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Rwanda, Burundi, RDC : le triangle malade des Grands lacs face au risque d’embrasement général
©Capture /Youtube

Opposition et connivence

Si les conflits internes que connaissent la République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi sont de natures très différentes, ils ont des points de contact. Il est à craindre que les dirigeants de ces trois pays instrumentalisent les violences et les tensions pour éviter de remplir des obligations démocratiques auxquelles ils tentent tous d'échapper.

Gérard Prunier

Gérard Prunier

Gérard Prunier est un historien français naturalisé canadien, docteur en histoire africaine de l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Est.

Il a publié de nombreux ouvrages dont Africa’s world war. Congo, the Rwandan genocide, and the making of a continental catastrophe (Oxford University Press, 2009)

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Atlantico : Alors que des élections présidentielles doivent se tenir en RDC - la Constitution empêchant Joseph Kabila de briguer un troisième mandat - ce dernier semble manœuvrer pour faire "glisser" le calendrier électoral afin de rester au pouvoir après la fin de son mandat. Alors que le pays n'est jamais parvenu, depuis vingt ans, à faire cesser le conflit à l'Est, comment décrire la situation actuelle en RDC ?

Gérard Prunier : Le trucage que prépare Joseph Kabila – et on peut être sûr qu'il ne reculera pas et ne se contentera pas de simplement déposer son costume de président le 31 décembre  rentre en phase avec un autre besoin de trucage venant du Rwanda. En effet, le président Kagamé qui a été réélu – probablement jusqu'au XXe siècle suite aux modifications de la Constitution qu'il a opérées n'est pas confronté aux mêmes difficultés que M. Kabila, mais il fait face à un problème de légitimité interne étant donné qu'il représente un groupe ethniquement minoritaire. Si M. Kagamé s'appuie sur un fort soutien international, sur le plan intérieur, la situation est beaucoup plus problématique. Une tension militaire arriverait donc pour lui – tout comme pour M. Kabila – à point nommé.

M. Kagamé et M. Kabila ont donc, malheureusement, le même intérêt : qu'un conflit se crée entre le Nord-Kivu et la province orientale sur la frontière rwandaise. Un tel conflit n'est pas très difficile à bricoler étant donné que la région grouille de chômeurs armés et qu'en dix ans –l es élections ayant amené M. Kabila au pouvoir datant de 2006  la paix n'est jamais revenue sur la frontière orientale de la RDC.

Ainsi, il y a une sorte de gisement de déstabilisation politique qui serait utile aux deux chefs d'Etat. Il est évidemment à craindre qu'ils ne l'utilisent.

A la fin des années 1990, la RDC a été le terrain d'une grande guerre africaine, à laquelle l'Angola, le Zimbabwe, la Libye, le Rwanda ou encore l'Ouganda ont participé. En quoi la situation de la RDC est-elle particulièrement importante en Afrique ? Quels sont les risques de voir aujourd'hui la situation du pays dégénérer au niveau continental ?

La situation géographique de la RDC explique son importance. Frantz Fanon (ndlr : psychiatre et auteur français) disait "L'Afrique a la forme d'un revolver dont la gâchette se trouve au Congo". La RDC est un pays-continent qui touche au Nord à la grande forêt, au Sud aux pays de la savane qui descendent jusqu'à l'Afrique du Sud, dans les montages de l'Est à l'Afrique orientale des Grands lacs, et qui a une façade Atlantique partagée avec toute l'Afrique occidentale.

Pour comprendre la situation, il faut regarder les jeux de lutte et d'influence entre Kigali, Kinshasa et Bujumbura. Le "joker dans le paquet de cartes", c'est M. Nkurunziza qui a violé la limite du nombre de mandats qui lui était constitutionnellement autorisé au Burundi. Son maintien au pouvoir par la force –et le fait qu'il tue pas mal de gens  a donné lieu à un mouvement d'opposition général dans le pays.

Aujourd'hui, nous restons prisonniers d'une grille de lecture qui est celle de l'opposition Tutsis-Hutus. Si elle a encore une certaine pertinence, il faut rappeler qu'au Burundi, le régime est dominé par des Hutus et que la plupart des opposants sont eux-mêmes hutus. Au Rwanda, le régime est dominé par les Tutsis et la plupart des opposants – du moins ceux qui sont actifs – sont eux-mêmes tutsis. En fait, les grilles de lecture qui étaient valables dans les années 1990 et qui ont mené au génocide de 1994, sont totalement tordues à l'heure actuelle. La situation est beaucoup plus compliquée que ce qui prévalait il y a vingt ans. Kagamé soutient au Burundi une opposition tutsi qui n'est pas particulièrement populaire et qui est en bascule parce que les "vrais" opposants sont des hutus. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas aussi des opposants tutsis mais on ne peut résumer la situation entre des opposants appartenant à un groupe ethnique et des partisans du gouvernement appartenant à l'autre. Si tous les partisans de M. Nkurunziza sont effectivement des Hutus, ils sont en fait probablement en minorité et il y a en face d'eux aussi bien des Tutsis que des Hutus.

La situation entre Kinshasa, Kigali et Bujumbura est triangulairement malade. Il y a un vrai danger de globalisation de trois conflits complètement différents mais qui ont un point de contact : la violence, les chocs, et les problèmes sont positifs pour les régimes qui peuvent se nourrir de cela pour éviter de remplir des obligations démocratiques auxquelles ils tentent tous d'échapper.  

Comment les difficultés à construire la paix dans la région des Grands lacs peuvent-elles s'expliquer ? Comment se fait-il que la Monusco, mission de maintien de la paix des Nations Unies la plus importante (plus de 20 000 hommes), la plus coûteuse (budget annuel de 1,4 milliards de dollars) et présente depuis 17 ans en RDC, ait produit si peu de résultats ? L'arrivée de la Chine, comme large investisseur dans la région, a-t-elle modifié la donne ?

Les Nations Unies sont incapables de faire avancer la paix dans la région. L'instrument est totalement inadapté. C'est de la foutaise ! Il est impossible de fabriquer la paix sans une source solide dans le pays où vous voulez la fabriquer. Croyez-vous que si les Allemands étaient restés nazis en 1945, on aurait eu une Allemagne démocratique ? Non, la situation a pu évoluer parce que l'Allemagne elle-même a changé. On ne peut pas fabriquer de la paix parachutée de l'extérieur : on peut favoriser des éléments politiques, économiques, sociaux, ethniques, religieux etc. qui vont dans le sens d'une Constitution démocratique et d'une amélioration de la situation mais on ne peut pas s'y substituer. Or, toute l'erreur des Nations Unies – qui se poursuit en ce moment au Soudan du Sud – est de dire qu'on peut faire la paix à la place des gens qui vivent dans le pays. C'est un rêve ! Il n'est pas possible de se substituer à la population d'un pays pour lui faire faire ce qu'elle ne veut pas faire. La Monusco pédale dans la choucroute depuis dix-sept ans.

Quant à l'arrivée de la Chine, ça ne changera strictement rien. La Chine est un pays impérialiste classique : elle a des intérêts économiques et se moque totalement du confort, du bien-être et de la démocratie dans les pays où elle se trouve. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine 

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