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Russie : des législatives où se prépare surtout un quatrième mandat de Vladimir Poutine
©Reuters

Première étape

Au regard des sondages réalisés ces derniers jours, la situation politique ne risque guère d'évoluer en Russie à l'issue des législatives de ce dimanche, dominées par le parti de Vladimir Poutine, Russie unie. En revanche, ce scrutin pourrait constituer un avant-goût de ce que sera pour le dirigeant russe la prochaine présidentielle de 2018.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Ce dimanche, les Russes sont appelés aux urnes pour les élections législatives, moins de deux ans avant la prochaine présidentielle. Quels sont véritablement les enjeux du scrutin de ce week-end ? Dans quelle mesure celui-ci peut-il constituer une répétition pour Vladimir Poutine avant 2018 ?

Cyrille Bret : Les enjeux de ces élections sont de trois ordres.

C'est effectivement la répétition générale avant le scrutin présidentiel au printemps 2018. L'enjeu principal pour Russie Unie et ses deux grands dirigeants, Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, sera de voir leur capacité à mobiliser leur électorat. En effet, une victoire à 40% ou à 60% n'aurait pas du tout la même signification.

Le deuxième grand enjeu sera de voir la capacité de Russie Unie à renouveler son personnel, avec notamment un rajeunissement et une féminisation des députés. C'est "Poutine 4" qui se prépare pour 2018, il voudra donc essayer de faire monter de nouvelles figures.

Le troisième enjeu sera de tester le niveau de diversité de l'opposition – ou plutôt des partis alternatifs – à Russie Unie, et  notamment la capacité de vieux ténors comme Iavlinski et Kassianov à se faire élire.

Guillaume Lagane : Ces élections sont suivies de très près par le pouvoir russe. Dans un contexte de tension très forte avec l'Occident depuis le début de la guerre en Ukraine en 2014, l'enjeu est de capitaliser sur la forte popularité de Poutine pour emporter une forte majorité à la Douma. Tout l'appareil de propagande étatique a été mobilisé. Russie Unie, le parti majoritaire, peut compter sur "l'opposition système", le Parti Communiste, l'extrême-droite nationaliste (le mal nommé parti libéral-démocrate de Jirinovski) et le centre-gauche de Russie Juste. Dans la grande tradition des anciennes démocraties populaires, ces partis sont censés incarner une offre électorale alternative mais ne contestent pas la ligne officielle du régime.

En même temps, les hommes des "systèmes de force" qui entourent Poutine mettent en avant une volonté d'ouverture. Les deux tiers des candidats de Russie Unie ont été renouvelés. Le code électoral a été modifié pour permettre l'élection de candidats dont le parti n'obtiendrait pas 5% au niveau national. Cela pourrait permettre l'élection de quelques députés libéraux des partis Iabloko ou Parnass dans les zones urbaines de Saint Pétersbourg ou Moscou. L'obsession de Poutine est d'éviter le retour des manifestations qui avaient marqué la précédente élection législative de 2011. Pour la première fois en Russie, une esquisse de contestation populaire avait commencé contre les manipulations du scrutin (Russie Unie avait ainsi obtenu 99% des voix en Tchétchénie).

Annexion de la Crimée, crise économique et monétaire, attentats, intervention militaire en Syrie... Quel impact les événements survenus ces dernières années/derniers mois pourraient-ils avoir dans les urnes dimanche ?

Guillaume Lagane : La grande question est de savoir si les électeurs russes seront plus sensibles aux accents nationalistes du régime (annexion de la Crimée, intervention en Syrie, etc.) ou à son bilan économique. Sous le double impact de la baisse des prix du pétrole, la seule vraie ressource de l'économie russe, et des sanctions occidentales, le PIB a reculé de 4% l'an dernier et la Russie devrait à nouveau être en récession en 2016. Le taux d'inflation, à 15%, ronge le pouvoir d'achat des électeurs. Dans tout autre Etat, cela devrait avoir un impact négatif sur le parti au pouvoir. Mais nous sommes en Russie, où la "verticale du pouvoir" instaurée par Poutine limite les effets du jeu démocratique.

Cyrille Bret : L'impact sera nécessairement très grand. Dans la vie politique russe, les questions internationales ont toujours eu un rôle prépondérant, ne serait-ce que pour donner à la population une compensation symbolique aux difficultés économiques. L'équation de Vladimir Poutine est de rendre la Russie plus forte. Il suffit de lire son manifeste – en russe – sur le site de Russie Unie pour le comprendre. Le slogan ressemble à celui de Donald Trump, même s'il est bien antérieur. Poutine et Medvedev déclarent que c'est "la Russie en premier". Rendre à la Russie sa grandeur, c'est le thème qui permettra vraisemblablement à Russie Unie et Vladimir Poutine de remporter une grande victoire. L'impact des questions extérieures et la question de la fierté nationale sont donc selon moi très importants.

En 2016, et compte tenu des événements précités, qui sont encore les électeurs de Vladimir Poutine ?

Cyrille Bret : Depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir et sa prise en main du parti Russie Unie (qu'il n'a pas créé) au début des années 2000, son électorat est un électorat anti-establishment. Cela peut paraître étrange, mais c'est la réalité. On peut penser ici à un habitant d'une ville de taille moyenne, en-dehors des grands centres de Moscou, St-Petersbourg ou Ekaterinbourg. Il est généralement ouvrier, employé, professeur dans une petite école, et peu ouvert à la mondialisation. Son électorat se base donc sur le peuple russe de province.

Evidemment, cela évolue beaucoup. Durant les années 2000, le pouvoir poutinien s'est "embourgeoisé". Il est notamment passé d'une défiance envers les oligarques à une certaine alliance avec eux, qu'il contrôle. Au sein de Russie Unie et de l'électorat, les petits hommes d'affaires et chefs d'entreprise ont commencé à prendre de l'importance. Aujourd'hui, l'électorat de Poutine est toujours le peuple des provinces, très attaché à la grandeur nationale, mais c'est aussi toute une couche urbaine qui ne se reconnaît pas dans la mondialisation et sûrement pas dans le libéralisme à l'européenne.

Lorsqu'on parle de politique russe, il est exclusivement question de Vladimir Poutine alors que celui-ci est pourtant le chef de file d'une formation politique, Russie Unie, dont il est très peu question. Que représente véritablement ce parti ? Est-il aussi uni que son intitulé peut le faire penser ou bien est-il traversé par différentes tendances ? Si oui, quelles sont-elles ? 

Cyrille Bret : Le parti est fondé en avril 2001 comme le rassemblement du parti Patrie du maire de Moscou Iouri Loujkov et du président du gouvernement Ievgueni Primakov, du parti Toute Russie de Mintimer Chaïmiev et du parti Unité de Sergueï Choïgou. Ce n'est donc pas une création ex nihilo de Vladimir Poutine. C'est un parti gouvernemental, mainstream, qui représente l'électorat dont nous avons parlé.

C'est le parti dominant depuis trois législatures à la Douma, la chambre basse. Evidemment, comme tout parti dominant qui laisse à l'opposition entre un quart et un tiers des sièges, il a plusieurs tendances en son sein. On peut ainsi retrouver les deux grands électorats : celui des entrepreneurs et celui des provinces. La question des retraités notamment est très importante en Russie, car ce sont eux qui ont subi la transformation de l'URSS en Fédération de Russie, qui ont du mal à accéder au système de santé (qui vient de subir une grosse réforme de réduction des dépenses), et qui sont susceptibles d'alimenter l'autre grand parti de l'échiquier : le Parti Communiste. Donc oui, il y a plusieurs tendances, l'une plus sensible au thème de la mondialisation, l'autre plus sensible au protectionnisme et aux questions de vie quotidienne, notamment l'inflation, qui vient de se stabiliser en Russie.

A quels autres partis devra faire face Russie Unie lors de ces législatives ? Que peuvent-ils réellement espérer, notamment en ce qui concerne l'opposition libérale et les communistes ? 

Cyrille Bret : La législature qui s'achève et celle qui va commencer reconduira vraisemblablement 4 grands partis : le Parti Communiste, Russie Unie, Russie juste (parti assez proche de Russie Unie), et le Parti libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski. Russie Juste et les libéraux-démocrates sont très sensibles aux thèmes nationalistes. On ne peut donc pas les considérer comme étant une véritable opposition à Russie Unie, mais plutôt une alternative. Ils partagent un certain nombre de thèmes. Il est vraisemblable que les résultats soient très favorables à Russie Unie, qui disposera d'une majorité absolue ou au pire d'une très large majorité relative. Ce que peuvent espérer les 3 autres partis, c'est de faire peser leur propre agenda. Pour Russie Juste, ce sera l'agenda des retraités de province. Pour le parti nationaliste, ce sera la Crimée, l'Ukraine, la question des minorités russophones à l'étranger (pays baltes et Asie Centrale), etc. Pour le Parti Communiste, ce sera la défense de bastions régionaux très forts.

Vous posez la question d'une vraie opposition libérale. Il y a peu de chances qu'elle se manifeste quantitativement en masse, mais qualitativement c'est possible car pour ces élections, nous aurons un scrutin majoritaire uninominal et un autre scrutin proportionnel. Cela permettra peut-être à certaines personnalités d'opposition comme Iavlinski et Kassianov et peut-être de nouvelles pousses de se manifester. Mais ce sera surtout pour une fonction tribunicienne, à l'instar de ce que représentait le Parti Communiste pendant les Trente Glorieuses en France. Ils n'auront pas la majorité, ils n'auront pas forcément de groupes, mais feront entendre leur voix à l'intérieur de la Douma.

Ces législatives ne sont pas des législatives à la soviétique, mais la diversité et le pluralisme  politique sont quand même limités, notamment depuis l'assassinat de Boris Nemtsov il y a un an et demi. L'opposition faisant face à de la violence physique, il est compliqué de se faire élire.

Comment le scrutin de ce dimanche s'est-il préparé en Crimée, le premier à survenir dans la péninsule ukrainienne depuis son rattachement à la Russie en 2014 ?

Guillaume Lagane : Le gouverneur de Crimée appartient déjà au parti Russie Unie. Il compte sur une victoire massive lors de ces élections très symboliques puisque ce sont les premières depuis l'annexion de la Crimée en 2014 et le référendum organisé pour couvrir le coup de force. Bien que les électeurs soient mécontents des conditions socio-économiques de la péninsule, qui se sont détériorées suite notamment au blocus organisé par l'Ukraine, la victoire de Russie Unie ne fait guère de doute.

Moscou va pouvoir s'appuyer sur ce scrutin pour légitimer sa présence en Crimée. Pourtant, rien n'est vraiment réglé. Les capitales occidentales et l'Ukraine ont condamné la tenue du scrutin. Celui-ci ne répond pas aux critères démocratiques, pourtant relatifs, de l'ancienne Ukraine, où existait une certaine concurrence électorale. Enfin, les leaders de la communauté tatare (des turcophones musulmans représentant 14% de la population de Crimée) ont appelé au boycott du vote pour protester contre l'annexion russe et les persécutions dont ils sont depuis victimes.

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