Comment les pays d’Asie du Sud-est peuvent se préparer à la destruction par la technologie de deux tiers des emplois dans le secteur du textile<!-- --> | Atlantico.fr
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Fini les ateliers, il va y avoir une standardisation au niveau mondial de la manière de produire des biens. D'ici 10 ans, on pourrait avoir des applications commerciales, y compris dans l'industrie manufacturière, de l'impression 3D.
Fini les ateliers, il va y avoir une standardisation au niveau mondial de la manière de produire des biens. D'ici 10 ans, on pourrait avoir des applications commerciales, y compris dans l'industrie manufacturière, de l'impression 3D.
©Reuters

Adieu petit ouvrier cambodgien

Selon un récent rapport de l'Organisation Internationale du Travail, l'automatisation et la robotisation pourraient détruire deux tiers des neuf millions d'emplois dans le secteur du textile en Asie du Sud-est. Pour limiter la déstabilisation tant économique (chômage) que géopolitique (migrations), les gouvernements des pays manufacturiers devront être prévoyants et préparer l'avenir en investissant notamment dans l'éducation.

Christopher Dembik

Christopher Dembik

Avec une double formation française et polonaise, Christopher Dembik est diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Institut d’Economie de l’Académie des Sciences polonaise. Il a vécu cinq ans à l’étranger, en Pologne et en Israël, où il a travaillé pour la Mission Economique de l’Ambassade de France et pour une start-up financière. Il est responsable de la recherche économique pour le Groupe Saxo Bank. 

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Atlantico : Selon un récent rapport de l'Organisation Internationale du Travail (voir ici), sous l'effet de la technologie, deux tiers des emplois dans l'industrie du textile pourraient être détruits en Asie du Sud-est. Quels sont les risques économiques liés à ce phénomène ? Qui seront les premiers impactés ? A l'inverse, à qui cela profitera-t-il ?

Christopher Dembik : La destruction d'emplois dans l'industrie du textile en Asie est un phénomène inéluctable. L'Asie est en passe d'expérimenter ce que l'Europe a déjà connu des décennies auparavant. Si on veut schématiser, à partir des années 1990 et surtout 2000, il y a eu un transfert d'activité du secteur manufacturier des pays développés vers les pays émergents où le coût du travail était nettement plus bas, ce qui a abouti, en particulier en Europe, à des destructions d'emplois. Actuellement, c'est un nouveau phénomène auquel on assiste.

D'une part, il y a une délocalisation d'activités au sein même des pays émergents. On observe des départs d'industries du Brésil au profit de la Bolivie, ou de Chine vers le Vietnam pour des raisons de coût de la main-d'oeuvre. Il y a une forte concurrence qui s'est créée au sein de ce groupe de pays où les disparités salariales sont énormes.

D'autre part, à terme, la main-d'oeuvre devrait être remplacée par des robots, y compris dans les pays émergents. C'est justement ce point qui est évoqué par le rapport de l'Organisation Internationale du Travail. La robotisation du processus de production a deux avantages pour les industriels. Elle permet des gains de productivité, ce qui est normalement aussi favorable pour l'économie dans son ensemble en ayant un effet positif sur la croissance. En outre, elle permet de mettre un terme aux processus de délocalisations consistant à rechercher systématiquement le plus bas coût du travail. Il ne faut cependant pas craindre la robotisation de l'industrie manufacturière. Elle ne va pas survenir du jour au lendemain, ce qui devrait permettre aux gouvernements des pays concernés, s'ils sont suffisamment prévoyants, de mettre en place à temps des processus de reclassement et de remise à niveau de la main-d'oeuvre qui pourrait être amenée à connaître le chômage du fait de la robotisation. Il y aura bien sûr une partie de la population qui, en dépit de toutes les formations possibles, ne sera pas en mesure de se reconvertir professionnellement, comme l'avait déjà montré Alfred Sauvy dans les années 1970 au sujet de l'Europe. Pour autant, l'impact global net pour l'économie mondiale devrait être positif, surtout par l'intermédiaire de la hausse des gains de productivité. 

D'un point de vue géopolitique, quel est le potentiel de déstabilisation de cette mutation du secteur du textile ? Peut-on s'attendre à une hausse des migrations économiques ? Au départ de quels pays ? 

L'accentuation du phénomène migratoire sera inévitable dans les prochaines décennies, soit pour des raisons économiques, soit du fait du changement climatique. Les pays riches doivent s'y préparer mais, au regard de la gestion de la crise des migrants en Europe, ou du débat actuel sur l'immigration dans le cadre de la présidentielle américaine, tout indique que les responsables politiques ne sont pas prêts pour y faire face. La mutation technologique en Asie pourrait notamment entraîner des départs massifs des pays historiquement manufacturiers vers les zones en plus fort développement du continent, à l'instar de la Chine, de la Corée du Sud ou encore en direction de l'Océanie. De telles migrations sont, j'oserais dire, normales puisque l'Europe a connu le même phénomène il y a déjà plusieurs décennies de cela. Pour limiter l'impact négatif pour l'économie, les pays manufacturiers doivent, dès à présent, préparer l'avenir, ce qui passe par l'éducation. Souvent, dans bien des cas, le premier pas à franchir est d'offrir à tous un accès gratuit aux études supérieures. Comme on le constate, ce ne sont pas du tout les mêmes problématiques d'éducation qu'en Europe. En parallèle, les gouvernements doivent façonner le marché du travail et leur économie en la faisant monter en gamme, ce qu'ont par exemple réussi à faire la Corée du Sud ou Taïwan à partir des années 1970/1980. Ce n'est donc pas une mission impossible. Il faut simplement des responsables politiques éclairés.

Quels sont les différents processus technologiques qui impacteront le secteur du textile ?

Dans un premier temps, il va être question d'une automatisation du processus de production où l'être humain n'intervient que pour contrôler la machine. Il va y avoir une standardisation au niveau mondial de la manière de produire des biens. Mais, dans quelques années, peut-être même d'ici 10 ans, on pourrait avoir des applications commerciales, y compris dans l'industrie manufacturière, de l'impression 3D. Des chercheurs du MIT travaillent sur cette problématique depuis des années. Imaginez qu'on puisse quasiment tout reproduire grâce à l'impression 3D. Cela aurait des conséquences inimaginables sur le processus de production et sur le rôle de l'être humain à ce niveau. Nous allons vers une société qui est de plus en plus dépendante de la machine et où l'homme aura de moins en moins besoin d'intervenir. Cela suppose de réfléchir au partage du temps de travail, à l'encadrement des activités de la robotique et aussi à la relation homme-machines au quotidien. 

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