Comment la Suisse a accidentellement fait baisser le nombre de suicides en réduisant son armée<!-- --> | Atlantico.fr
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Chaque membre actif de l'armée se doit d'emporter son arme et son équipement à domicile. Les recrues qui finissent leur service militaire peuvent quant à eux choisir d'acheter leur arme à un prix avantageux.
Chaque membre actif de l'armée se doit d'emporter son arme et son équipement à domicile. Les recrues qui finissent leur service militaire peuvent quant à eux choisir d'acheter leur arme à un prix avantageux.
©Reuters

Roulette russe

En divisant ses troupes armées de moitié en 2003, la Suisse a indirectement fait chuter le nombre de suicides. Cette baisse est liée à un accès aux armes restreint. De quoi contredire les groupes pro-armes qui arguent que l'interdiction n'arrêtera pas les suicidaires.

C'est une corrélation si probante que l'on peut la qualifier de causalité. Le psychiatre suisse Thomas Reisch a remarqué qu'à partir de 2004, l'année suivant la réforme de l'armée suisse visant à réduire ses troupes de moitié, le nombre de suicides par arme à feu a chuté. Intimement convaincu par le fait que cette baisse était liée à un accès aux armes restreint, Thomas Reisch est allé compiler de nombreuses données dans une étude publiée en 2013 qui démontre comment une moins grande proximité entre la population et les armes à feu a une influence directe sur le taux de suicide. Des travaux mis en avant dans un article du journal anti-armes à feu The Trace, et relayé par The Atlantic.

Service militaire et culture de l'armement

Il faut savoir que la Suisse est l'un des pays les plus armés au monde, au regard de la proportion de foyers équipés d'une ou plusieurs armes. Avec quelques 30% de ses ménages armés, elle se classe quatrième, derrière les indétrônables États-Unis, la Serbie et le Yémen. Mis à part cela, ses habitants profitent d'un grand confort de vie, ce pays connaissant une grande prospérité – deuxième au classement après la Norvège en 2015 – et une espérance de vie des plus élevées – la deuxième plus élevée au monde, derrière le Japon, selon l'ONU, en 2015-.

Un armement généralisé au sein de la population suisse qui s'explique par le service militaire, encore obligatoire après que ses habitants ont voté pour son maintien en 2013. En effet, chaque membre actif de l'armée se doit d'emporter son arme et son équipement à domicile. Les recrues qui finissent leur service militaire peuvent quant à eux choisir d'acheter leur arme à un prix avantageux. Le 18 mai 2003, la réforme de l'armée suisse approuvée par référendum et nommée "Armée XXI" stipule qu'à partir de l'année 2004, les effectifs seront progressivement réduits de moitié, passant approximativement de 400 000 à 200 000. De ce fait, moins d'armes étaient délivrées.

Suicidaires mais exigeants

Thomas Reisch pressentait bien que le nombre de suicides était lié au nombre d'armes distribuées. Pour en avoir le cœur net, le psychiatre a observé le taux de suicide chez les hommes âgés entre 18 et 43 ans – la tranche d'âge correspondant à la carrière militaire – et l'a comparé avec celui des autres tranches d'âge et celui des femmes. Et il avait raison. C'est en effet pour cette population que le taux de suicide a le plus baissé. Il a ainsi pu constater que grâce à cette réforme, le nombre de suicides pour 100 000 personnes a baissé de 2,16, ce qui représente trente hommes "sauvés" – en Suisse, on recensait 222 suicides par arme à feu en 2013. Ce qui n'est pas négligeable.

Comment être sûr qu'il s'agit bien d'une causalité, et non d'un événement parallèle simultané à cette réforme qui aurait fait reprendre à nos amis suisses le goût à la vie ? Thomas Reisch a constaté que 75% des hommes suicidaires qui comptaient se tuer à l'aide d'une arme à feu ne choisissaient pas de recourir à un autre moyen, et renonçaient à s'ôter la vie. Par ailleurs, une étude américaine va dans le sens du psychiatre, démontrant que seulement 5 à 11% des personnes ayant tenté de se suicider une première fois vont recommencer. Ce n'est ainsi que lorsqu'on est proche de la mort que l'on s'accroche à la vie.

Enfin, en 2010, une étude israélienne similaire à celle réalisée par Thomas Reisch a fait le même constat : lorsque les soldats israéliens étaient sommés de laisser leurs armes à la caserne le temps des week-ends, leur taux de suicide chutait de 40%. Que peut bien changer cet éloignement temporaire des soldats de leur arme ? Ils peuvent bien patienter un peu, et se suicider en semaine, non ? Soit, mais les chances sont réduites : une étude montre qu'une personne sur quatre comptant se suicider, passera à l'acte dans les cinq minutes suivant sa décision.

Armement et suicide, intimement liés

Voilà au moins un argument que les défenseurs de la détention d'armes ne pourront pas rejeter, en prétextant que la vente d'armes n'est pas liée au nombre de suicides et que ces personnes aux idées sombres ont tout autant de "chance" de commettre l'irréparable, avec ou sans pistolet à proximité.

Quelques chiffres compilés par The Trace permettent de visualiser l'impact de l'armement des Américains sur les chiffres du suicide. Parmi les plus éloquents, on retiendra que 58 Américains se suicident d'une balle dans la tête chaque jour, que le suicide par arme à feu n'est pas la forme de mise à mort la plus commune (6% des tentatives de suicide contre 71% par overdose), mais la plus "fiable" – 54% de ces tentatives sont fatales- ou encore que les États d'Amérique les plus armés sont ceux où les taux de suicide sont les plus élevés. Enfin, cette statistique ahurissante : le suicide constitue la première cause de mort chez les vétérans, devant le décès au combat, le cancer et les maladies cardiaques. Sans surprise, 68% de ces suicides étaient par arme à feu. En mai 2016, le Pentagone révélait que le taux de suicide était deux fois plus élevé que la moyenne chez les militaires.

Prévention

Des efforts sont toutefois consentis du côté des industriels de l'armement afin de limiter leur responsabilité (des morts sur la conscience oui, des suicides, non) : la National Shooting Sports Foundation (NSSF), la troisième plus grosse organisation américaine de défense du port d'arme, a conclu en août 2016 un accord avec la Fondation américaine de prévention du suicide (AFSP) dans le but de renforcer les campagnes de prévention et de sauver ainsi 10 000 vies, relateThe Trace.

De son côté, l'armée américaine veut veiller à ce que ses vétérans ne sombrent pas dans la dépression et soient tentés de se suicider. Dans le cadre de ce plan évalué à quelque 50 millions de dollars (45 millions d'euros), un algorithme a été mis en place afin de prévoir les moments auxquels ces anciens soldats auront peut-être besoin d'un accompagnement psychologique. Pour cela, plusieurs facteurs sont pris en compte, dont l'âge ainsi que d'éventuels troubles psychiques causés par un stress post-traumatique, très commun chez les vétérans qui ont connu la guerre.

Pour Thomas Reisch, la solution à ces suicides est bien plus simple : "Le principe est toujours le même. Si nous sommes capables de restreindre l'accès aux armes, il y aura moins de suicides". Une affirmation qui n'aurait, a priori, pas été aussi évidente si annoncée au début de cet article. 

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