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Comment le regroupement familial est devenu largement dévoyé dans sa pratique
©Reuters

Immigration

Depuis sa naissance, le regroupement familial a connu de nombreuses mutations. Ces dernières ont complètement modifier le profil même de l'immigration.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : Le maire divers droite de Rive-de-Gier (Loire), Jean-Claude Charvin, a créé la polémique en annonçant ce mercredi qu'il refuserait dorénavant "systématiquement" tout rapprochement familial dans sa commune, à cause du terrorisme. Au-delà du lien de cause à effet, quelle est la réalité du regroupement familial aujourd'hui ? Combien de personnes sont concernées ?

Michèle Tribalat : En gros, nous avons deux sources pour évaluer les flux migratoires : les enquêtes annuelles de recensement et les statistiques du ministère de l’Intérieur.

Nous ne connaissons les motifs d’entrée en France que par le biais des statistiques produites par le ministère de l’Intérieur à partir du fichier de gestion des titres de séjour - AGDREF - en compilant les premiers titres de séjour délivrés chaque année (année qui ne correspond pas forcément à l’année d’entrée réelle). Depuis septembre 2009, les visas de long séjour valant titre de séjour ont remplacé les premiers titres délivrés en préfecture pour un certain nombre de catégories. Ils sont également intégrés par l’OFII dans AGDREF, avec un peu de perte en ligne.

Il faut savoir que le regroupement familial n’est qu’une composante des flux familiaux correspondant à une procédure particulière : la demande par un étranger de faire venir sa famille. S’y ajoutent les membres de familles de Français et une procédure de rattrapage qui consiste à admettre au séjour des personnes en raison de leurs liens personnels et familiaux lorsqu’elles n’entrent pas dans le cadre de la législation. Entre 80 000 et 95 000 personnes se sont vues délivrer un premier titre de séjour pour raison familiale entre 2007 et 2015, 89 500 en 2015 (chiffre provisoire). En fait, c’est un peu plus si l’on y ajoute les étrangers entrés mineurs qui sont en France depuis des durées variables et à qui l’on délivre un titre de séjour à 18 ans ou un peu avant s’ils travaillent. Sur les 89 500 titres délivrés en 2015 pour motifs familiaux, la procédure de regroupement familial ne représente 27 %. Plus de la moitié le sont à des membres de famille de Français. Le reste correspond à la procédure de rattrapage (18 %).

Selon vous, la migration familiale était au départ engendrée par la migration économique, mais ce n'est plus le cas. Vous parlez alors "d’auto-engendrement des flux familiaux". En quoi consiste ce phénomène ? Quelles mutations du regroupement familial l'ont permis ?

Cet auto-engendrement est bien saisi à travers l’entrée de familles de Français. Ce sont des étrangers qui entrent en France le plus souvent pour rejoindre un conjoint Français. Une enquête réalisée en 2006 par la DREES avait montré qu’un peu plus de 60 % de ces Français étaient eux-mêmes d’origine étrangère. La proportion dépassait 80 % pour les Français rejoints par des Algériens. On a là des migrations qui se produisent à l’occasion d’un mariage célébré à l’étranger ou en France. J’ai estimé qu’en 2006, c’était 56 % des mariages célébrés à l’étranger et 46 % des mariages dits mixtes (d’après la nationalité) célébrés en France qui débouchaient sur une immigration en France. Cette proportion était de 94 % pour les mariages célébrés en Algérie. On a pensé naïvement, dans les années 1970 et 1980, qu’en faisant obstacle à la migration économique, on réduirait considérablement, du même coup, la migration familiale. Or les flux familiaux et les enfants nés en France ont suscité la venue de conjoints des pays d’origine. Nous avons donc là des étrangers qui migrent à l’occasion d’un mariage. Il est donc risqué d’interpréter les données d’état civil sur les mariages mixtes comme un signe d’intégration. Ils sont pour partie le résultat d’une endogamie religieuse ou ethnique. Les champions étant les personnes d’origine turque qui, même lorsqu’elles sont nées en France, se marient très préférentiellement avec des migrants turcs et très souvent en Turquie. 

Le regroupement familial peut-il également amener à des dérives, comme des situation maritales intéressées, en vue d'acquérir la nationalité française ? Que savons-nous à ce sujet ?

Ces abus existent bien sûr mais je ne connais pas de statistiques sur le sujet. Le but n’est pas tant d’acquérir la nationalité française que d’avoir des papiers en règle. Il faudrait pourtant se garder de penser que ces dérives expliquent l’importance de ces mariages et des flux qui en résultent. Des alliances se forment entre les diasporas et le pays d’origine. Une petite moitié des personnes nées en France d’origine maghrébine, sahélienne ou turque, trouve un conjoint (ou la famille le trouve pour elles) dans le pays d’origine (enquête Teo 2008). C’est à peine plus de 20 % chez celles d’origine européenne, pour lesquelles les unions avec des autochtones sont majoritaires.

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