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Le jour où à 20 minutes près, l'Amérique a bien failli être française
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THE DAILY BEAST

Comment l'orgueil français a déterminé le sort de l'Amérique du Nord...

Robert Bateman

Robert Bateman

Robert Bateman enseigne l'histoire militaire à l'Académie militaire des Etats-Unis, mais également à l'université George Mason et à celle de Georgetown. 

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Copyright The Daily Beast par Robert Bateman (traduction Gilles Klein)

Les Plaines d'Abraham se trouvent dans ce qui est maintenant le centre de la ville de Québec, au Canada, juste à côté du fort de Québec et des remparts de la vieille ville.

Imaginez les longues lignes d'uniformes rouges britanniques à l'ouest, et les rangs serrés des Français en blanc, le dos au mur de la ville. Il faut être seul, qu'il n'y ait personne, pour bien visualiser cet espace vide comme un champ de bataille.

Allez-y un matin. Un matin, il y a 257 ans, au lever du soleil, le destin d'un continent, et peut-être du monde, a changé quand un régiment de Britanniques et de Rangers américains est arrivé au sommet de la falaise, et avec deux salves de mousquets a écrit l'Histoire.

Cette bataille en 1759 est le moment culminant de ce que nous appelons la French and Indian War (et que le reste du monde connaît sous le nom de Guerre de 7 ans). Oui, la guerre va continuer encore pendant un an, mais ce jour-là, ces vingt minutes ont fait la différence.

Le conflit durait depuis cinq ans. Les premières victoires françaises sur ce continent ont eu lieu le long des lacs Champlain et George (voir Le dernier des Mohicans) sous le commandement du Marquis de Montcalm. Mais cette série de succès n'a pas duré.

Avec l'arrivée du général James Wolfe à la tête des troupes coloniales britanniques, la situation s'est inversée. Les Britanniques avaient déjà capturé la forteresse de Louisburg l'année précédente, quand Wolfe n'était encore que colonel, mais cela a suffit pour ouvrir le fleuve Saint-Laurent à la flotte britannique. Puisqu'ils contrôlaient l'accès maritime au fleuve, la remontée vers le joyau de la colonie française était la prochaine étape. Wolfe, revenu de Grande-Bretagne, fut nommé brigadier général et chargé de l'assaut britannique. Il avait 32 ans, mais ne verra pas sa 33e année.

La ville de Québec en 1759 était impressionnante. Elle avait été construite là où le fleuve Saint-Laurent se resserre, et vue de l'eau, construite sur les hauteurs; une attaque pouvait donc ressembler à un cauchemar. Les Britanniques avaient déjà essayé, en vain, depuis 1690. Mais comme toutes les forteresses, elle avait ses points faibles. Et ici, il y en avait deux : l'emplacement géographique et l'orgueil français.

Toutes les tentatives britanniques précédentes avaient échoué face à la difficulté de remonter le Saint-Laurent sans moteur. Les rochers, récifs, marées, courants, faisaient du fleuve lui-même un redoutable adversaire. Et c'est là où l'orgueil français a pris le dessus. Les commandants de l'armée de terre suppliaient Versailles pour obtenir de quoi renforcer les défenses. Mais pour les marins, les vains efforts des Britanniques montraient que Québec était un bastion infranchissable. A Versailles, où l'on manquait d'argent, on était très sensible à cette thèse optimiste.

Mais la ville de Québec était vulnérable. Pas du côté du fleuve, où toute attaque était suicidaire, mais du côté de la terre. Les défenses y étaient en mauvais état. Depuis des dizaines d'années, faute d'argent, elles étaient mal construites, mal entretenues, et voyaient régulièrement leur renforcement interrompu par l'administration royale qui cherchait à faire des économies dès que cela paraissait possible. Les Français ont perdu leur pari, parce qu'ils n'ont pas compris les changements intellectuels et administratifs qui s'opéraient au sein du Royaume-Uni.

Nous savons ce qu'est la bureaucratie, parce que nous sommes habitués à la voir à l'oeuvre. C'est une catastrophe. Quelque chose à éviter. Mais pensez à ce que c'était dans le passé. Dans les années 1700, c'était l'époque de l'innovation, nettement mieux que l'époque quasi-médiévale qui a précédé. Et les Britanniques étaient en tête du mouvement. Ils avaient créé des institutions de régulation, et ils les avaient mis en oeuvre pour faire face aux problèmes complexes de la construction navale, de l'hydrographie, de la cartographie et toutes sortes de sujets qui paraissaient encore ésotériques. C'était exceptionnel à l'époque. Par exemple, la Royal Navy avait commencé à cartographier les océans de toute la planète. Pas seulement l'aspect de la frange côtière, mais aussi la profondeur d'eau, et le type de fond sous l'eau, le plus détaillé possible.

Les Français ? Ils ne travaillaient pas autant. Faire appel à un expert, un guide local, était nettement moins cher que de se lancer dans un travail de recensement hydrographique. Ils n'ont donc jamais été dans cette direction. Pour eux, les risques posés par la navigation sur le Saint-Laurent étaient des barrières infranchissables pour tous ceux qui les attaquaient. Et c'était en partie vrai. Depuis l'embouchure du Saint-Laurent, Louisburg que les Anglais avaient pris en 1758, jusqu'à Québec, il y avait 650 miles nautiques, dont au moins 300 environ étaient particulièrement dangereux.

Dans les années 1600, et au début des années 1700, les Français n'avaient pas tort. Les marées pouvaient atteindre cinq noeuds dans un sens, et trois noeuds dans l'autre, assez pour gêner la progression d'un bateau à voiles ou tiré par des rameurs. Mais ensuite, les Britanniques se sont mis à cartographier l'intégralité du fleuve au fur et à mesure de leur remontée. ce que les Français n'avaient jamais fait en 150 ans. Les Anglais, eux, l'ont fait méthodiquement, appuyés par leur système "bureaucratique". Les Français croyaient, avec leur orgueil, que personne ne le ferait. 

Donc, au printemps 1759, les Britanniques remontent le fleuve, et les Français sont surpris. Un détail montre la compétence de la Royal Navy : l'un des spécialistes de cette cartographie soigneuse n'était autre que James Cook (alors lieutenant). Oui, le fameux Cook qui tournera plus tard autour de la Terre, avant de mourir à Hawaï. Noter chaque danger, chaque profondeur, le rythme de la marée, les vents dominants, c'est ce que la Royal Navy a apporté au commandant en chef britannique, James Wolfe. Elle le dépose sur l'ile d'Orléans en juin 1759.

Impressionné par la taille des défenses quand il arrive avec son armée et sa flotte, Wolfe commence par lancer un siège traditionnel, mais complexe vu la combinaison de l'aspect nautique et de l'aspect terrestre.

En fait, il y avait le Saint-Laurent lui-même, plus une rivière appelée Charles, et, à droite, une branche nord du Saint-Laurent, à la fin de l'île d'Orléans. Les trois se rejoignaient dans un bassin juste devant Québec. Il fallait donc se demander comment attaquer par la terre, alors que juste à côté, le fleuve était si étroit.

Wolfe a d'abord pensé attaquer au nord, mais cela n'a pas marché. Il avait débarqué des troupes, mais les Français continuaient à recevoir du ravitaillement depuis l'intérieur du Canada. Le siège n'était pas complet.

Un tel siège ne pouvait durer. Wolfe, en pleine campagne, hors les murs, devait battre les Français avant que le terrible hiver canadien n'oblige la flotte à se retirer, et le laisse avec ses hommes, geler sur place. De plus , a santé n'était pas bonne. C'est la Royal Navy qui va lui sauver la mise, avec 50 navires au bout de trois mois de siège.

Au vu de leurs relevés, les Britanniques pensaient pouvoir passer au pied de la forteresse, plus haut sur le fleuve. Et ils l'ont fait. Wolfe pouvait ainsi choisir d'autres options, et il a mis des troupes sur la rive Sud du Saint-Laurent.

Puis, la flotte a pu aller et venir sur le fleuve, et permettre à Wolfe de déposer des troupes sur la rive Nord. Tout cela était risqué, mais les Français étaient perturbés par tous ces mouvements.

A 3 h du matin, le 13 septembre 1759, le brigadier James Murray débarque au pied des falaises, en amont de Québec. Wolfe le suit.

La légende dit qu'un officier anglais parlant français a fait croire aux soldats français qui dominaient la zone du débarquement que des Français arrivaient, leur permettant de débarquer sains et saufs. Puis, ils réussirent à contourner et prendre l'avant-poste français ouvrant la route vers le sommet. Avec 200 hommes d'un bataillon léger, le lieutenant colonel Howe lance l'assaut. En une heure, il offre une tête de pont à Wolfe.

A 6h45, la mauvaise nouvelle arrive à Montcalm: des forces britanniques sont présentes sur la rive sud du fleuve, là où les défenses sont en mauvais état. Et le Français prend une fatale décision : il va affronter les Anglais, hors de ses murs, à découvert, avec ses troupes régulières, sa milice canadienne, et ses alliés indiens.

Montcalm sort des murs vers 8h00, même si l'horaire est imprécis. Il envoie ses alliés sur les flancs des forces anglaises qui subissent de lourdes pertes. Puis, au bout d'une heure, ses troupes régulières sont en place pour affronter les 4 500 Britanniques. Mais Montcalm a un souci avec ses hommes. Un problème qu'il a lui-même provoqué.

En théorie, Montcalm a cinq bataillons de soldats français professionnels, mais en réalité il en a nettement moins. Pour deux raisons. La première parce qu’il a dû envoyer des détachements pour protéger d’autres régions du Canada. La seconde parce que les conditions de vie humaines et matérielles sont très dures dans cette région. Pour compenser ces pertes, Montcalm a commis l’erreur d’incorporer au milieu de ces professionnels des miliciens canadiens. Cela a regonflé les effectifs, mais ces miliciens ne se sont jamais vraiment intégrés au sein de cette armée régulière. Ils n’ont pas pu, faute de temps, apprendre la discipline et passer d’hommes habitués à réagir de manière individuelle à des fantassins rompus au combat en ligne.

A cause de ces renforts inégaux, le niveau global des troupes a baissé. Ironie du sort, ces hommes en formations légères qui avaient attaqué les flancs de l’armée britannique, y avaient provoqué de lourdes pertes avec des escarmouches. Mais sur le front central, leur présence est catastrophique. Au fur et à mesure que la ligne française se rapproche de la ligne britannique, elle se délite.

Car, problème supplémentaire, les régiments français comprennent aussi des soldats peu disciplinés arrivés récemment de métropole, qui s’ajoutent aux miliciens. Les Français avancent en ordre dispersé.

Exemple avec ce régiment qui ouvre le feu trop tôt alors que ses fusils sont hors de portée de l’ennemi. Ils prennent du temps à recharger avant de continuer à avancer. Face à eux, les Britanniques les attendent de pied ferme.

Quand les Français sont à leur portée, les Anglais subissent un premier tir sans broncher. Le général Wolfe leur a ordonné de charger leurs fusils avec deux balles. Quand les Français sont tout proches, ils sont reçus par une double volée de munitions.

Au passage, Wolfe reçoit trois balles, mais il survit assez pour savoir qu’il a gagné. Avec deux balles, la portée des armes Britanniques a diminué mais elle a fait des ravages. En moins de 20 minutes, les lignes françaises ont été décimées. Les Français ont subi la majorité de leurs pertes, et la Nouvelle France est aussi perdue.

Difficille d’estimer avec exactitude les pertes françaises : entre 600 et 1 500 hommes ont été touchés. Près d’un homme sur quatre a été tué ou blessé. C’est un choc. Les Français reculent vers l’intérieur des murs. Montcalm meurt sur place, et sera enterré peu après.

Allez dans les plaines d’Abraham un matin. Vous entendrez, peut être, la nervosité des nouvelles recrues françaises qui affrontent le feu pour la première fois sous les couleurs de leur roi, aux côtés de vétérans qui ont trente ans de service. Vous entendrez peut-être les ordres dans les rangs des Habits Rouges : "Tenez bon, attendez les gars ! OK ! Feu !".

* Les Britanniques et les Américains n’ont pas la même vision de l’utilisation de leurs forces navales à cette époque. Les Britanniques veulent contrôler les océans. L’armée de terre est une force que l’on débarque quand c’est nécessaire. Les Français voient plutôt la Marine comme un moyen de transport et de ravitaillement d’un point A à un point B, en évitant des combats inutiles pour pouvoir débarquer leurs armées afin de contrôler les terres.

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