Pierre Moscovici au chevet de "l'assurance chômage européenne" : ce nouveau rêve bureaucrate aveugle aux disparités européennes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pierre Moscovici au chevet de "l'assurance chômage européenne" : ce nouveau rêve bureaucrate aveugle aux disparités européennes
©Pixabay

C'est pas gagné

Une conférence est organisée ce lundi à Bruxelles afin de réfléchir à la mise en place d'une assurance-chômage européenne. Une idée qui remonte aux années 1990 et qui paraît très difficile à mettre en oeuvre tant les disparités d'un Etat à l'autre sont importantes.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

Voir la bio »

Atlantico : Ce lundi, Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières et à la fiscalité, assiste à une conférence organisée par la présidence slovaque du Conseil européen, la Commission européenne et le CEPS (Center for European Policy Studies), afin de réfléchir à la mise en place d'un système européen d'assurance-chômage. Doit-on considérer cela comme une idée visant à relancer le projet européen après le coup de tonnerre provoqué par le Brexit ?

Bertrand MartinotJe ne pense pas que ce genre d’idée ferait beaucoup pour éviter de nouveaux exit… ! Le problème de la construction européenne est qu’elle n’apporte pas ce qu’on serait en droit d’en attendre et multiplie les interventions dans lesquelles le principe de subsidiarité devrait jouer à plein : plutôt que d’instaurer des limites sur la puissance des aspirateurs domestiques ou se prononcer sur la construction d’un aéroport à Notre-Dame des Landes, on pourrait en attendre par exemple  une protection des frontières efficace ou encore une politique de sécurité extérieure. Dans le domaine économique, on pourrait se concentrer sur des politiques communes de l’innovation, de la recherche, de l’enseignement supérieur, bref des domaines où des externalités sont économiquement prouvées. 

Donc, franchement, la création d’un mécanisme d’assurance chômage européen ne me paraît pas figurer parmi les thèmes prioritaires pour relancer l’Europe en général. 

Comment fonctionnerait cette assurance-chômage européenne ? Quels bénéfices les Européens pourraient-ils en tirer ?

L’idée est ancienne. Des économistes aussi pertinents que Drèze ou Wyplosz l’ont portée dans les années 1990. Il s’agit de mettre en commun une partie au moins de nos systèmes d’assurance chômage, autrement dit d’en "fédéraliser" tout ou partie. L’intérêt principal est que les pays où le chômage est faible, donc l’assurance chômage excédentaire, transfèrent mécaniquement des recettes pour financer les systèmes d’assurance chômage des pays où le chômage est élevé donc le régime déficitaire. Il s’agirait d’un mécanisme de "stabilisateur automatique" de la conjoncture. 

Cela répondrait en partie à l’une des principales critiques de la zone euro : la politique monétaire peut offrir une réponse adaptée aux chocs économiques dits symétriques (ie qui frappent les différents Etats membres à peu près de la même manière), mais pas aux chocs asymétriques (qui sont beaucoup plus fréquent que ce que pensaient les fondateurs de l’euro). Dans ce second cas, les Etats ne peuvent compter que sur leurs politiques budgétaires nationales (politique expansive en période de ralentissement et, au contraire politique restrictive en période de surchauffe) pour stabiliser la conjoncture. Or, en pratique, on a vu que l’ajustement par la coordination des politiques budgétaires nationales était un échec : l’Europe, et singulièrement la zone euro, est déchirée entre les partisans de la rigueur (ou de l’austérité) et ceux qui pensent qu’il faut creuser davantage les déficits. Le tout dans un contexte où les limites du pacte de stabilité, consubstantiel à l’euro, sont dépassées depuis les années 2003-2004 dans certains grands pays, dont la France. 

Donc l’idée de trouver des mécanismes de transferts budgétaires automatiques est intellectuellement séduisante et l’assurance chômage est un bon candidat pour cela.

En l'état actuel et au regard des nombreuses disparités entre les pays européens, notamment en matière de salaires, dans quelle mesure cette idée paraît-elle réalisable ?

Techniquement, cette proposition est pour l’heure totalement utopique. Dans l’Europe à 27 évidemment : on voit mal comment on pourrait rapprocher (je ne dis même pas "harmoniser"…) des systèmes aussi disparates que les assurances chômages française et roumaine. Même dans le cadre de la zone euro, les disparités sont sans doute trop fortes : imagine-t-on un système d’assurance chômage intégré entre la France et la Grèce ? 

Indépendamment des disparités de niveau de développement, il faut bien voir que nos assurance chômage sont très variables dans leur gouvernance et en termes d’insertion dans l’ensemble des transferts sociaux. Par exemple, dans certains pays, l’assurance chômage est complétée par de nombreux transferts sociaux, ce qui la rend subsidiaire. Dans d’autres (cas de la France), elle joue un rôle plus important.  Dans certains pays, il existe également un revenu minimum universel (France), d’autres s’appuient davantage sur un revenu d’assistance basé sur les solidarités locales. Dans certains cas, les règles sont décidées par les partenaires sociaux, dans d’autres par l’Etat… Bref, je ne vois pas bien comment un système commun pourrait fonctionner !

Ce système suppose davantage de fédéralisme européen, à quoi étaient opposés les Britanniques. Le Brexit pourrait-il accroître les chances de réussite de cette idée ?

Un tel mécanisme serait en effet un pas en avant vers une sorte de fédéralisme budgétaire, qui me paraît indispensable à terme si l’on souhaite conserver une monnaie unique. Mais, ce n’est pas précisément une façon de désamorcer les tendances à l’exit qui se font jour ailleurs qu’en Grande-Bretagne, car celles-ci sont portées par des mouvements politiques qui veulent au contraire "moins d’Europe" et plus de souveraineté ! 

J’ajouterai que même certains partis politiques modérés et europhiles  seraient contre, par exemple en Allemagne. Une fédéralisation de l’assurance chômage n’aurait économiquement de sens que pour lutter contre des déséquilibres des marchés du travail nationaux d’origine conjoncturelle. Or nous avons de toute évidence (par exemple la France par rapport à l’Allemagne ou les Pays-Bas) des différences structurelles. Et je vois mal le contribuable allemand ou batave accepter de payer en permanence pour un marché du travail français incapable de se réformer et pour un pays où la moindre réforme du droit du travail se traduit par une sorte d’hystérie collective qui laisse nos voisins pour le moins perplexes.

Relancer l'Europe par le volet social est-il la voie à prendre pour sauver le projet européen mis à mal par le Brexit ?

Le Brexit, de même que les autres "exits" potentiels, ne me semble pas lié aujourd’hui à une insuffisance de l’Europe sociale. 

Il est fini, le temps, où une majorité de la gauche, celle des Delors et des Rocard, défendait la construction européenne au nom de la construction d’une Europe sociale. La gauche a perdu son internationalisme et, avec lui, son européisme social ! Des personnalités convaincues par cette perspective à la fois sociale et viscéralement européenne, on n’en trouve plus guère qu’à la CFDT et c’est bien triste. Quant aux revendications de l’extrême gauche à la Mélenchon - Martinez, elles sont radicalement franco-françaises, avec une coloration anti-allemande assumée et assez détestable. Quant à la droite, la notion d’Europe sociale n’est tout simplement pas dans son radar. 

Le point commun aux pro-exits, c’est une perception que l’Europe est  paperassière, éloignée des citoyens, pro-allemande, ne nous protège pas contre les agressions extérieures et qu’elle est peu démocratique. Mais au fond, ce qui est en jeu n’est peut-être même plus l’Europe, mais plus fondamentalement, et c’est beaucoup plus grave, un rejet croissant de certaines valeurs qui sont au fondent nos démocraties libérales (le respect de la représentation parlementaire et de l’équilibre des pouvoirs, le combat pour les libertés politiques et économiques, l’esprit de tolérance…). 

Dans ce contexte, je ne pense pas qu’une relance de l’Europe sociale soit la première des réponses. Toutefois, s’il y a un noyau dur continental (en gros France – Bénélux – Allemagne – Italie – Espagne) qui accepte des transferts de souveraineté, on pourrait avancer sur le front de l’Europe sociale, parmi d’autres chantiers. On pourrait imaginer l’obligation de fixer des salaires minima, harmoniser notre droit du licenciement et - pourquoi pas ? – nous engager sur des principes communs à nos systèmes d’assurances chômage (sans pouvoir gommer toutes les différences, naturellement…). Je pense aussi que, s’agissant d’un tel noyau dur, une plus grande harmonisation fiscale serait un chantier encore plus important.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !