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Dis moi comment les Français se positionneront sur cette double alternative et je te dirai ce que sera le résultat de 2017 : "état émotionnel d’urgence ou business as usual", "optimisme ou pessimisme sur notre avenir"
©Reuters

Madame Irma

Alors que la présidentielle de 2017 approche à grands pas, les discours déclinistes fleurissent en France mais également dans le reste des sociétés occidentales. Associé au besoin (ou non) d'urgence dans l'action politique, ce thème pourrait bien façonner le débat présidentiel de l'an prochain.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Lors de son discours d'investiture du Parti démocrate, Hillary Clinton s'est montrée résolument optimiste, tranchant avec le ton pessimiste de la rhétorique de Donald Trump. "La seule chose dont il faut avoir peur, c'est de la peur elle-même", a-t-elle déclaré, citant Franklin D. Roosevelt. En France, est-il possible d'imaginer un candidat à l'élection présidentielle de 2017 tenir ce genre de discours basé sur l'optimisme ?

Bruno Cautrès : Il me semble peu probable qu’un ou une candidate à l’élection présidentielle de 2017 placera une vision « optimiste » au cœur de sa campagne électorale. Cette élection sera marquée par la gravité de la situation dans le domaine économique (la fameuse « inversion de la courbe du chômage » n’aura pas eu lieu de manière nette en 2017) et dans le domaine sécuritaire (terrorisme). La campagne électorale sera l’occasion d’un affrontement sans concession entre l’actuel pouvoir exécutif et ses deux principaux challengers : la candidate du Front national (Marine Le Pen) et le candidat choisi par la primaire de la droite (Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy). On voit déjà que le thème de la sécurité et que le bilan de la politique de lutte contre le terrorisme sera l’occasion d’un affrontement très important; les questions du chômage, des dettes publiques et de l’avenir du « modèle français » dans le domaine socio-économique seront également fortement présentes. La dimension « anxiogène » des discours politiques sera omniprésente du côté des challengers : il s’agit à la fois d’une figure de style classique, les challengers dans une élection ont une tendance naturelle à la dramatisation (et le pouvoir en place a de son côté une tendance naturelle à expliquer que « ça va mieux ») et d’une donnée conjoncturelle tant les électeurs sont marqués par la question de la sécurité face au terrorisme. Bien entendu, chaque candidat voudra également montrer que si l’on suit son programme « on peut s’en sortir » et revenir vers une vision plus positive. Mais ce discours tourne un peu à vide aujourd’hui. 

Au vu du contexte politique et sociétal actuel et des attentes des Français, dans quelle mesure peut-on dire que la présidentielle de 2017 pourrait s'articuler autour de deux thèmes : le pessimisme (vis-à-vis de la mondialisation et du multiculturalisme, un sujet déjà très présent dans la campagne américaine aujourd'hui) et le sentiment d'urgence (notamment sur le thème du terrorisme, avec la question de l'équilibre à trouver entre efficacité et respect de l'Etat de droit) ?

Jérôme Fourquet : En ce qui concerne le thème du pessimisme, vous avez raison de souligner qu'il est très présent dans la campagne présidentielle américaine entre Hillary Clinton et Donald Trump. On l'a par ailleurs également beaucoup vu au Royaume-Uni pendant le vote sur le Brexit. Cette question du déclin de l'Occident, de ce que Gaël Brustier appelle la "panique morale", est très présente aujourd'hui.

Ce paradigme était déjà présent en 2012, peut-être plus sur l'aspect économique : quelle place pour la France dans la mondialisation, et est-elle capable de tenir son rang ? La situation ne s'est pas arrangée de ce point de vue-là – c'est le moins que l'on puisse dire – et à cela s'ajoutent maintenant des angoisses identitaires, sécuritaires et sur le vivre-ensemble. Regardez le nombre d'articles qui commencent ou finissent par "Comment a-t-on pu en arriver là ?". Comment se fait-il que des milliers de jeunes de notre pays soient à la dérive et soient dans une telle haine vis-à-vis de leur propre pays ? Comment se fait-il que des jeunes de 19 ans prennent un couteau et égorgent un prêtre dans une église ?

Notre société paraît donc bien malade pour sécréter tout cela. Il y a donc ce sentiment de déclin, de fragilisation, de pessimisme très noir et profond.

Je rejoins également votre constat pour ce qui est du sentiment d'urgence : régler la question du terrorisme ne suppose pas la même temporalité que le réchauffement climatique ou le plein-emploi... Pour le coup, c'est une petite différence avec ce qu'il se passe aux Etats-Unis. Regardez ainsi comment le débat a évolué à gauche en quelques mois sous la pression des évènements. Ils ne sont pas allés jusqu'au bout, mais il a été question de la déchéance de nationalité. François Hollande a changé d'avis en quelques heures le 14 juillet sur la prolongation de l'état d'urgence... L'histoire se fait sous nos yeux quasiment en temps réel.

Bruno Cautrès : Ces deux thèmes seront très présents dans la campagne électorale de 2017. Le sentiment de pessimisme et de défiance vis-à-vis de la politique est très fort en France depuis de nombreuses années comme nous l’analysons vague après vague du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF : la parole politique semble ne plus porter, être décrédibilisée à un point tel que tout nouveau pouvoir exécutif semble frapper presque immédiatement d’impopularité. La globalisation a produit des effets politiques majeurs dans nos sociétés : nos gouvernants continuent de nourrir un discours de volontarisme alors qu’ils ont en partie perdu le contrôle du pouvoir de régulation économique ; la question des frontières, du contrôle de celles-ci, de l’immigration dans un contrôle de crise des réfugiés sera également très présente dans la campagne électorale.

Plus fondamentalement encore, et au-delà de la conjoncture, cette élection de 2017 se déroulera sur fond de questions importantes pour notre modèle démocratique : alors que l’an dernier le rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, présidé par Claude Bartolone et Michel Winock (« Refaire la démocratie ») formulait 17 propositions destinées à « restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants » et favoriser la participation des citoyens, on voit qu’aujourd’hui c’est la question du dilemme démocratique face au terrorisme qui s’impose (de quelle manière une démocratie, lorsqu’elle est attaquée dans ses fondements, peut combattre ). Le dilemme entre sécurité et état de droit sera donc également très présent dans la campagne électorale : notre démocratie peut-elle vivre dans le paradoxe d’un d’état d’urgence devenu quasi-permanent ? 

Le sentiment d'angoisse qu'éprouvent nombre de Français (face au terrorisme, mais aussi face aux effets pervers de la mondialisation) est-il selon vous de nature à bouleverser le paysage politique et les rapports de force électoraux en France ?

Bruno Cautrès : Ce sentiment d’angoisse est une donnée majeure du rapport des français à la politique aujourd’hui. Ce n’est pas que ce sentiment est la cause de transformations politiques ; il en est l’expression plutôt que la cause. La cause de ce sentiment est la transformation profonde de nos sociétés et de leurs espaces idéologiques sous l’effet de l’intégration économique de nos pays dans un monde globalisé. Face à cette intégration et au rouleau compresseur de la globalisation, les deux blocs de la gauche et de la droite en France sont traversés de divisions qui ne se résument pas aux seules ambitions présidentielles des candidats. Il s’agit de véritables différences idéologiques et programmatiques : la gauche est notamment divisée sur les questions économiques (comment réguler l’économie dans un monde globalisé ?), tandis que la droite l’est sur les questions sociétales et culturelles et sur l’attitude vis-à-vis du Front national. Des lignes de fractures sont apparues au sein de chacune des deux grandes familles politiques de la gauche et de la droite. Cette perturbation trouve différentes expressions: des taux de participation à la baisse, à l’exception de l’élection présidentielle ; une défiance politique profonde et persistante ; des majorités qui semblent très rapidement frappées d’impopularité ; une « tripartition » de l’espace politique alors même que le système électoral de la Vème République a été originellement conçu pour favoriser la bipolarité. Les effets conjugués de la globalisation de l’économie, de la crise de 2008 et du sentiment d’impuissance qu’ont donné les gouvernements ont engendré une série de très fortes perturbations des systèmes partisans en Europe dont l’expression la plus courante a été la percée de partis contestant le système politique établi et les politiques d’austérité; selon les pays cette contestation s’est exprimé à deux extrémités du spectre idéologique gauche-droite ou seulement à l’une de ces extrémités. 

Jérôme Fourquet : Nous vivons avec le terrorisme depuis 2015. Nous avons déjà eu depuis deux scrutins. Quand on regarde le paysage politique tel qu'on le conçoit avec cette fameuse tripartition gauche – droite – Front national, nous voyons une gauche en difficulté car le gouvernement a du mal à s'adapter à la mondialisation, une droite qui se droitise et un Front national qui se porte bien. Quelque part, tout cela est déjà la résultante de ce qu'on raconte.

Est-ce que cela va encore s'accentuer ? On verra, mais il est certain que le Front national a encore une petite marge de progression. Pour la droite, nous verrons ce qu'il sortira de la primaire, mais l'affaire n'est plus aussi assurée que cela pour Alain Juppé – loin s'en faut. Cela peut donc faire bouger un peu les lignes.

Parallèlement à cela, au-delà des tendances majoritaires que nous venons d'évoquer, vous pouvez très bien avoir une partie de l'opinion publique qui se dit "certes, il y a tout cela, mais on peut en sortir par le haut". On revient ici à des candidats comme Emmanuel Macron par exemple. Il y a une partie de la population assaillie par l'inquiétude sécuritaire, mais qui se porte bien économiquement, qui vit dans des endroits relativement préservés, et qui estime qu'il ne faut pas tout schématiser ou simplifier.

Toute une partie de la société n'a pas envie de se laisser entraîner là-dedans et qui peut être en demande d'une offre beaucoup plus optimiste et positive. Des individus qui constatent les difficultés actuelles de la France, mais qui sont confiants dans la capacité de rebond du pays. De manière un peu paradoxale, vous pouvez donc avoir un certain nombre de Français qui seraient aimantés par une candidature qui jouerait un petit peu sur ce contraste et essaierait d'insuffler de l'optimisme et des ondes positives à tous ceux qui peuvent. C'est d'ailleurs l'un des ressorts des attraits d'Emmanuel Macron, hormis l'aspect "nouveauté politique" : il dit souvent que la France est très bien placée dans certains domaines, possède certains atouts et peut faire des choses. Une partie de la population est en attente de cela.

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