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Et vous aviez peur des exportations chinoises ? Avec 343 milliards d’euros d’excédent commercial, le "profiteur" qui pèse sur l’économie mondiale est désormais... la zone euro
©Flickr

Cavalier solitaire

Avec un excédent de 342 milliards d'euros, la balance courante de l'Union européenne a de quoi inquiéter. A force de poursuivre cette stratégie (ou de la subir) des surplus commerciaux et financiers, l'Europe pourrait mourir riche.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Selon les données publiées ce lundi 19 septembre par la BCE, la balance courante européenne a atteint un excédent de 342 milliards d'euros. Alors que la Chine est régulièrement considérée comme la manufacture mondiale, peut-on dire que l'Europe "inonde" la planète de ses biens ? Quels sont les risques inhérents à une telle stratégie économique ? Peut-on qualifier l'Europe de "passager clandestin" de l'économie mondiale ?

Mathieu Mucherie : Aucune stratégie là-dedans : une grosse crise de la demande agrégée (à peine à son niveau de 2007, une décennie perdue !), donc une tendance à générer des surplus commerciaux (ceinture sur les imports) et des surplus financiers (comportements frileux = épargne soutenue et, à la marge, renforcement du biais domestique des investissements de portefeuilles) :

La zone euro n’inonde pas la planète de ses biens : crise du commerce international depuis 2008, et poursuite de la perte de part de marché globale du Vieux continent. La zone euro inonde la planète de sa crise déflationniste, de sa sinistrose, de ses idées ineptes et de ses autojustifications pathétiques. Homme malade de l’économie mondiale, c’est peu dire qu’elle joue un rôle de passager clandestin : non seulement dans les affaires monétaires comme je m’use à le dire depuis des années (cf mes 80 derniers papiers pour Atlantico), mais aussi sur le plan technologique (les européens utilisent les innovations bien plus qu’ils ne les initient), militaire (on rouspète contre l’OTAN, on est bien content de ne pas compter sur les seules armées européennes), etc. Tout le vieux continent voyage en 1ère classe avec un ticket de 2e classe, ce qui ne peut se faire qu’au détriment des autres, et au détriment des enfants si on admet qu’un jour une note salée arrivera.

La Chine, elle, a multiplié le niveau de vie moyen par plus de 10 en 35 ans. Une transformation aussi radicale, et à cette échelle, ne peut pas être le fait d’une meilleure insertion dans les échanges mondiaux ; c’est, avant tout, une affaire domestique, une réforme en profondeur (quoique très imparfaite…) des institutions internes (principalement les droits de propriété, et dans une mesure moindre la gestion de la monnaie). Dans ce cadre, accuser (comme Trump) la Chine de piraterie néo-mercantiliste ou de manipulation FX, alors que son surplus ne se situe pas à 8,5 points de PIB comme en Allemagne ou aux Pays-Bas mais à 2,5 points, et alors que le Yuan depuis une décennie est une des très rares monnaies dans le monde à s’être apprécié contre le dollar, ce n’est pas sérieux.

L'excédent allemand, qui atteint presque les 9 points de PIB, masque de lourdes divergences au sein de la zone euro en matière de commerce extérieur. Quelles sont les conséquences de cette Europe à deux vitesses ?

La zone euro ressemble à une pièce de monnaie vichyste, avec un trou noir (déflationniste) en plein milieu. L’Allemagne n’a jamais autant joué son rôle de pompe aspirante, avec une épargne non-collaborative vis-à-vis de la zone, des mesures correctrices (budgétaires…) dérisoires, et surtout une influence monétaire mortifère. Ce pays capte des flux entrants qui sont ceux de la peur (et grâce à sa taille et à son statut de pays-ancre), laisse peu de flux sortants se faire (aucun plan Marshall en particulier vers les infortunés eurolandais qui ne peuvent plus dévaluer), et en prime donne des leçons aux autres (l’élixir universel et atemporel des réformes structurelles qui vont faire sauter comme par magie l’inertie des avantages comparatifs et des conventions sociales). Officiellement, à 6% de surplus, des sanctions sont déclenchées, mais les règles européennes ont ceci de particulier qu’elles ne s’appliquent pas à l’Allemagne, ni maintenant sur les échanges privés (enfin, pas si privés), ni il y a une douzaine d’années sur les déficits publics. C’est bien pratique.  

Ce que ce graphique signifie, c’est surtout la disparition de la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro, alors que l’unification monétaire servait précisément selon ses partisans à allouer optimalement l’épargne. L’euro peut survivre ou pas, peu importe puisqu’il ne sert pratiquement plus à rien. Devant ces réalités bien documentées et de moins en moins passagères, la réaction des officiels fait penser à des poisons rouges sous Tranxen 200, un peu à la façon de la boutade de lord Salisbury ("Les choses vont déjà si mal, vous ne voulez pas en plus les changer"). L’idéal serait bien entendu, depuis des années, qu’on se débarrasse d’un certain nombre de dettes improductives qui minent l’économie, la confiance et l’affectio societatis, en les annulant dans le bilan de la banque centrale : mais ce que la Bundesbank a fait pour les comptes douteux des banques régionales allemandes, elle ne veut pas l’autoriser pour les "citoyens" de la périphérie (NB : Kenneth Rogoff, qui ne passe ni pour un plaisantin ni pour un inflationniste, a écrit très récemment : “My preferred policy would have been to see the Europeans write down debt in all of the southern countries as I said back in 2009. And I would have liked to see the United States write down the debt of all the small subprime homeowners. Had we done both of those policies we would be growing much faster now than we are”).

A noter que la position allemande ne repose pas sur de bons fondamentaux, juste sur un effet de volume et sur un consensus social très fort autour de l’idéologie de la Bundesbank : sur la démographie comme sur les gains de productivité (depuis au moins 9 ans dans l’industrie, graph’ ci-dessous, depuis plus longtemps et dramatiquement dans les services), la performance allemande n’est pas glorieuse, et relève de la fable du borgne au pays des aveugles.  

Les Etats-Unis sont le premier pays à alimenter l'excédent européen. A quel point l'économie européenne peut être considérée comme dépendante du partenaire américain ? Cette situation est-elle tenable ? Les Etats-Unis peuvent-ils manifester leur désapprobation, ou s'agit-il, pour eux, d'une situation normale ?

Les américains sont plutôt cool sur ce sujet (alors que le débat français ne manque jamais de s’orienter vers leur protectionnisme supposé dès qu’il s’agit pour nous de tenter une échappée vers des mesures nationalistes idiotes) ; il y a peu de complaintes américaines sur le thème de leur déficit commercial vis-à-vis de nous. La raison est simple : ils souhaitent que la 2e économie mondiale prospère, pour ne pas avoir à y retourner avec des chars ou avec des colis de la croix rouge. Ils ont beaucoup investis en Europe, ils souhaitent que ça se passe bien, sans dislocation de l’euro, sans trop de montée des populismes, en bref : la continuité des chaines de valeur globales et transatlantiques, et les intérêts des banques US, priment largement sur les petites guéguerres liées au Traité commercial avorté ou à l’amende d’Apple en Irlande. Hélas ils constatent que depuis 2011 la zone euro ne suit plus, même sur le terrain manufacturier qui pourtant est logiquement celui de la synchronisation ("détail" amusant, le graph’ ci-dessous ressemble beaucoup au décrochage, au même moment, des indices boursiers). La zone euro décroche, dans de nombreux domaines y compris les plus mondialisés, voilà qui fait de plus en plus peur à l’investisseur américain. 

Mettez-vous quelques instants dans la peau d’un investisseur US. Sur l’obligataire, la zone euro n’est plus fréquentable (taux nuls ou négatifs, et peu de perspectives d’avenir avec la déflation organisée à Francfort) (si j’avais tort et que la BCE était accommodante depuis 2007, les taux seraient à 4%). Sur les actions, c’est presque aussi net, du moins tant que les valeurs bancaires continueront à être dirigées depuis la BCE (l’investisseur américain expérimenté ne manque pas de faire le parallèle avec le Japon des années 1990). L’immobilier européen est hors de prix, à moins d’une improbable dévaluation massive. La main d’œuvre idem. Dans le même temps, les risques politiques, réglementaires et fiscaux, montent... et le meilleur reste à venir en 2017. Restent : des consommateurs (c’est pour cela qu’Amazon crée massivement des emplois en France, pas pour célébrer notre modèle économique), quelques beaux actifs (musés, paysages, diplômés bilingues), et quelques rares segments porteurs, mais… le projet jadis presque raisonnable d’un partenariat entre égaux s’éloigne de plus en plus, et moins en raison d’un axe protectionniste Bush/Obama/Trump qu’en raison de nos échecs. Si la FED monte ses taux dans 48 heures ou dans trois mois, ce sera mauvais pour l’Amérique car inutile (il n’y a pas d’inflation), mais ce sera encore plus mauvais pour une zone euro décidément de plus en plus dépendante des banquiers centraux indépendants.

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