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Et finalement, après 6 mois de mélodrame, que va vraiment changer la version finale de la loi El Khomri dans la vie des français
©REUTERS/Vincent Kessler

Stratégie de sidération

Définitivement adoptée au Parlement le jeudi 21 juillet, la loi travail a été au centre de l'actualité en France jusqu'au début de l'édition 2016 de Euro de Football. Après un ping-pong entre Assemblée et Sénat, le texte est désormais très volumineux, très technique... et pas très ambitieux.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : Définitivement validée par l'Assemblée, la loi travail, dite El Khomri, a  focalisé l'attention des médias et de la population depuis plusieurs mois. Désormais, le texte étant adopté, quelles en seront les conséquences concrètes pour les français ?

Bertrand Martinot : Les conséquences concrètes pour les salariés seront très faibles. La principale mesure en leur faveur, le compte personnel d’activité n’apporte rien par rapport à l’existant (compte personnel formation et compte pénibilité). Ce nouveau droit, qui est intellectuellement innovant, n’est pas financé et il est toujours autant cadenassé par les branches professionnelles qui choisissent les formations éligibles et celles qui ne le sont pas. 

Il y a toutefois un impact réel du côté des droits syndicaux : accroissement des heures de délégation pour les délégués syndicaux, création de représentations syndicale pour les TPE qui fonctionnent en franchise, droits nouveaux pour les salariés qui travaillent sur des plateformes électroniques. C’est ce seul et dernier aspect qui me paraît se justifier. 

Du côté des conditions et du temps de travail, il n’y a pas non plus de bouleversements à attendre : l’essentiel de l’inversion de la hiérarchie des normes en la matière a déjà eu lieu pour l’essentiel dans la loi de 2008 assouplissant les 35 heures. Quant au fameux article 2, qui étend cette logique principalement au taux de majoration des heures supplémentaires, il restera assez symbolique : imagine-t-on des délégués syndicaux majoritaires (car il faut maintenant un accord réunissant des syndicats ayant obtenu plus de 50 % des voix aux élections) négocier un passage de ce taux de majoration en –dessous de ce que prévoit la loi, soit 25 % ? Je ne dis pas que cela n’arrivera jamais s’il y a des contreparties, mais cela sera sans doute assez rare…

D'un point de vue global, faut-il s'attendre à des effets pour le pays ? La Loi travail, dans sa forme définitive, est -elle susceptible de profiter au climat économique du pays ? Des emplois peuvent -ils être créés sur cette base, combien, et quels seraient les secteurs susceptibles d'en profiter le plus ? 

Il n’y a pas grand-chose de très révolutionnaire qui permettrait d’escompter des gains en termes de créations d’emplois.

En matière de dialogue social, il y a certes un peu de souplesse avec l’introduction du référendum d’entreprise sur saisine de syndicats minoritaires. Mais on peut regretter que la loi pose comme condition une saisine par des syndicats ayant obtenu au moins 30 % des voix aux dernières élections professionnelles. C’est un verrou excessif. 

S’agissant de la législation sur la rupture du contrat de travail, on n’a pas beaucoup avancé non plus. D’un côté, on introduit des nouveaux cas de motifs légitimes de licenciement économique. Mais de l’autre on sanctuarise une jurisprudence peu adaptée à la vie économique selon laquelle celle-ci doit prouver que les licenciements sont nécessaires à la "sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise", notion floue et à géométrie variable s’il en est…

En la matière, la seule mesure claire et simple, consistait à plafonner les indemnités de licenciement puisqu’en fait, le problème du droit du licenciement en France est moins le code du travail que l’interprétation qu’en fait le juge. Comme on le sait, cette mesure, présente dans le projet initial, a été abandonnée en rase campagne. Elle aurait pourtant eu un effet psychologique considérable sur les employeurs : en finir avec les incertitudes sur les coûts des licenciements. Mieux, aurait favorisé les transactions : quand vous savez à l’avance combien, au maximum, vous auriez en allant au tribunal, en général, vous transigez. 

Au total, donc, rien de bien bouleversant pour les entreprises. Mais si l’on prend en compte l’hystérie collective que cette loi a déclenchée, les blocages idéologiques mis crûment à jour et l’impression que décidément il est tellement difficile de réformer dans notre pays, le bilan sur le climat général dans le pays est clairement négatif.

Le 17 février 2016, Myriam El Khomri présentait sa nouvelle loi lors d'une interview aux Echos. A la question "Quels sont les grands objectifs de votre projet de loi ?", la ministre répondait : "Nous voulons améliorer la compétitivité des entreprises, développer et préserver l'emploi, réduire la précarité du travail et améliorer les droits des salariés". Au regard des ambitions initiales, ou est on-aujourd’hui ?

Cette loi se voulait une sorte de Big Bang, une vaste adaptation du droit du travail aux nécessités économiques de notre époque, la décentralisation du dialogue social, la prise en compte de l’irruption du numérique sur la relation de travail, etc. Au fil du temps et au gré des amendements, c’est devenu une collection de mesures techniques, parfois intéressantes, parfois malheureuses, mais qui ne changent pas vraiment la donne. Ni pour les salariés, ni pour les entreprises. 

Finalement, ce texte s’inscrit dans la lignée des réformes précédentes : quelques éléments de souplesse par ci, quelles complexités ou tracasseries supplémentaires par là. Et au total, notre pays n’avance pas. Nous continuons de perdre des parts de marché, notre marché du travail continue de mal fonctionner. Et nous payons collectivement le prix fort de cette étrange apathie.

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