Et pendant que tout le monde se livrait à l'analyse psychiatrique sauvage de Trump, ses électeurs, eux, continuaient à penser à leurs intérêts rationnels (mais qui s'intéresse à eux...?) <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Et pendant que tout le monde se livrait à l'analyse psychiatrique sauvage de Trump, ses électeurs, eux, continuaient à penser à leurs intérêts rationnels (mais qui s'intéresse à eux...?)
©Reuters

It's economy stupid !

A force de dire que Trump est soutenu par des idiots, on en finit par éviter la seule question intéressante, celle des motivations du vote Trump.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

Voir la bio »

Atlantico : Pourquoi est-ce que considérer les électeurs de Trump comme des idiots (par exemple en parlant de leur QI ou en les qualifiant de "rednecks") ne permet-il pas de comprendre la situation économique et sociale américaine actuelle ?

Gérald OlivierIl est toujours plus facile de se moquer que de chercher à comprendre. Les modes d'expression actuels, notamment numériques, invitent aux raccourcis, à la schématisation, et aussi à la dérision, parce que si l'on a envie de faire un tweet qui soit lu ou retweeter, il vaut mieux mettre une touche d'humour.

Mais au-delà de cela, il faut bien comprend que la popularité de Trump résulte de l'insatisfaction croissante d'une proportion croissante de l'électorat américain. En fait Trump a émergé en 2016 ; mais le phénomène qui a fait que Donald Trump est aujourd'hui candidat républicain n'a pas commencé en 2016 mais a commencé il y a 15-20 ans aux Etats-Unis. Il a commencé avec la mondialisation, avec une immigration beaucoup plus importante, il a commencé avec la fin de la guerre froide qui a éliminé beaucoup de repères internationaux pour les Américains…

L'Amérique a perdu sa place dans le monde, ou la définition qu'elle s'en faisait, et à partir de là, on a vu apparaître un grand nombre d'incertitudes dans la population américaine, liée aux difficultés économiques du pays, liées au fait que les populations, les élites et les médias ont ignorés ces problèmes pendant vingt ans ; et à la fin on aboutit à Donald Trump. La preuve que ces élites politiques, économiques et médiatiques n'ont rien vu venir dans cette histoire ? C'est que personne n'avait non plus prévu la popularité de Bernie Sanders.

Je l'ai dit et écrit : Sanders et Trump sont les deux faces d'une même médaille. C'est le même phénomène avec d'un côté un sentiment plus populiste et nationaliste qui va soutenir Trump et de l'autre un sentiment plus internationaliste et solidariste qui va soutenir Sanders.

A force de critiques permanentes (il suffit de regarder le nombre d'articles publiés dans les grandes rédactions américaines) visant Donald Trump et son programme, n'a-t-on pas atteint un plafond de verre au-dessus duquel plus rien ne convainc qui que ce soit ?

Certes, mais il y a un deuxième phénomène que personne n'a encore bien analysé, moi compris, qui est que la candidature de Donald Trump ne correspond en rien à ce qu'on connait des lois politiques et électorales habituelles. Malgré tout le personnage, avec un personnage comme Trump, avec ses excès de langage, de comportement, avec une expression limitée et des propres connaissances limitées n'aurait jamais dû dans un contexte normal arriver là où il est parvenu aujourd'hui.

La popularité de Donald Trump traduit inévitablement une évolution des comportements politiques. Ce qu'il y a derrière à mon avis, c'est que l'électorat dont nous parlions dans la première question, qui est un électorat de la petite classe moyenne, surtout âgé, parfois des minorités, tous les gens qui se sentent de plus en plus déclassés et ignorés des élites en sont venus à ne plus faire confiance aux élites et surtout aux média. Elles ne lisent même plus ces médias. Les médias traditionnels sont en concurrence avec la multiplicité des réseaux d'informations non-conventionnels propre au numérique, et n'ont plus l'influence qu'ils pouvaient avoir à une certaine époque. Les mainstreammedias (grandes entreprises d'information) n'influencent plus, car le virus de Donald Trump se nourrit dans l'anti-élitisme médiatique.

Autre fait important, c'est que malgré tout, mis à part Fox News, l'essentiel de la presse américaine est relativement neutre et plutôt orientée démocrate.

La société américaine est-elle brisée en deux camps : celui des winners et des losers, les uns voulant conserver le système et les autres le changer ? Qu'est-ce qui explique cette séparation en deux groupes ? Pourquoi est-ce que le camp de Trump est devenu majoritairement celui des losers aujourd'hui ?

Comme Trump est l'expression d'un mécontentement, c'est logique que son électorat, celui des perdants de la mondialisation que l'on retrouve dans ses rangs aujourd'hui. Mais le phénomène qui me frappe le plus aujourd'hui est le réalignement de la politique américaine. Les deux grands blocs des démocrates et républicains en place depuis le New Deal de Franklin Roosevelt avaient partagé l'électorat entre démocrates d'un côté qui étaient le parti des élites urbaines, des minorités et de la classe ouvrière contre les républicains qui étaient présents dans les campagnes et provinces, des petits commerçants et des artisans. Aujourd'hui ce modèle est en fin de vie.

Les démocrates restent le parti des minorités (ethniques et sexuelles surtout aujourd'hui). Mais il n'est plus le parti de la classe ouvrière. Si Trump arrive, et c'est son but, à convaincre les ouvriers à voter pour lui, il l'emportera. S'il remporte la partie dans la Rust Belt, c'est-à-dire la vieille ceinture industrielle (Pennsylvanie, Ohio et quelques états du Nord), s'il arrive à faire passer le message qu'il est du côté des victimes de la mondialisation, des losers, de cette classe ouvrière qui ne trouve plus d'emploi, il aura une forte chance de gagner. S'il échoue, ce sera Clinton.

De plus, le fait que Trump soit le candidat républicain, alors qu'il a été rejeté par une grande partie du GOP ces derniers mois, en particulier les conservateurs, montre que quel que soit le résultat, et surtout si les Républicains perdent, il y aura une reformation du parti. On est plus dans le cas d'un réalignement que dans un réajustement des losers.

Ne doit-on pas considérer que dans tous les cas, les électeurs votent avant tout pour le candidat qui répond à leur problème, pas à celui qui a la meilleure vision globale du pays ? Et ce, que cela soit Trump ou Clinton ?

Oui, tout à fait. En 1992, James Carville, le directeur de campagne de Bill Clinton avait déclaré cette phrase qui est restée célèbre aujourd'hui : "It's the economy stupid !" Cela voulait dire : dans une campagne présidentielle, c'est l'économie en place qui compte. Si l'économie va bien, c'est le candidat en place qui reste, si l'économie va mal, c'est le candidat adverse qui l'emporte et remplace le parti au pouvoir.

Dans une élection avec deux nouveaux candidats, comme c'est le cas aujourd'hui, c'est celui qui convaincra le plus sur son programme économique qui l'emportera. Trump doit faire un discours aujourd'hui à Détroit devant le club économique de la ville, dans lequel il doit détailler son programme économique, notamment en ce qui concerne les corporate tax rates (les impôts sur les bénéfices des sociétés) et un panel de mesure pour redorer l'attractivité américaine. A mon sens, ce discours est le plus important de la campagne de Trump. S'il convainc qu'il peut relancer l'Amérique (son slogan montrant bien qu'il s'agit de sa détermination centrale), il sera perçu comme un leader économique et aura une forte chance de l'emporter.

A l'arrivée, il ne s'agira ni de Russie, ni d'Iran, mais bien d'économie.

Les électeurs de Trump sont-ils aussi bêtes qu'on le prétend ? Le populisme flagrant de Trump est-il la grande nouveauté de ces élections, capable de mobiliser cette population ?

Il est certain que de par sa personnalité, son passé et son mode d'expression, Donald Trump ne va pas convaincre les intellectuels, les universitaires etc. Il sera plus compréhensible pour électorat populiste. On considère cela avec mépris, mais c'est méconnaître le fait que dans l'électorat américain, il y a toujours eu une forme d'anti-élitisme. C'est ce qu'avait montré assez tôt, l'historien Richard Hofstadter dans Anti-Intellectualism in American Life (1964). Trump, qui est moins bête qu'on le dit, sait qu'il y a cet électorat là qu'il peut mobiliser pour l'emporter. Et du fait de son parcours dans l'immobilier, il se différencie d'un Bill Gates ou d'un Steve Jobs en ce sens qu'il ne peut pas s'enrichir avec respectabilité, selon les élites ; il y un mépris, d'autant plus qu'il est une vedette de la télévision, donc de la culture populaire. Tout cela contribue à en faire la cible des élites, et c'est ce qui explique qu'il soit méprisé par les universitaires et tous les décideurs habituels.

Mais il a aussi derrière-lui des personnes issues de ces milieux intellectuels, d'Harvard et consorts, et d'autres chefs d'entreprise qui ont réussi, qui travaillent sur son programme et le soutiennent. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !