolas Sarkozy l’accusant tout bonnement d’être un "pompier-pyromane" du genre à allumer le feu volontairement et, ensuite, à se montrer comme le seul à même d’éradiquer les conséquences de l’incendie… et des actes improbables de l’incendiaire. Le portrait de Nicolas Sarkozy n’est pas totalement défiguré dans cette représentation critique, mais il ne faut pas exagérer. Nicolas Sarkozy n’est pas, comme disait Keynes, dans la situation de ces économistes dont les prévisions de crise provoquent de vraies crises… Keynes disait : "L’économie est la seule matière où quand les agents économiques ouvrent leur parapluie ils peuvent faire pleuvoir". Mais Alain Juppé a raison de considérer, en substance, qu’à jouer les apprentis-sorciers pour de petits calculs électoraux sur une petite élection, même pas prévue dans le système politique français il y a dix ans, on peut faire sauter la salle de jeu…

Alors qui peut donc être le plus responsable de l’explosion ? Celui qui aura fait semblant de ne pas voir les tensions (Juppé vu par Sarkozy) ou celui qui les aura non seulement révélées mais quelque peu exploitées à son profit (Sarkozy vu par Juppé) ?

On serait tenté de répondre les deux ou pas plus l’un que l’autre. Dans la mesure où aucun des deux n’est, dans la réalité des faits, dans la posture que décrit de lui son concurrent direct. Mais il est vrai que mettre la poussière sous le tapis n’a jamais été synonyme de "grand nettoyage" et qu’à crier "au loup" la chèvre de Monsieur Seguin a fini par être mangée par lui, dans l’indifférence générale du village qui en avait marre de l’entendre dire que le méchant "loup-islamiste" venait pour lui faire subir les derniers outrages.

Toujours est-il que la situation de la société française est suffisamment sérieuse pour s’épargner les outrances et les coups de menton. Elle l’est aussi pour éviter de faire croire que "le bonheur est dans le pré… électoral". Nicolas Sarkozy en rajoute dans les coups de menton : on sait que c’est une posture de primaire. Alain Juppé en rajoute dans la sérénité et la sagesse présidentielle : on peut penser que c’est aussi une posture dans la mesure où sa véritable nature, son souci profond, depuis des semaines, et qu’il s’interdit résolument au prix d’un effort dont on se demande s’il sera en état de le produire jusqu’au 27 novembre est d’une simplicité totale : taper sur Sarkozy, autant au figuré qu’au propre tellement la détestation qu’il lui porte désormais est à son plus haut niveau !

Thierry Get A priori, je dirais ni l’un ni l’autre du fait qu’il s’agit d’un conflit mondial et séculaire qui dépasse le débat franco-français des élections de 2017.

Mais il est vrai que les positions apaisantes/conciliantes d’Alain Juppé (et de la gauche en général) avec l‘islamisme pourraient sûrement éviter quelques affrontements à court terme mais au prix de concessions et de pertes de territoires de plus en plus conséquentes. Le risque ici est plutôt la soumission. Nombre de zones en Seine Saint Denis, des quartiers nord de Marseille, de Roubaix ont déjà basculé.

Pour citer encore Churchill : "un apaiseur c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé".

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