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Pourquoi Jésus n'est pas du tout le patriarche ou le macho qu'on veut faire de lui
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Bonnes feuilles

Cet ouvrage propose une introduction aux études de genre et à leurs enjeux. Le genre suscite des renouvellements et pose des questions capitales. Ce livre le montre autour de trois thématiques : la compréhension des sociétés ; les identités corporelles ; la tradition chrétienne. Il permet donc de se situer dans de multiples controverses. La contribution des catholiques y a toute sa place. Extrait de "Penser avec le genre : Sociétés, corps, christianisme", de Hervé Legrand et Yann Raison Du Cleuziou, éditions Lethielleux 1/2

Yann Raison Du Cleuziou

Yann Raison Du Cleuziou

Yann Raison Du Cleuziou, politiste, Maître de conférences à l'Université de Bordeaux, chercheur au Centre Émile Durkheim.

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Hervé Legrand

Hervé Legrand

Hervé Legrand, ecclésiologue et oecuméniste, Professeur émérite à l'Institut Catholique de Paris, vice-président de Confrontations et de l'Académie internationale des sciences religieuses. 

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De façon très originale, Jésus a sapé le patriarcalisme et est resté étranger à tout androcentrisme

Jésus a refusé le patriarcalisme de son milieu juif

Dans la société juive très patriarcale, la femme avait un statut juridique de mineure perpétuelle, soumise à son père puis à son mari, dans un modèle familial admettant la polygamie et la répudiation (Dt 24,1-4): « Si elle ne marche pas au doigt et à l’œil, sépare toi d’elle et renvoie-là », lit-on dans Si 25, 26. Son statut économique est très précaire: veuve, elle n’hérite pas de son mari (Nb 27, 8 sv), d’où la loi du lévirat qui en fait l’épouse de son beau-frère, si elle n’a pas de fils; statut qui se dévoile par les recommandations insistantes d’aider les veuves, à l’instar des orphelins et des étrangers. Certes Judith, Esther et Suzanne sont de grandes héroïnes féminines, mais ce sont des personnages de conte qui ne corrigent pas le rude patriarcat que Jésus récusera en actes et en paroles.

Jésus entre ainsi en conflit sérieux avec sa famille qui l’accuse d’être hors de sens (Mc 3, 21), ce qui l’amène à récuser les liens du sang quand sa parenté vient le chercher: «Qui est ma mère, et qui sont mes frères? Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi, frère, sœur et mère» (Mc 3, 31-35). Pour le suivre, il faut quitter «maison, femme, frères, parents, enfants» (Lc 18, 29-30 et par. ; Mt 19, 27-29; Lc 18, 28-30). Il dit lui-même être venu apporter la division «père contre fils, fille contre mère, bru contre belle-mère» (Mt 19, 34-36; Lc 15, 51-53). Celui que Jésus appelle à le suivre ne doit pas dire au revoir à son père (Lc 9, 61), ni même enterrer son père mort (Mt 8, 21-22 ; Lc 9, 50-60). Peux-ton récuser plus nettement le patriarcalisme ?

Jésus reste étranger à l’androcentrisme de l’Ancien Testament

La Bible est toujours écrite du point de vue des hommes, même en ses textes les plus favorables comme en Gn 2, 18, où Dieu dit «Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée». Adam est ici un terme générique. Il ne peut exister en solitaire. Quand il acquiert un nom propre, il a besoin d’une aide (ézer); ce sera Ève, heureusement déclarée être son vis-à-vis (kenègedô). De même n’est-il pas dépréciatif pour Ève d’être issue de la côte d’Adam: cela souligne son identité avec lui, car elle vient de sa chair. Pourtant quand l’histoire se termine, le vis-à-vis se dégradera en soumission: «Tu seras soumise à ton mari» dit Dieu en punissant Ève pour sa transgression plus fortement qu’Adam. Seul le merveilleux Cantique des Cantiques chantera le vis-à-vis. Pour le reste, la Bible s’écrit au masculin, comme dans les écrits de Sagesse: «Qui a trouvé une femme a trouvé le bonheur; il a obtenu une faveur du Seigneur» (Pr 18, 22) ou Si 26, 1: «Femme bonne fait un mari heureux et double le nombre de ses jours (à lui!)». On insiste sur le fait qu’elle n’est pas toujours bonne (vv. 13-26 et au ch. 26, vv. 6-12), et on se tait sur l’ambivalence masculine. Et surtout on déclare que «La femme est à l’origine du péché, et c’est à cause d’elle que tous nous mourrons» (Si 25, 24).

De cet androcentrisme biblique, Jésus ne garde rien. Il ne renvoie jamais les femmes à la figure d’Ève: ce sont pour lui des « filles d’Abraham» (Lc 13, 16), tout comme les hommes. Très présentes dans son langage, il ne les identifie jamais à leur rôle conjugal ou maternel; dans le mariage, elles ont un statut égal à celui de l’homme, au point que les disciples s’exclament que, dans ce cas, «mieux vaut ne pas se marier» (Mt 19, 10). Il entre tout naturellement en contact avec les femmes, ce qu’un juif pieux s’interdisait: c’est ainsi qu’il ignore l’impureté légale de l’hémorroïsse, parle avec la Samaritaine, ce qui étonne les apôtres, et laisse une pécheresse lui essuyer les pieds de sa chevelure. Mieux, parmi les disciples qui le suivent, il y a des femmes dont les noms ont été conservés; certaines se voient confier, avant les apôtres, l’annonce de sa Résurrection, alors que la société juive n’acceptait pas leur témoignage devant les tribunaux. Au plan du salut, rien ne distingue les femmes des hommes: pour elles comme pour eux, il s’agit d’écouter la parole de Dieu, de la garder et de suivre le Maître.

L’institution du groupe des Douze serait-elle l’unique occasion où Jésus aurait traité les femmes différemment des hommes? Pour les exégètes, cet acte symbolique a une tout autre signification: Jésus annonce ainsi qu’il vient rassembler les douze tribus jusqu’alors divisées. De plus, en attribuant à ces Douze le rôle de juges eschatologiques (“Ils siégeront sur les douze trônes”, Lc 22, 30), il entend souligner que le Jugement aura pour critère l’attitude prise par rapport à sa personne et à sa parole. Ce geste symbolique aurait perdu son sens si Jésus avait inclus dans le groupe une femme, ou un samaritain d’ailleurs… Jésus souligne certes sa liberté dans le choix des apôtres, mais croire que cette liberté avait pour objet leur appartenance au sexe masculin plutôt qu’au sexe féminin relève de l’imaginaire. Aucun évangéliste, aucun écrit du Nouveau Testament, n’attribue une telle motivation à Jésus.

Extrait de "Penser avec le genre : Sociétés, corps, christianisme", de Hervé Legrand et Yann Raison Du Cleuziou, publié aux éditions Lethielleux. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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