1er bilan touristique de l'été : derrière l'idée que Paris souffre quand les régions résistent, à quoi a ressemblé ce mois de juillet 2016 ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une région s'en tire plutôt bien : la Bretagne où la situation est contrastée mais plutôt stable sur la façade Atlantique.
Une région s'en tire plutôt bien : la Bretagne où la situation est contrastée mais plutôt stable sur la façade Atlantique.
©wikipédia

Tétéou ouououh

En juillet 2016, le tourisme français a connu une baisse de 4%. A l'exception de la Bretagne, l'ensemble du territoire est concerné, Paris et la Côte d'Azur en tête. Si les différents attentats sont en partie responsables de cette diminution du nombre de voyageurs, c'est aussi la succession de problèmes (grèves, manifestations, blocages) qui a engendré une plus grande défiance vis à vis de la destination France.

Didier Arino

Didier Arino

Didier Arino est directeur de Protourisme, cabinet d'études et de conseil en tourisme.

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Jean-Michel Hoerner

Jean-Michel Hoerner

Jean-Michel Hoerner, professeur de géopolitique émérite et président honoraire de l'Université de Perpignan, enseignant-chercheur à l'IDRAC-IEFT, auteur avec Catherine Sicart de Tourisme, une affaire de classe (Balzac Editeur, 2015)

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Atlantico : Alors que nous entrons dans la seconde moitié de l'été, quel est le bilan du tourisme français pour le mois de juillet 2016 ? Quelles sont les régions de France qui ont réalisé une bonne première partie de saison ? A l'inverse, quelles sont les zones qui ont souffert de la désaffection des touristes ? 

Didier Arino : A l'issue de ce mois de juillet, on constate une baisse d'un peu plus de 4% des nuitées marchandes avec une baisse plus marquée pour Paris (baisse de plus de 10%) et pour la côte d'Azur (toute la région de Nice).

Les régions les plus impactées sont celles qui dépendent des clientèles étrangères, et notamment des clientèles long courrier (la Normandie, les châteaux de la Loire).

Une région s'en tire plutôt bien : la Bretagne où la situation est contrastée mais plutôt stable sur la façade Atlantique.

Dans le reste du pays, on observe une diminution des nuitées que ce soit à la campagne, à la montagne, dans les zones rurales et même dans les villes. On a vu un retournement de situation au cours du mois de juillet : des villes qui s'en sortaient plutôt bien et progressaient mois après mois, à l'instar de Bordeaux, sont passées en négatif.

Cela est lié à une très forte baisse des clientèle étrangères (en long courrier mais aussi une baisse des clientèles européennes), mais aussi au fait que moins de Français partent en vacances et ceux qui partent privilégient de plus en plus l'étranger.

Deux acteurs s'en sortent bien : l'hôtellerie de plein air haut de gamme et les parcs à thème qui, à l'exception de Disneyland, sont en progression.

Jean-Michel Hoerner : En cette fin juillet 2016, le tourisme français semble avoir beaucoup souffert, beaucoup plus en tout cas que ce qui était prévu, même après les attentats de novembre à Paris. Non seulement, les touristes assez riches et notamment étrangers craignent de séjourner en France en raison sans doute de l’engagement de notre pays à l’international qui pourrait conduire à des politiques de vengeance des islamistes, mais d’une façon générale, le climat ne semble pas à la fête. A cela s'ajoutent des conditions météo qui n'ont pas été très favorables. Les régions favorisées par le tourisme sont souvent un peu marginales et concernent des populations moins aisées alors que ce sont les grandes villes, Paris en tête, qui attirent le plus de touristes, notamment fortunés, bien qu’elles subissent beaucoup de contraintes touristiques. 

D'une façon générale, au cours de ce mois de juillet, Paris a beaucoup souffert et la province s'en est plutôt bien sorti. Le problème de Paris est que c'est une ville qui a beaucoup misé sur le haut de gamme, les palaces. En effet, il y avait au moment du lancement de cette politique haut de gamme en 2010 un grand espoir, mais ça n'a pas marché : les touristes fortunés viennent moins. 

Est-il vrai que Paris souffre d'une baisse du tourisme profitant à d'autres grandes villes ? Si oui, lesquelles ? 

Didier Arino : Comme je l'ait dit, Paris est la destination en France qui a le plus souffert d'une baisse du terrorisme. Cela n'a pas vraiment profité à d'autres grandes villes car quasiment tout le territoire hexagonal est passé en négatif. 

Jean-Michel Hoerner : Paris et Londres sont les deux plus grandes métropoles touristiques d’Europe et même du monde. Or Paris, depuis 2015, subit une nette baisse de fréquentation. La capitale française compte la majorité des dix-neuf palaces français et personne ne pensait que sa notoriété serait menacée. Personne, même, n’imaginait un revers général, soit par exemple une baisse du taux d’occupation de plus de 30% des palaces. D’autres grandes villes européennes ont connu une grande extension touristique mais même Londres n’a pas vécu un tel revers. Autrement dit, le cas de Paris reste vraiment exceptionnel, bien au-delà par exemple du cas de Bruxelles. Tout cela répond à plusieurs facteurs : Paris est la capitale du monde et sa notoriété qui reste exceptionnelle, est fragile ; tout le monde connaît et envie la situation de la capitale française, notamment les auteurs islamistes des attentats ; enfin, le tourisme est la réponse à la barbarie et Paris a, sur ce plan, beaucoup plus d’atouts qu’on ne le pense. 

Quelles sont les spécificités de ce mois de juillet pour le tourisme français, tant en termes de destinations en vogue, de provenance des touristes, des modes transports et de logement privilégiés ?

Didier Arino : Le camping tire son épingle du jeu avec des opérateurs comme Sunelia ou Yellow Village qui sont en forte progression. Pour les hôteliers sur le littoral, la situation est plutôt contrastée. Tous les autres modes d'hébergement sont en baisse. De plus, si Airbnb est en progression, la location entre particuliers est globalement aussi en baisse au cours du mois de juillet. 

Jean-Michel Hoerner : La France est la destination privilégiée de beaucoup de touristes dans le monde, parmi lesquels les Européens en général, les Russes, les Américains, les Japonais et les Chinois. Il faut rappeler que parmi les quelque un milliard deux cents millions de visiteurs internationaux dans le monde chaque année, beaucoup visitent la France qui reste particulièrement attractive. En matière de modes de transport, la France est bien dotée et demeure très ouverte : autoroutes, voies ferrées et surtout une multitude d’aéroports. La situation de la France est donc favorable à son développement touristique. Enfin, et c'est la grande suprise, on a vu se développer au cours de ce mois de juillet un tourisme populaire, moins élitiste : les voyageurs privilégient les campings, les gîtes, l'hébergément collaboratif type Airbnb (10 millions de personnes ont choisi Airbnb depuis le mois de janvier). 

Quelle part attribuer aux attentats dans la moindre affluence de touristes ? Quels sont les autres facteurs entrant en jeu ?

Didier Arino : On parle des attentats mais c'est la succession des problèmes qui a généré une défiance vis-à-vis de la destination France : succession d'attentats bien sûr, mais aussi les grèves, les blocages, les affrontements entre les taxis et Uber. A cela s'ajoute une communication négative sur les réseaux sociaux relatives à certains "incidents" : Courteney Love bloquée en voyant des taxis et des Ubers se taper dessus, des touristes chinois qui se font détrousser à Paris etc.

On parle des facteurs externes mais on devrait se poser des questions quand au moment du chassé-croisé, le personnel navigant d'Air France se met en grève (juste après la grève des contrôleurs aériens et des pilotes). Certaines assurances américaines ne couvrent pas leurs ressortissants lorsqu'ils viennent en France. Il faut peut-être arrêter de se tirer une balle dans le pied. 

Jean-Michel Hoerner : On l’a dit et on doit le répéter, les attentats et les risques d’attentats freinent l’expansion touristique de la France. En fait, c’est surtout l’effet de répétition qui est en cause et même la valeur d’exemple. Ainsi, les 84 morts de la promenade des Anglais à Nice semblent avoir moins de conséquences que l’assassinat d’un prêtre dans une petite église normande ! Cela paraît invraisemblable et pourtant le rapprochement des religions lié à cet acte barbare donne un autre sens à la communauté touristique : les conséquences géopolitiques ont été vite balayées et on a imaginé une sorte de solidarité étrange entre tous les touristes potentiels ! En fait, on oublie ce qu’est vraiment le tourisme lorsqu’on ne prend plus en considération les catégories de visiteurs les plus riches. Les voyageurs des classes moyennes, à l’exclusion donc des plus aisés, veulent vivre un esprit de communauté et on n’a pas fini d’en découvrir les véritables ressorts…

Quels défis le secteur du tourisme français devra-t-il relever au cours des prochaines années ? Que devra faire la France pour rester compétitive face à des pays tels que le Portugal ou l'Espagne qui deviennent de plus en plus attractifs ? 

Didier Arino : Tout d'abord, la France doit arrêter de générer ses propres problèmes (blocages, grèves, manifestations, problèmes de sécurité).

Deuxièmement, le tourisme est un marketing de l'offre : cela suppose que tous ceux qui savent investir, progresser en termes de qualité, être compétitif non pas par le prix mais par la qualité s'en sortent. Il faut donc innover. Il est temps que le pays ait une vraie politique touristique. Depuis le début de l'année, la France a perdu plus de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires du tourisme hexagonal, et si la France veut rester compétitive, elle doit créer de l'hébergement, sortir de ces normes absurdes et favoriser l'investissement. 

Jean-Michel Hoerner : Le tourisme français comme le tourisme international va sans doute cesser de se développer à plus de 5% par an, du moins pendant les prochains mois, voire les futures années. Cependant, personne n’imagine la fin d’un succès déjà très prometteur. D’ailleurs, si l’Espagne, l’Italie et le Portugal attirent davantage de touristes, ce n’est pas pour compenser le recul de la France mais pour pallier les défaillances de la Tunisie et de la Turquie notamment. Il peut s’agir d’un paradoxe : les touristes sont un peu moins nombreux en France mais leur retour est évident quand on observe les atouts de notre pays et même son état d’esprit. La France touristique est attractive depuis plus de cent ans et, même si parmi ses 85 millions de visiteurs, beaucoup ne font que traverser le territoire, notre pays a toujours cultivé son esprit d’accueil. En fait, l’avenir du tourisme en France va dépendre de la qualité d’accueil et des rôles que jouent l’hôtellerie en général, l’hôtellerie de plein air, les célèbres gîtes d’accueils nés, au demeurant, en Allemagne, et les hébergements collaboratifs de type Airbnb. Pour l’instant, on se soucie surtout d’un état d’esprit mais il faudrait mieux prendre en compte la complexité de l’industrie touristique…

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