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"La liberté c'est important et en particulier pour ceux qui sont tout en haut, euh... tout en bas" : le lapsus d'Emmanuel Macron qui en dit long sur une certaine vision des inégalités
©Reuters

En théorie

Ce mardi, lors de son premier grand meeting, Emmanuel Macron a montré son attachement à la liberté et aux corrections d'inégalités a priori (avant qu'elles n'apparaissent). Une conception de l'égalité qui apparaît fort décalée avec l'état de la société française actuelle et les fondements même de notre modèle social.

Louis Maurin

Louis Maurin

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités.  

 
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Atlantico : Lors de son meeting mardi soir à la Mutualité, Emmanuel Macron a pris ses distances avec les mesures visant à l'égalité a posteriori, en prônant davantage l'égalité d'accès a priori. Que penser d'une telle vision ? Si des efforts peuvent être faits afin de corriger les inégalités a priori, avant qu'elles ne se déclenchent, n'est-il pas illusoire de croire en un système dépourvu de tout mécanisme de correction a posteriori des inégalités ?

Louis Maurin :La sortie d'Emmanuel Macron témoigne d'une réflexion qui n'est pas à la hauteur des enjeux et qui ne fait que relayer des banalités. Tout le monde est d'accord sur le fait qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Il est toujours préférable d'éviter les inégalités avant qu'elles ne se créent plutôt que de les corriger après, c'est toujours plus facile.

Une fois dit cela, le problème est de savoir ce que l'on fait. Les organisations internationales par exemple savent très bien que nourrir les gens qui meurent de faim ne résout pas leurs problèmes, mais il faut bien les nourrir. Quand vous avez des personnes qui sont à la rue, vous pouvez leur dire qu'il vaut mieux prévenir que guérir, il faudra toujours faire les deux en même temps. L'histoire de la construction de notre modèle social a toujours été de réfléchir en amont et en aval.

À titre d'exemple, pour ce qui est de l'insécurité aujourd'hui, on réduit les moyens de la prévention, ce qui n'est pas une bonne idée. La majorité actuelle construit moins de logements sociaux que la précédente, ce n'est pas bon non plus pour l'accès des jeunes au logement. Idem pour le nombre de places en crèche ou en structure d'accueil de la petite enfance, sur quoi elle s'était engagée. Elle n'a pas non plus réformé l'école, contrairement à ce qu'elle dit. Nous avons conservé notre élitisme social, et il sera trop tard après pour guérir.

Il faut bien entendu agir avant et après, mais le problème n'est pas essentiellement à ce niveau.

A quoi peut correspondre une telle vision du monde ? Quels sont les présupposés permettant d'en arriver à une telle conclusion ?  En quoi peuvent-ils différer de la réalité ? Quels en sont les risques pour la population ?

Ce qui est étonnant, c'est que c'est finalement la pensée économique du 19e siècle qui est présentée comme moderne. Cela revient régulièrement dans notre histoire : on parlait il y a quelques dizaines d'années de social-libéralisme. C'est le libéralisme économique appliqué à l'ensemble de la société, c'est concevoir la société comme un marché (nous voyons ici l'influence de la banque). Une société est certes un marché, mais ce n'est pas que ça. C'est aussi des formes de solidarité qui n'ont rien à voir avec le marché.

Il faut prendre des exemples concrets pour bien comprendre. Une femme d'agriculteur qui arrive à la retraite, avec peu d'activités officielles enregistrées et un mari décédé. Que fait-on pour elle ? On laisse le marché jouer, sans corriger a posteriori sa situation ? Ou est-ce qu'on lui permet de finir sa vie dignement grâce à la solidarité de notre modèle auquel les Français sont extrêmement attachés ?

Ce qui coûte très cher aujourd'hui dans notre modèle social, c'est notre système de retraites. Mais de quoi avons-nous envie ? Que les personnes âgées s'appauvrissent ?

Il faut bien comprendre que l’idéologie que sous-tend le discours du ministre de l’Economie considère la société comme un marché. On réfléchit à l'égalité des chances - c'est bien -, on pense la société comme un agglomérat d'individus, mais on est incapables de se poser la question "égalité des chances de quoi ?". On fait comme si un taux de précarité de 50% chez les jeunes était normal. On joue la compétition, mais sans se poser la question de savoir quelle est la forme de cette compétition, comment fonctionne notre modèle scolaire par exemple. Il faut se poser la question de l’égalité des chances en même temps que celle de la manière dont fonctionne globalement notre société, l'entreprise, la fonction publique, etc.

Une vision exclusivement individuelle ne permet de comprendre que la moitié du problème. Il faut aussi penser plus globalement, réfléchir, par exemple, à la hiérarchie sociale. Nous sommes un pays qui se dit égalitaire, mais nous savons que la hiérarchie sociale est forte, notamment du fait de l'"étiquette" du diplôme. C'est là-dessus qu'il faudrait réfléchir, mais il semble qu'Emmanuel Macron ne l'ait pas beaucoup fait.

On peut tirer de cela deux leçons. D’une part, le discours du ministre est révélateur du fait que le système scolaire français peut produire des élites dénuées d’un haut niveau de réflexion, d’un grand sens de l’Histoire, de ce que représente, au fond, la France. Penser de façon aussi limitée la société n'est pas sans poser un certain problème.

Mais au fond, la seconde question qui est posée est : qui a fabriqué Emmanuel Macron ? Qui croit sérieusement qu’il défend une pensée moderne, de progrès ? L'hypocrisie n'est pas à chercher dans le camp de la droite ici. Son problème n’est pas l’égalité. Il est à gauche : qui fait semblant de croire que la politique défendue par le ministre de l’Economie est de gauche ? Il y aurait beaucoup à dire sur la fabrique du phénomène, et par exemple le rôle démesuré des sondages.

À qui cela sert, tout ça, au fond ? Qui profite de la société, du système des inégalités et d'une réflexion limitée sur l'égalité des chances ? Pour moi, toute une partie des catégories diplômées favorisées de gauche (pour ne pas les appeler "bobos", concept un peu usé) qui ont un discours extrêmement hypocrite, qui ne veulent pas l’égalité mais préserver leurs privilèges, notamment une école qui est taillée sur mesure pour leurs enfants.

Quels sont les mécanismes, qu'ils soient a priori, ou a posteriori, qui permettent de corriger au mieux les inégalités, sans tomber dans des excès qui pourraient s’avérer contre-productifs ? Quel est le bon "mélange" entre ces deux approches ?

On ne peut pas vraiment distinguer ces deux approches. L'ensemble est imbriqué. Lorsque vous donnez une allocation à une famille monoparentale (une femme seule avec ses enfants pauvres), cette prestation sociale vient corriger a posteriori une inégalité, mais vous effectuez aussi une correction a priori pour ses enfants et aussi pour elle-même, en lui garantissant de garder un pied-à-terre et de ne pas dormir dans la rue. Dans l'immense majorité des cas, on ne sait donc pas distinguer... Par ailleurs, le gros des dépenses a posteriori, ce sont les retraites. Que faire alors, supprimer ou diminuer les retraites ?

Que ce soit a priori ou a posteriori, l'endroit où il est le plus urgent d'agir est l'école. Il y a un très grand non-dit, puisque ces inégalités profitent actuellement aux couches de la majorité actuelle. À partir du moment où l'autre camp non plus ne souhaite pas y toucher, nous ne sommes pas prêts d'aller au cœur du problème des inégalités.

Au fond, il s'agit bien de rapports entre des milieux sociaux. Ce n'est certainement pas Emmanuel Macron qui va faire progresser les intérêts des milieux sociaux défavorisés (employés, ouvriers, etc.).

Quand ce Monsieur affirme "si j'étais chômeur, je n'attendrais pas tout de la collectivité", il y a une vraie violence symbolique au sein de cette population, qui engendre en retour d'autres formes de violences et de tensions sociales. L'immense majorité des gens au chômage ne cherchent qu'une chose : arriver à trouver le moindre boulot, parfois à des salaires extrêmement faibles. Quand vous entendez donc ce genre de discours venant de surcroît du camp qui est censé défendre ces catégories-là, la douleur est d'autant plus forte.

Les réponses à ces questions n'engagent que leur auteur et non l'Observatoire des inégalités dans son ensemble.

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