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Graphique de l'Eléphant, le retour : quand le matraquage des classes moyennes occidentales dû à la concurrence de la Chine saute aux yeux
©Reuters

Dégâts collatéraux

L'économiste Branko Milanovic a réalisé un graphique devenu "icônique" et appelé "le graphique éléphant" représentant l'évolution des revenus en fonction des pourcentages de distribution de la richesse au niveau mondial. Il montre notamment comment les revenus des classes moyennes occidentales ont stagné -voire baissé- en une décennie. Un constat d'autant plus criant lorsque les données concernant la Chine sont retirées.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : L'économiste Branko Milanovic a pu mettre en évidence le sort réservé aux classes moyennes des pays occidentaux après quelques décennies de mondialisation à travers le "graphique éléphant". Dans une deuxième version, l'économiste observe un résultat encore plus accablant en retirant les données concernant la Chine, démontrant l'impact encore plus sévère de la mondialisation sur les classes moyennes occidentales. En quoi cette problématique a-t-elle été trop longtemps ignorée ? S'agit-il réellement d'une surprise pour les économistes ? Ne s'agit pas d'un effet "logique" de la mondialisation ?

Le "graphique éléphant" réalisé par l'économiste Branko Milanovic

Jean-Marc Siroën : Le "graphique éléphant" montre aussi une diminution de la pauvreté dans les pays initialement les moins riches et une réduction des inégalités entre pays. La problématique évoquée par Milanovic n’a pas été ignorée par les économistes qui ont débattu de cette question depuis les années 1990. Quelques prix Nobel d’économie sont même intervenus dans le débat public, notamment Maurice Allais ou Paul Samuelson pour mettre en cause la mondialisation, ou Paul Krugman pour en nuancer la responsabilité. Mais il est vrai que d’une part, la crise de 2008 a relancé le débat et que, d’autre part, les gains des plus riches sont d’une ampleur inattendue. La montée des mouvements populistes, notamment –mais pas seulement- dans les pays développés,  a révélé une inquiétude croissante des classes moyennes qui voient leur situation se dégrader et vivent mal les inégalités les plus choquantes (quitte, néanmoins,  à donner leur voix à un milliardaire comme Trump !).

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Il est vrai que la théorie économique la plus conventionnelle prévoit que la mondialisation des échanges favorise la hausse des salaires réels dans les pays où ils sont les plus bas et inversement dans les pays où il sont plus élevés, c’est-à-dire les pays développés. Cela se traduit par une baisse des inégalités chez les premiers et une hausse chez les seconds ce qui "colle" au "graphique éléphant" sans toutefois vérifier la baisse des inégalités dans les pays en développement. En fait, là aussi, elles ont augmenté. C’est la forme de la trompe de l’éléphant qui surprend le plus car elle montre une croissance des inégalités plus forte que prévue. Néanmoins, on doit rester prudent sur cette interprétation : lorsqu’on part de niveaux très faibles, il est plus facile de croitre plus vite. Si le revenu d’un indien passe de 1$ à 1,5$, il augmente de 50%. S’il passe de 50$ à 50,5$, il n’augmente que de …1%. Pourtant l’augmentation est la même : 0,5$ ! De plus, il s’agit d’un constat et si la mondialisation commerciale a sans doute joué un rôle en bouleversant rapidement et profondément les structures économiques, d’autres évolutions  peuvent être évoquées : les réformes économiques menées dans les pays en développement, une révolution technologique qui a favorisé les classes supérieures et révélé les "innovateurs" milliardaires à la Bill Gates, l’augmentation du prix des matières premières qui a favorisé mécaniquement les pays en développement, la financiarisation de l’économie mondiale qui a créé des opportunités de gains spéculatifs,…

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Le "graphique éléphant" sans la Chine 

Au-delà de l'impact sur les classes moyennes occidentales, ce deuxième graphique ne démontre-t-il pas que le seul grand gagnant de la mondialisation est la Chine ?

Ce point aussi est à nuancer, car si la Chine et l’Inde représentent 80% de la médiane mondiale ils représentent aussi 36% de la population mondiale. D’autres pays plus petits ont aussi bénéficié de la mondialisation. L’Ethiopie ou la Mongolie connaissent des taux de croissance plus élevés que le taux de croissance chinois. Je dirais plutôt que les réformes économiques engagées par la Chine à la fin des années 1970, et dont fait partie l’ouverture commerciale, lui ont permis de rattraper un retard imputable aux initiatives délirantes de l’ère Mao. La réforme de l’agriculture a certainement eu plus d’influence sur la réduction de la pauvreté en Chine que la croissance de ses exportations. Annuellement, la Chine exporte 1700 dollars par habitant, la France …près de 9000. Cela ne veut pas dire que l’irruption de la Chine sur les marchés mondiaux n’ait pas déstabilisé les pays développés, notamment par un effet de masse : concurrence des importations dans des secteurs traditionnels comme le textile, délocalisation d’activités intensives en travail, comme l’assemblage, accélérant un processus de désindustrialisation par ailleurs inscrit dans l’histoire. Mais en contrepartie, la croissance des revenus a aussi  permis d’exporter davantage vers la Chine des biens, mais aussi des services. Le drame est que ce gain a davantage profité aux classes supérieures des pays avancés qu’aux classes moyennes et que les emplois perdus dans les activités traditionnelles n’ont pas été compensés par des emplois dans les services ou les secteurs de haute technologie. 

Selon une étude réalisée par le Brookings Institute, 93% des emplois créés par des dépenses d'infrastructures semblent entrer dans la catégorie des classes moyennes, s'agit-il pour autant d'une réponse efficace pour les économies européennes ?

La qualité des infrastructures européennes reste un de ses meilleurs atouts dans la compétition internationale mais là aussi peut-être rattrapé par certains pays en développement et émergents qui ne bénéficiant pas d’infrastructures héritées peuvent d’emblée investir dans des infrastructures modernes. Investir dans les infrastructures européennes est donc une bonne réponse pour plusieurs raisons. La première est économique : non seulement les investissements dans les infrastructures exercent un effet de relance à court terme mais, à plus long terme, la qualité des infrastructures favorise la productivité et permet d’accroitre la compétitivité sans peser sur les salaires et donc le pouvoir d’achat des classes moyennes. La Chine ou l’Inde  restent des pays à productivité faible du fait, notamment, de la plus faible qualité de leurs infrastructures, malgré les efforts accomplis. La seconde est la dégradation et l’obsolescence des infrastructures anciennes mal adaptées aux contraintes nouvelles en matière d’environnement ou dépassées par les nouvelles technologies. Il faut aller plus loin dans la création de zones franches ou de parcs technologiques dotés d’infrastructures modernes de formation, de transport et de communication ultra-performantes et susceptibles d’attirer de nouvelles entreprises. La troisième est sociale. Le développement des infrastructures permet d’atténuer le sentiment d’abandon et d’exil intérieur qui alimente le populisme. Améliorer les transports publics c’est aussi augmenter le bien-être –gain de temps et de confort, diminution de la pollution- et peut s’assimiler à un revenu certes invisible mais néanmoins réel. Toutefois, il ne faut pas développer les infrastructures pour développer les infrastructures. Elles sont diverses et leur utilité économique et sociale est difficile à quantifier. Leur financement se heurte aux contraintes budgétaires. Mais c’est bien sur ce thème que devraient s’orienter les débats…

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