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Entre catastrophe redoutée par les uns et espoirs entretenus par les autres, quel impact ont vraiment eu les 1000 milliards d'euros injectés par la BCE pour soutenir l'économie européenne ?
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Money money money

Alors que la BCE mène depuis bientôt deux ans une politique active de rachat de dettes, les orientations de l'instance basée à Francfort ne font pas l'unanimité. Pourtant, sans ce quantitative easing, la situation économique de la zone euro aurait été bien pire aujourd'hui.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Lars Christensen

Lars Christensen

Lars Christensen est un économiste danois spécialisé en économie internationale, marchés émergents et politique monétaire ayant plus de 20 ans d’expérience au sein de gouvernements et d'établissements bancaires. Il est l'auteur du site marketmonetarist.com. Son compte Twitter : @MaMoMVPY.

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Atlantico : Depuis janvier 2015, la BCE a racheté plus de 1000 milliards d'euros de titres de dettes. Alors que cette action a davantage été source d'inquiétude que d'espoir auprès de la population, comment évaluer les apports de la politique menée par Mario Draghi ? Est-il possible d'imaginer ce qui aurait pu advenir si ce plan n'avait pas été mis en place ?

Lars Christensen : Globalement, j'étais très favorable au programme d’assouplissement quantitatif lorsqu'il a été introduit en 2015. Je trouvais par ailleurs que le volume des rachats de titres était le bon. Ceci étant dit, ce programme était selon moi le strict minimum pour sortir la zone euro de la crise et d'une déflation grandissante. Par conséquent, je crois aussi que si ce programme n'avait pas été mis en place, nous aurions assisté à une aggravation de la crise de la zone euro qui se serait davantage enfoncée dans une situation déflationniste.

Mon héros, le prix Nobel américain Milton Friedman, nous a appris que "l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire". Cela signifie que si l'on crée trop de monnaie, cela provoque de l'inflation mais cela signifie aussi que pour lutter contre la déflation, il faut créer plus de monnaie.

J'aimerais par ailleurs souligner que lorsque l'on évalue le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE, il faut se souvenir que la masse monétaire (c’est-à-dire la quantité de monnaie créée par la BCE) est une chose, mais que la demande de monnaie en est une autre. Ainsi, si la demande de monnaie augmente comparativement à l’offre, cela créera une situation déflationniste. Nous savons que c'est exactement ce qui s'est produit lors de la crise de la zone euro.

Par conséquent, les ménages, les entreprises et les institutions financières détiennent aujourd'hui beaucoup plus de liquidités qu'avant la crise de 2008, notamment parce qu'ils sont devenus moins enclins à prendre des risques mais aussi parce que de nouvelle régulations financières forcent les banques à stocker plus d'argent et autres "actifs sains" qu'avant 2008.

D'une certaine manière, on peut dire que le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE essaie simplement de compenser les conséquences fortement déflationnistes de la nouvelle régulation financière européenne.

Un autre problème est que pour être efficace, l'augmentation de la base monétaire devrait être permanente. Si la banque centrale échoue à confirmer que l'augmentation sera permanente, alors la politique monétaire sera moins efficace. Il s'agit essentiellement d'un problème de crédibilité. Tout le monde sait que la Bundesbank allemande adorerait voir une réduction du programme d’assouplissement quantitatif, ce qui signifie que ce programme de la BCE n’est pas tout à fait crédible, ce qui est l'un des principaux problèmes.

Frederik Ducrozet : Il est très difficile d'estimer les effets d'une des mesures de la BCE de façon isolée. Il est préférable de prendre les politiques dans leur ensemble et de tenir compte de leur complémentarité, ce qui rend l'estimation de leurs effets économiques d'autant plus difficile.

Le bilan du quantitative easing en termes d'efficacité économique est plus que mitigé. L'inflation - qui reste la cible principale de la BCE - n'est toujours pas atteinte un an et demi après le début du programme. Non seulement elle n'est pas atteinte (puisque l'inflation est proche de 0) mais la BCE prévoit de rater sa cible à l'horizon 2018.

Si l'on s'intéresse à une situation hypothétique dans laquelle il n'y aurait pas eu de quantitative easing, il apparaît que, selon la BCE, nous serions dans une situation beaucoup plus dramatique, voire en déflation.

Selon le biais de chacun, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide mais il est certain que sans ces actions, la BCE n'aurait pas pu éviter une situation de déflation.

D'une manière plus générale, quel est l'impact réel d'une politique monétaire sur l'économie ? Qu'est-ce que la politique monétaire "peut" faire, et qu'est-ce qu'elle ne peut pas faire ? Au regard du contexte actuel, il est régulièrement avancé que les banques centrales sont au bout de leur action, s'agit-il d'une réalité ? La BCE est-elle à court de moyens ? N'est-il pas dangereux d'insister ?

Lars Christensen : Une politique monétaire peut faire beaucoup, tout comme elle ne peut rien. Ainsi, une politique monétaire ne peut pas augmenter la croissance réelle du PIB sur le long terme, ce qui ne peut avoir lieu que par le biais de réformes structurelles - par exemple, des réductions d'impôt ou une dérégulation du marché du travail -.  

Néanmoins, il faut se rappeler ce qu'a dit l'économiste de l'école classique, John Stuart Mills, c’est-à-dire que la monnaie est comme une machine que l'on ne remarque pas quand tout fonctionne parfaitement, mais quand la machine échoue, tout s'écroule. C'est tout le problème de la zone euro depuis 2008. La BCE a globalement échoué à faire fonctionner la machine monétaire et par conséquent, la zone euro est toujours bloquée dans la crise. Les pires erreurs furent les deux hausses de taux d'intérêt extrêmement mal avisées en 2011, qui ont failli faire exploser la zone euro. Nous ne nous sommes toujours pas relevés de cette crise.

Les banquiers centraux ne devraient pas se comporter comme des pompiers qui courent pour éteindre des feux (qu'ils ont eux-mêmes créés). Les banquiers centraux devraient plutôt établir des règles claires et se fixer des objectifs bien définis. Il est extrêmement problématique de voir que la BCE a constamment raté sa cible d'inflation depuis 2008 (à l'exception du choc pétrolier de 2011-2012). Cela signifie que la BCE a échoué à s'assurer du bon fonctionnement de la "machine monétaire" en ne faisant pas TOUT ce qu'elle pouvait pour atteindre sa cible d'inflation. La politique monétaire, c'est 90% de communication. Si la communication est claire et montre une détermination à atteindre la cible d'inflation, alors il est facile d'atteindre cette cible, mais si d'un autre côté l'engagement n'est pas total, alors la tâche devient beaucoup plus difficile.

Frederik Ducrozet : Ce sont des questions assez délicates, sur lesquelles il n'y a pas de consensus et qui n'ont, pour la plupart, pas été tranchées.

Avant la crise, les mécanismes de transmission de la politique monétaire à l'économie réelle étaient bien connus. Ils passaient principalement par le canal des taux d'intérêt. Pour deux raisons, ces mécanismes fonctionnent moins bien aujourd'hui. Tout d'abord, on a atteint des seuils 0 et des taux parfois négatifs : le fait de baisser les taux pose alors mécaniquement plus de problèmes. Deuxièmement, la transmission de la banque centrale à l'économie réelle via les banques a été rendue plus difficile par la crise qui a engendré des tensions financières de natures différentes.  

Le quantitative easing que la BCE entend amplifier par des taux négatifs vise à passer par d'autres canaux que les taux d'intérêt ou les coûts d'emprunt pour les ménages et les entreprises. En effet, il vise à passer par des canaux de transmission comme le taux de change ou encore des rebalancements de portefeuille des investisseurs.

Si l'effet net sur l'économie réelle est toujours positif, on observe des rendements décroissants de l'action des banques centrales et de la BCE en particulier au fur et à mesure que les programmes s'étendent dans le temps.

Si une politique monétaire est efficace, dès lors, comment expliquer que 1000 milliards d'euros n'ont pas suffi à permettre une réelle relance de l'économie européenne ? Quels seraient les outils qui permettraient à la BCE d'être plus efficace qu'elle ne l'est ?

Lars Christensen : Je crois sincèrement que la politique monétaire peut être très efficace si elle est menée de la bonne façon quand il s'agit, par exemple, d'atteindre un objectif d'inflation - cela passe par un engagement clair et une détermination à tout mettre en œuvre pour atteindre l'objectif -. Cela implique aussi de bien communiquer sur le fait que l'expansion monétaire est permanente et que tant que l'objectif d'inflation de la BCE ne sera pas atteint, la base monétaire sera encore plus augmentée.

Il est certain que la BCE ne peut pas résoudre les principaux problèmes structurels de l'économie européenne. Mais la BCE peut et doit atteindre la cible de 2% d'inflation. Avec le bon engagement, c'est très facile à faire. Malheureusement, je crains que la BCE ne soit pas pleinement engagée à faire tout ce qu'il faut pour l'atteindre. Dans la mesure où les prévisions d'inflation au cours des dernières années n'ont cessé de chuter et sont bien en-deçà des 2%, la BCE aurait dû depuis longtemps annoncer une intensification de l’assouplissement quantitatif. Au lieu de cela, la BCE est restée silencieuse sur ses propres échecs à atteindre l'objectif des 2% et elle contribue elle-même à saper ses efforts en vue d'un assouplissement des conditions monétaires. Vous pouvez voir mes suggestions ici.

Frederik Ducrozet : Du point de vue de la BCE, la réponse - très défendable par ailleurs - est que d'autres acteurs, institutions publiques et privées, doivent prendre part à la relance - ce qui n'a pas été le cas -. Cela fait plus de cinq ans que la BCE fait des appels du pied aux gouvernements et aux régulateurs pour que des réformes de structure soient faites et que les conditions d'octroi de crédits et de financement des PME soient assouplies. En dépit de ces demandes, très peu de progrès ont été faits en la matière.

Par ailleurs, une explication plus simple - mais qui a probablement une part de vérité - réside dans les chocs qui sont intervenus successivement au fur et à mesure que la BCE tentait de relancer la croissance et l'inflation : ralentissement de la croissance chinoise, situation économique décevante partout dans le monde y compris aux Etats-Unis avec des révisions à la baisse des prévisions, et plus récemment, le Brexit qui a créé un nouveau choc de confiance qui vient renforcer les risques. Tous ces chocs ont freiné la BCE dans sa progression.

Ce que la BCE peut faire pour rendre son action plus efficace a, dans une grande mesure, déjà été fait. La BCE a mis en place des outils pour limiter les dommages collatéraux des taux négatifs pour les banques. Elle a des opérations de refinancement ciblées pour permettre de réduire ses risques et ses coûts. Elle peut probablement encore améliorer et changer son programme de quantitative easing - c'est tout l'objet de la réunion d'aujourd'hui -. Mais fondamentalement, une amplification de son action ne pourra avoir lieu sans une participation accrue des gouvernements et des régulateurs. Malheureusement, l'espoir d'une évolution en ce sens est infime.

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