Comment penser ce monde de nomades et de néosédentaires alors qu'il nous faut défendre des valeurs<!-- --> | Atlantico.fr
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malgré le chômage, les Français sont plus optimistes pour eux­-mêmes que pour la France. C’est l’idée de la France comme patrie qui est en souffrance.
malgré le chômage, les Français sont plus optimistes pour eux­-mêmes que pour la France. C’est l’idée de la France comme patrie qui est en souffrance.
©Reuters

Bonnes feuilles

Le monde est en ce moment souvent noir - comme Daech - ou brun - comme les extrêmes droites. Pourtant, la société collaborative et numérique nous entraîne dans une mutation économique et culturelle aussi puissante que celle de la révolution industrielle. Ce livre est le récit des réussites de nos sociétés, mais aussi celui de leurs bouleversements. Jean Viard ­propose une analyse des limites du ­politique dans la société contemporaine et exhorte les acteurs culturels à se réapproprier le rôle de guide en matière de vision sociétale à long terme. Extrait de "Le moment est venu de penser à l'avenir", de Jean Viard, aux éditions de l'Aube 2/2

Jean Viard

Jean Viard

Jean Viard est directeur de recherches CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Il est spécialiste des temps sociaux (les 35 heures et les vacances), des questions agricoles et de l'aménagement du territoire. 

Il est l'auteur de Penser les vacances (Editions de l'Aube, 2007), et Eloge de la mobilité : Essai sur le capital et la valeur travail (Editions de l'Aube, 2008) et plus récemment de : La France dans le monde qui vient aux Editions de l'Aube.

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La course continue. Nos armées agissent, la police est partout, le chômage est lourd, l’opinion lassée, la foule en colère. Les innovations technologiques s’accélèrent, la COP21 a été signée, le marché financier mondial est instable, les extrêmes droites en progrès. Matin brun et assassins nomades au drapeau noir se renvoient la balle. Chacun se replie sur sa proximité – la famille, les amis, l’entreprise, la commune. Plus on s’éloigne, plus on est inquiet, sauf les nomades créatifs qui surfent sur les flux et les dynamisent. 

Nos sociétés se défont des règles collectives du monde d’hier et s’extraient des mots que nous avions inventés pour les raconter et les organiser. Les grandes organisations de production, agricoles d’abord, puis industrielles et bureaucratiques, cèdent. Les partis politiques, les syndicats, les bureaucraties d’État se figent. Les entreprises et les créateurs luttent au jour le jour pour s’adapter et imaginer le monde. La mobilité est devenue un moteur puissant. Le travail comme les liens interpersonnels sont de plus en plus constitués en réseaux et en grappes, structures éphémères, concentrations événementielles, pluri­activités. Les mots pour le dire sont, eux aussi, de plus en plus désuets. « Classes », « nation », en particulier. Mais aussi « mariage » et peut-­être « contrat de travail », voire « syndicat » et « parti politique ». La famille, qui avait failli subir le même sort que le mariage dans les années 1970 et 1980, a trouvé un nouveau fonctionnement en tribu solidaire. Heureusement que nous avons inventé cette nouvelle famille flexible à quatre générations ! Elle tient la société. 

Des élites isolées et des valeurs à défendre

La distance entre les élites et le peuple a rarement été aussi grande, et la crise entre les nomades gagneurs et les néosédentaires nationaux ou les extrémistes attirés par l’islamisme sudiste ne cesse de croître. Le noir et le brun progressent et égarent de plus en plus les populations et les stratégies. Quand 86 % des Français sont favorables à la déchéance de nationalité pour des terroristes binationaux nés en France et qu’une bonne part des leaders de la gauche, mais pas seulement, y est opposée, où est le lien politique ? Ce sont pourtant des « représentants » élus. Représenter, c’est bien « parler au nom de » ? Le peuple a-­t-­il tort face aux sachants politiques et militants ? Pourquoi le peuple n’écoute­-t-­il plus ses « représentants » ? Ou pourquoi les représentants n’écoutent­ils plus leurs électeurs ? Est­-ce cela la France : des élites en leur vérité et un peuple lointain ? Où est le « lien » politique ? 

On peut faire de grandes envolées lyriques sur la République, citer avec élégance des phrases célèbres, la distance entre les élites et le peuple ne peut être masquée. Le peuple : qui est « nous », et qui n’est pas « nous » ? Les élites : « Soyons fidèle à notre tradition. » Mais le monde n’a-t-­il pas changé, toutes les traditions sont­-elles bonnes à garder ? Disait-­on autre chose à la cour de Versailles, en 1789 ? Face à cette distance considérable, il faut d’abord se questionner. Cesser les certitudes. Penser ce monde de nomades et de néosédentaires. Entendre la peur, surtout la peur symbolique, celle du manque de sens, du désarroi face au destin commun. Car malgré le chômage, les Français sont plus optimistes pour eux­-mêmes que pour la France. C’est l’idée de la France comme patrie qui est en souffrance. Et dans ce genre de situation, je me sens plus proche de Mirabeau que de Robespierre, mais Robespierre a plus de chance de gagner, soyons lucide. 

Être français, pour moi, ce n’est pas d’abord avoir lu Montesquieu, de Gaulle, Zola ou Régis Debray et habiter au centre de Paris ; c’est se sentir appartenir à une aventure qui se déroule sur un territoire, la France, où l’on cherche à vivre, à élever ses enfants, à travailler et à pouvoir voter. Avoir un toit, un repas, un amour, du respect. Or cela n’est plus vrai. Le chômage nous ronge. L’avenir du travail est incertain. Les « quartiers » sont très loin de la France républicaine. L’école méconnaît la diversité et la souplesse des petites entreprises. Les terroristes de 2015 venaient presque tous de zones dites « sensibles ». Si la politique ne sait à nouveau dire où nous voulons aller, et avec qui, et pour quoi faire, la révolte du peuple peut être terrible. Patrick Weil dit avec justesse qu’être français, c’est se reconnaître dans la philosophie des Lumières, la Révolution de 1789 (et 1848), la laïcité et parler français. C’est d’ailleurs pourquoi il y a beaucoup de « néo­-Français hors de France », car des millions de Belges ou d’Africains pourraient se reconnaître dans ces quatre éléments de valeurs et de culture. Et il faut tout faire pour renforcer cela. 

Extrait de "Le moment est venu de penser à l'avenir", de Jean Viard, publié aux éditions de l'Aube. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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