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Entre l’attentat de Nice et la bavure en Syrie, pourquoi la grande réunion de la coalition anti-Etat Islamique à Washington risque de décevoir les attentes
©Reuters

Beaucoup de bruit pour rien ?

Importante dans la mesure où elle permet une meilleure coopération entre les chefs d'Etats - qui donnent les ordres - de la coalition, la réunion qui a débuté ce mercredi 20 juillet et prend fin le 22 ne saurait néanmoins pas changer le cours des choses sur le terrain.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Depuis ce mercredi 20 juillet, les États-Unis accueillent une importante réunion de la coalition des nations qui luttent contre le terrorisme dans le monde. Aux côtés des diplomates français devraient se trouver donc les représentants d'une quarantaine d'Etats. Quels sont les enjeux d'une telle rencontre ? Que faut-il en attendre, notamment au regard de la suite à donner à l'attentat de Nice ?

Alain Rodier : Des réunions de ce type se tiennent régulièrement, les dernières en date ayant eu lieu au début de l'année à Rome et à Bruxelles. Mais celle de juillet regroupe simultanément les ministres des Affaires étrangères et ceux de la défense. Elle revêt donc une importance particulière au moment où Daech est soumis à une forte pression dans son berceau syro-irakien mais aussi en Libye et au Nigeria. Il convient de se souvenir que dans les Etats démocratiques, les militaires et les policiers sont aux ordres des dirigeants politiques. Il est donc crucial que ces derniers s'entendent sur une politique "commune" de sécurité. C'est le but de cette réunion où de nombreux sujets sont abordés.

A n'en pas douter, les suites à donner à l'attentat de Nice vont être examinées. A savoir que Daech est résolument engagé dans une politique de terreur partout où il peut frapper. Nice a été un horrible carnage mais cet attentat ne doit pas faire oublier tous ceux qui ont lieu quasi quotidiennement ailleurs dans le monde et qui sont le fait de Daech : Irak, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, etc. . D'ailleurs, même les autorités brésiliennes prennent la menace qui pèse sur les Jeux Olympiques qui débutent le 5 août très au sérieux. Une cellule a été arrêtée le 21 juillet et des appels à l'action de "loups solitaires (sic)" circulent sur les réseaux sociaux depuis qu'un groupe a fait allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi. Et pourtant, les musulmans ne constituent que 1% de la population brésilienne et ce pays ne fait pas partie de la coalition internationale ! La présence de nombreuses délégations étrangères et surtout des cameras de toutes les télévisions mondiales est un aimant considérable pour tous les mouvements criminels et terroristes dont Daech et Al-Qaida "canal historique". A ce propos, ce dernier adversaire dont presque personne ne parle, est pourtant toujours très actif au Sahel où il multiplie les actions ainsi qu'en Libye, en Syrie, en Afghanistan et dans d'autres conflits "oubliés" comme au Yémen où l'Arabie saoudite se retrouve embourbée. Et au Sahel, c'est la France qui est en première ligne !  

La volonté affichée de François Hollande d'intensifier la lutte contre l'Etat Islamique serait elle suivie d'effets, par la voie de la coalition ?

Intensifier la lutte contre Daech est une bonne chose car c'est ce mouvement qui nous a déclaré la guerre. Je ne suis personnellement pas certain que frapper en Syrie et en Irak soit particulièrement significatif sur le plan opérationnel. Nos amis américains ont besoin de la France pour que la coalition soit la plus large possible. Notre participation est d'abord un geste politique avant d'être tactique. Cela dit, nous avons cruellement besoin de moyens au Sahel et maintenant en Libye. Il y a vraisemblablement un échange de services avec les Américains qui nous y apportent une aide logistique et en renseignements d'origine technique.

Quels devraient être les sujets principaux abordés ? Qu'est-ce que cela traduit des priorités de l'OTAN et de la coalition ? Quelle influence pourrait avoir ce qui est déjà indiqué comme la pire "bavure" de la coalition, à savoir le bombardement du village d’al-Toukhar, ayant provoqué des pertes civiles importantes ?

Il est beaucoup question de la reconstruction des territoires repris (ou à reprendre) sur Daech. Pour une fois, les responsables politiques se posent la question de l'"après" et c'est une excellente chose. Ce n'avait pas été le cas en Irak en 2003 et en Libye en 2011. En effet, généralement, les villes et les infrastructures sont détruites, les services inexistants et, de plus, le terrain est miné. Comment faire revenir les populations dans ce contexte ? Le déminage puis des financements à la reconstruction vont être demandés.

Le problème des "bavures" provoquées par les bombardements vont certainement être examinés car elles sont extrêmement contre-productives pour "gagner les coeurs et les esprits" des populations sunnites. Déjà que ces dernières voient très mal l'arrivée de forces chiites pour les "libérer". D'ailleurs c'est là où le "bas blesse" : il n'y a au sol que des forces chiites ou kurdes pour reconquérir le terrain en zones sunnites contrôlées par Daech ou le Front Al-Nosra (en Syrie). Il n'y a pas d'autres solutions pour l'instant, la présence de militaires occidentaux en nombre serait considérée comme une "invasion". Quant aux autres armées arabes de la région, elles n'ont ni la capacité ni la volonté de s'engager sur le front syro-irakien.

Les autres sujets récurrents sont la lutte contre les financements de Daech et contre les filières de volontaires qui le rejoignent. Bien sûr, le problème des réfugiés devrait être aussi abordé.

Il va sans doute être intéressant de voir comment coopérer avec Moscou qui est aussi engagé en Syrie. D'ailleurs, il risque d'y avoir embouteillage au large des côtes syriennes cet automne car, selon les prévisions, le Charles de Gaulle devrait y retrouver le porte-aéronefs russe amiral Kouznetsov et peut-être un porte-avion américain. Au minimum une coordination pour éviter tout accident entre les navires et les aviations embarquées sera nécessaire ! 

Et puisqu'on est entre responsables politiques, il conviendrait de réexaminer les relations à entretenir avec Damas. Pour le moment, tout cela semble très opaque.

De la même façon, quelles pourraient être les conséquences du putsch avorté en Turquie sur la situation Syrienne ?

Saisissant le prétexte de mater les militaires félons, le président Erdogan est en train de littéralement casser son administration, son armée, sa police, sa justice, son éducation nationale en emprisonnant ou écartant des milliers de fonctionnaires qu'il considère comme représentant un "risque" à sa volonté personnelle d'absolutisme (et dont la grande majorité n'a rien à voir avec le putsch). Les remplaçants seront jugés, non sur des critères de compétences individuelles, mais d'allégeance à sa personne. La Turquie va donc avoir de sérieux problème de fonctionnement interne. L'avenir va être difficile à gérer pour lui d'autant que les relations entretenues avec l'étranger vont se détériorer. Pour pallier à cela, il semble vouloir se retourner vers l'Iran et la Russie. La suite est totalement imprévisible. Restent à savoir quelles vont être les réactions du PKK et de Daech. Leur intérêt ne semble pas d'être d'attaquer frontalement le pouvoir en place à Ankara mais plutôt e consolider leur implantation en Turquie profitant du fait que les forces de sécurité vont connaître un sérieux passage à vide. Pour l'Europe et les États-Unis, tout risque d'être à revoir. 

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