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Communautarisme, rancœurs, criminalité et radicalisation : pourquoi la surreprésentation des hommes dans la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale pose un sérieux problème à l’Europe
©Reuters

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Loin d'avoir fait état de tous ses dangers, la crise des migrants, à la lumière d'un rapport du Pew Research Center, vient d'en révéler un autre : l'immigration en Europe est très déséquilibrée. Seuls 27% des migrants sont des femmes, ce qui n'est pas sans risques en matière d'intégration.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Selon un récent rapport du Pew Research Center, la crise des migrants a créé un déséquilibre criant dans les flux de migrations puisque seuls 27% des arrivants sont des femmes. Ce phénomène constitue-t-il un danger en soi ? Dans quelle mesure ce déséquilibre et son ampleur peuvent-ils s’avérer problématiques tant pour les migrants que pour la société qui les accueille ?

Laurent Chalard : Ce phénomène ne constitue pas forcément un danger en soi, dans le sens où c’est un schéma traditionnel des flux migratoires de certains pays pauvres vers les pays riches. Dans un premier temps, l’immigration est essentiellement masculine car les jeunes migrants hommes tentent leur chance seuls sans leur famille (femme et éventuels enfants), qu’ils espèrent faire venir ensuite si la migration est réussie. Cependant, l’ampleur du déséquilibre apparaissant particulièrement importante, il est légitime de se poser la question.

En effet, les potentiels risques de ce déséquilibre démographique entre les sexes sont de deux ordres. Le premier risque relève de la criminalité. Les études sociologiques ont montré que les hommes seuls immigrés dans un pays étranger ont des comportements déviants très supérieurs à la moyenne, conduisant à une augmentation de la criminalité au sens large, qui va du simple vol à la tire au meurtre. Parallèlement, l’isolement de certains migrants dans un environnement dont ils ne maîtrisent pas les codes peut en faire des proies faciles pour les recruteurs islamistes radicaux, d’autant que la majorité d’entre eux sont originaires du monde musulman. Leur présence accroît consécutivement le risque terroriste.

Guylain Chevrier : Tout d'abord, lorsqu'une immigration est essentiellement masculine, nous savons avons affaire à une immigration dominée par des motivations économiques. Cela souligne, dans le contexte actuel de politique d'accueil des réfugiés, le décalage avec la grille de lecture des dirigeants européens sur ce sujet. On a créé un appel d'air qui était à craindre derrière un discours d'accueil quasi inconditionnel. La Chancelière allemande a motivé cet accueil sur le fondement de ses valeurs chrétiennes, mais on ne gère pas les flux migratoires à coup d'idéologie, qu’elle soit religieuse ou pas. C'est un enjeu politique considérable, qui conditionne l'avenir d’une société, si on veut bien regarder ce que nous apprend dans ce domaine l’histoire du XXe siècle.

C'est d'ailleurs un vrai risque pour l'équilibre des sociétés d'accueil, au regard de l'équilibre interne aux groupes de migrants eux-mêmes. Intégrer, ce n'est pas seulement donner du travail ou des protections sociales, c'est faire que des individus qui viennent aujourd'hui de plus en plus loin, avec des cultures, une conception du religieux, à mille lieux de l'Europe et de la France, finissent par adhérer à une société d’accueil avec ses normes et valeurs, à nos principes démocratiques, à un rapport à la famille qui se lie à la citoyenneté. Pour cela, encore faut-il que les relais de l'intégration sociale existent, ou la famille joue un rôle tout à fait essentiel dans le cadre d'une immigration d'installation.

Peut-on espérer la féminisation de cette immigration, pour éviter les risques d’ordre communautaristes, où l’arrivée de plus de migrants produirait-elle également un risque pour le pays accueillant (France, Allemagne, etc.) ? A l’heure où le Royaume-Uni vote le Brexit et où partout en Europe progresse le nationalisme, quel est le plus grand risque ?

Guylain Chevrier : La féminisation de cette immigration dominée par les hommes ne réglerait pas tout, car il y a un autre problème qui ressort de cette situation. Nous n'en sommes plus à la politique d'un regroupement familial propre à des pays avec lesquels nous entretenons des liens historiques, les pays du Maghreb tout particulièrement ou certains pays africains. Beaucoup d'entre ces migrants sont en provenance de pays avec lesquels il n'y a aucun lien, voire point commun, vis-à-vis desquels nous ne sommes donc que peu ou pas préparés. La crise des réfugiés a encouragé à faire tomber des barrières qui étaient relatives à une immigration venue d’espaces géographiques traditionnels, avec lesquels il y a des repères. Une évolution qui pèse sur la capacité à accueillir et à intégrer qui reste dans l’étrange, telle une dimension absente de l’analyse, même lorsque l’on en fait parfois le constat. On a, avec ce discours inconditionnel d'accueil des migrants identifiés à des réfugiés, encouragé à l'élargissement des origines de départ des migrations, vers l’Europe et la France, de façon tout à fait inconsidérée. Telle qu’Emmanuelle Cosse (EELV), ministre actuelle du gouvernement, en a donné l’exemple, en appelant à l'accueil de tous les migrants, bien dans la tradition du parti vert. Une situation qui présage de retours de bâton, à plusieurs coups dans le temps, avec une note à payer au final que personne n’a envisagé.

Laurent Chalard : Il est évident que l’afflux de réfugiés en Allemagne devrait logiquement se concrétiser par une politique de regroupement familial, qui pourrait conduire potentiellement à l’arrivée dans les prochaines années de plusieurs millions d’individus supplémentaires (femmes et enfants) si cette procédure d’immigration était appliquée largement. Cette politique conduirait à une féminisation rapide des flux, permettant de se rapprocher de l’équilibre entre les sexes dans la population migrante sans l’atteindre complètement.

Cependant, dans le contexte actuel de terrorisme, de montée du communautarisme et de faible dynamisme économique, les nationaux des différents pays européens ne souhaitent plus accueillir de nouveaux migrants, considérant que la barque est déjà bien remplie et que tout afflux supplémentaire risquerait désormais de remettre en cause les fondements civilisationnels de l’Europe et son mode de vie. Les dirigeants politiques de l’Union européenne sont donc face à un dilemme difficilement surmontable. D’un côté, ils ont fait venir, sans réfléchir sérieusement sur les conséquences de leurs actes, beaucoup d’immigrés masculins, de l’autre, la féminisation souhaitable, pour rendre les flux mieux gérables, nécessiterait la poursuite du processus d’accueil de nouveaux migrants. On voit bien l’erreur dramatique de certains dirigeants européens, qui ont suivi une politique d’immigration purement économiciste, sans penser aux aspects culturels de l’immigration de masse, dont ils vont payer les conséquences dans les urnes.

L’arrivée massive d’hommes seuls davantage que de familles traduit-elle une immigration plus proprement économique qu’autre chose ? Jusqu’où ce phénomène illustre-t-il les éventuelles contradictions de la grille de lecture "réfugiés" ?

Laurent Chalard : Effectivement, l’aspect économique des flux d’immigration clandestine qu’a connus l’Europe depuis l’été 2015 est aussi important, voire plus, que l’aspect "réfugiés". En règle générale, les vrais réfugiés, qui quittent définitivement leur pays du fait de menaces de mort, migrent en famille et non seuls. Il s’avère dans les faits que de nombreux migrants à caractère économique du sud du bassin méditerranéen ou du Moyen-Orient ont profité de la crise des réfugiés syriens pour se faire passer pour des Syriens dans l’optique de saisir l’opportunité d’une rare occasion d’entrouverture des portes de l’Europe aux migrants.

Cette situation illustre au mieux la grande naïveté des décideurs politiques européens, au pire leur cynisme inouï, concernant le moteur premier de l’immigration vers l’Europe sur le plan structurel, c’est-à-dire les inégalités de développement entre le Nord et le Sud. Si la crise syrienne n’est que conjoncturelle, liée au conflit atroce que connaît ce pays, par contre les inégalités sont inscrites dans la durée.

Guylain Chevrier : Ce que l'on appelle la crise humanitaire liée à la guerre en Syrie, relative à une crise des réfugiés, n'est pas à confondre avec une crise des migrants nourrie par une immigration économique qui s'est greffée sur cette première. Les médias mettent beaucoup en avant les associations de soutien aux migrants, en prenant un point de vue moral, mais qui sert en réalité cette logique de confusion qui participent de toutes les dérégulations. A ne pas savoir tenir un cap ferme vis-à-vis de l'immigration économique, nous sommes dans une fuite en avant que ces chiffres révèlent brutalement. 

Un autre aspect qui n’est pas des moindre, tient au fait que ces hommes qui migrent sans leurs familles viennent pour travailler ou recevoir des aides, dont les bénéfices financiers sont ensuite en général renvoyés à celles-ci. Ils se sont donc pas ou peu en position de s’investir dans le pays d’accueil, amenant avec eux des contradictions économiques, qui ne sont pas plus négligeables.

Les flux de migrations sont monnaie courante dans le cours de l’histoire, particulièrement en Europe. A-t-on déjà été confrontés à un tel phénomène ? Quelles sont les leçons que l’on peut tirer du passé et les solutions qui pourraient être mises en œuvre pour contrôler la situation ?

Guylain Chevrier : Il faut absolument sortir de cette illusion d'un accueil sans condition et revenir à la définition de règles du jeu maîtrisables, en repensant l’immigration à l’aune de cette complexité nouvelle. Une situation dans laquelle un Haut conseil à l’intégration aurait eu toute son utilité, sacrifié en 2013, sur l’autel d’un Observatoire national de la laïcité mieux à la main du Président de la République. Nous sommes sur un point de risque, sinon de bascule avec l'immigration telle qu’elle se présente aujourd’hui, à travers les questions d'intégration qu'elle pose déjà, une immigration parfois ancienne pourtant, dont une part rejette malgré tout les valeurs et principes communs, conteste la République. Ce qui montre combien on ne saurait accueillir sans penser à l'avenir, aux conséquences, ici. Aller plus loin sans réviser la grille actuelle de lecture sur ce sujet, serait chercher à se mettre en danger. L'immigration ne peut être conçue comme un apport pour notre société qu'en répondant à des exigences de préservation de ces biens communs qui sont à son fondement, qui bénéficient à tous, nos principes républicains de liberté : du respect des libertés et droit individuels dont l'égalité hommes-femmes à la démocratie en passant par la laïcité, à la protection sociale...

Il paraitrait raisonnable de voir les choses beaucoup plus globalement, tout en tenant compte de l'avis de chaque nation. On doit arrêter de s'enfermer dans une politique étrangère, en la matière, dictée par une Union européenne soumise à la vision allemande, qui dans ce domaine n'a joué aucun rôle sérieux depuis des lustres dans les conflits ou les choses se jouent et ou la France, elle, s'engage. 

L'ONU doit jouer un rôle plus important sans doute ici, pour qu'un cadre d'aide au développement comprenant une maîtrise des flux migratoires par les pays d'origines, puisse être tangible. Il faut aider mais aussi sanctionner ces pays. La France peut prendre toute sa place dans l'initiation d'une telle démarche, à condition de dépasser le cadre contraignant européen qui est hors propos d'une diplomatie et de relations internationales bien pensées, capable de prendre en compte cette manifestation migratoire qui témoigne d’une nouvelle phase de la mondialisation. L’occasion de redonner à la politique, dans le sens noble du terme, tout son rôle.

Laurent Chalard : Si l’Europe a déjà été confrontée à un phénomène d’immigration de masse en provenance d’autres continents pendant les Trente Glorieuses, principalement d’Afrique du Nord et de Turquie, les flux se faisaient de manière légale, la migration étant organisée par le pays d’accueil, et ils étaient répartis dans la durée. Or, la nouveauté de la crise des migrants déclenchée à l’été 2015 est le caractère clandestin de la migration, c’est-à-dire non organisé par le pays d’accueil, et en un laps de temps restreint. Il s’agit donc d’une situation inédite. Si le caractère à dominante masculine de l’immigration n’a rien de nouveau, le contexte est, par contre, sensiblement différent.

Le rééquilibrage entre les sexes des flux migratoires à dominante masculine des Trente Glorieuses s’est effectué par l’intermédiaire de la mise en place d’une politique de regroupement familial, qui a permis aux immigrés de faire venir leur femme et leurs éventuels enfants. Cependant, a posteriori, cette politique apparaît comme un échec pour les populations extra-européennes, à l’exception notable des personnes originaires de la péninsule indochinoise, car elle a limité le processus d’assimilation et a conduit à la poursuite des flux, qui ne sont jamais taris, contrairement aux vagues d’immigration précédentes. En effet, le regroupement familial s’apparente à un "tonneau des Danaïdes", faisant que le flux d’immigration s’auto-entretient perpétuellement. Quand leur famille ne peut pas les rejoindre dans leur pays d’accueil, beaucoup d’immigrés préfèrent retourner vers leur pays d’origine, l’immigration étant pour eux à vocation temporaire, ou alors épouser une autochtone, s’ils souhaitent faire souche, engageant consécutivement un processus d’assimilation. Par contre, une fois que leur famille issue de leur pays d’origine est présente, l’immigration devient une immigration de peuplement, ce qui change la démographie du pays d’accueil dans un contexte de fin de l’assimilation. Le regroupement familial n’est donc probablement pas la bonne solution pour résoudre le problème.

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