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Rassembler la gauche tout en taclant Manuel Valls et Emmanuel Macron : le drôle de jeu d’équilibriste de Martine Aubry devant les militants du Nord
©REUTERS/Kai Pfaffenbach

Artiste de la politique ou hypocrite ?

En appelant ce samedi au rassemblement de la gauche tout en ne manquant pas d'adresser quelques piques à Manuel Valls et Emmanuel Macron, Martine Aubry s'est livré à un jeu d'équilibriste pour le moins déconcertant devant les militants socialistes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Ce samedi à Lomme (Nord), Martine Aubry a réfuté la thèse selon laquelle il y aurait deux gauches au sein du Parti socialiste, déclarant par ailleurs : "Je serai toujours inlassablement une militante du rassemblement de la gauche.Nous sommes tous des socialistes et nous sommes tous à gauche".Que peut-on penser d'une telle affirmation ? N'y a-t-il pas une certaine forme d'hypocrisie pour Martine Aubry d'appeler ainsi au rassemblement de la gauche mais sous ses conditions ?

Eric Verhaeghe : Martine Aubry est une sorte de gardienne du temple socialiste. Elle incarne, notamment par les mesures malsaines qu'elle a mises en place comme les 35 heures, l'image de la social-démocratie à la française, avec un interventionnisme étatique fort et une rigidité socio-économique à toute épreuve. D'ailleurs, dans son discours, elle a félicité tous les idéologues du gouvernement, dont Marisol Touraine et sa vision étatique de la santé, ou Najat Vallaud-Belkacem et son immobilisme doctrinal à l'Education nationale. L'âge venant, l'amère du Nord, pour reprendre ce mauvais jeu de mot, ne s'assouplit pas. Elle fédère néanmoins les historiques du PS, en particulier ceux qui cimentent la "motion A", pour reprendre l'expression consacrée du PS, c'est-à-dire la motion qui a fait l'élection de Cambadélis à la tête du parti. Il serait donc maladroit de ne pas mesurer l'influence de Martine Aubry, qui est en plein bras de fer avec Hollande : soit celui-ci fait des compromis idéologiques et il sera candidat en 2017, soit il fait la guerre à Martine, ou passe outre ses revendications programmatiques, et elle se ralliera aux frondeurs, dont certains de ses proches sont d'actifs animateurs, comme le mari d'Anne Hidalgo, Jean-Marc Germain.

Paul-François Paoli : "La vérité est une, l'erreur multiple, ce n'est pas un hasard si la droite professe le pluralisme", affirmait Simone de Beauvoir. Vous changez le mot "vérité" par celui de "gauche" et vous avez la quintessence de la pensée politique de Martine Aubry.  Pour celle-ci comme pour Hamon ou Mélenchon, la gauche et la droite ne sont pas des catégories politiques mais des valeurs qui relèvent d'une vision para religieuse du monde. Sauf que le monde a changé et qu'il est de plus en plus du côté du pluralisme. On remarquera en effet que pour Aubry ou Hamon, la Gauche avec un grand G existe et transcende les gauches réelles. Tandis que pour Sarkozy ou Le Maire, la Droite n'existe pas. Il n'y a que des droites, plus ou moins libérales, nationales ou européennes et par ailleurs incapables de s'unir durablement entre elles. La gauche version Aubry se présente ni plus ni moins comme le parti du Progrès, de la Justice et de la Modernité, bref du sens de l'Histoire. C'est n'avoir rien compris au fait que nous vivions aujourd'hui une implosion de cette vision du monde qui date des années 1960 et une relativisation des valeurs dans le monde fracturé de la post-modernité. La grande contradiction de la gauche et son impensé fondamental est de prôner un libertarisme et un relativisme radical dans le domaine des mœurs et des modes de vie - ce en quoi elle est en phase avec l'individualisme contemporain et un normativisme dans celui des valeurs, bien évidemment républicaines et des idées bien évidemment progressistes. Elle ne comprend la contradiction qui mine cette conception de l'intérieur. 

Dans son discours, Martine Aubry a envoyé plusieurs piques à Manuel Valls (Quand bien même la droitisation de la société serait réellela noblesse de la politique est de résister à l’air du temps, de ne pas céder au populisme ambiant et de continuer de considérer que l'avenir de la gauche est à gauche") et Emmanuel Macron ("La modernité, ce n’est pas de casser les protection d’hier mais de trouver les nouvelles sécurités"). Peut-on réellement incarner et appeler au rassemblement de la gauche tout en attaquant de la sorte les deux personnalités les plus médiatiques de la gauche sociale-libérale ?

Paul-François Paoli : Martine Aubry a senti le danger et celui-ci s'appelle notamment Emmanuel Macron qui n'est plus socialiste, mais moderniste et progressiste, ce qui revient au même d'une certaine manière. Celui-ci, qui a fait de la philosophie, sait qu'on ne peut plus professer des niaiseries sur le socialisme dans un monde de plus en plus individualiste et communautarisé. Il faut un autre discours plus "branché" et plus "médiatique" pour capter la jeunesse et cette bourgeoisie urbaine et mondialisée qui se fiche comme d'une guigne du socialisme. Valls de son côté veut se distinguer de Macron par son discours pseudo-socialiste. Sauf que Clémenceau, auquel il prétend se référer n'était pas socialiste, mais individualiste, républicain et conservateur autoritaire à certains égards. Tout cela témoigne d'une grande confusion des idées. En réalité, la gauche (depuis qu'elle s'est ralliée à une Europe mondialisée) ne sait plus vraiment que faire pour exister.

Eric Verhaeghe :C'est ainsi que Martine Aubry pratique depuis plusieurs années. Elle prétend incarner une sorte de centrisme socialiste, entre Macron et Hamon (dont il ne faut jamais oublier qu'il fut conseiller de son cabinet). Pour Martine Aubry, le centre de gravité de la gauche se situe structurellement à la gauche de Valls et elle considère que Valls est un "libéral" qui n'incarne pas le parti. Mathématiquement, elle n'a pas tort. Le ventre mou du PS se situe à la gauche de Valls et à la droite des frondeurs. C'est sur cet axe que Martine Aubry considère qu'elle pourra rassembler et surtout que le Parti socialiste pourra se rassembler. Personne ne peut en être sûr. Il n'est pas impossible que la ligne Aubry incarne une majorité relative du parti. Reste que le parti ne pèse plus que par ses élus, et qu'il n'incarne plus grand-chose face à l'opinion. La question de savoir si la ligne Aubry est susceptible de faire gagner la gauche, avec son côté vieillot et idéologue, est donc ouvertement posée.

Par ses propos, est-il possible que Martine Aubry se projette déjà après 2017, lorsque les débats feront rage au sein du Parti socialiste sur la ligne à adopter en cas de défaite à l'élection présidentielle ?

Eric Verhaeghe : La vraie question, de mon point de vue, n'est pas celle de l'après-2017, mais plutôt celle de 2017 ! Martine Aubry ne peut que partager avec bon nombre de Français des analyses évidentes. François Hollande fait l'objet d'un rejet virulent. Il a commis un quinquennat lamentable, émaillé de catastrophes politiques symboliques comme l'affaire Leonarda ou la déchéance de nationalité, qui sont politiquement illisibles et qui ont profondément abaissé non seulement la fonction présidentielle, mais l'image que les Français se font d'eux-mêmes. La parole politique est désormais suspecte et le pouvoir renvoie l'image de l'incompétence, de l'indifférence ou de la rouerie. Le pire est sans doute que François Hollande ne mesure pas clairement ce discrédit, et qu'il s'entoure de gens qui lui cachent, par intérêt, la vérité. Pour Martine Aubry, le rôle du bouclier, ou de la mère sauveuse, est évidemment tentant. On peut même imaginer que certains, au sein du parti, lui suggèrent fortement de le jouer. Et si Martine Aubry se présentait à la primaire du PS avec le soutien de François Hollande ? Cette perspective pourrait en réjouir plus d'un...

Paul-François Paoli :C'est possible. Il est fort possible aussi si la gauche ne soit pas au second tour de la présidentielle, que le PS explose, voire s'effondre complètement. Après tout, il ne reste plus grand-chose aujourd'hui du PCF.

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