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Hollande propose, elle dispose : Angela Merkel assume-t-elle désormais sans faux semblants la domination allemande sur l’Europe ?
©Reuters

Ce que femme veut

Alors que François Hollande veut voir le Brexit comme une opportunité pour relancer l'Europe, Angela Merkel semble s'y opposer en indiquant que plus d'Europe consisterait à faire le jeu des eurosceptiques.

Romaric Godin

Romaric Godin

Romaric Godin est journaliste financier. Ancien correspondant à Francfort pour La Tribune, il en est actuellement le rédacteur en chef adjoint.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Alors que François Hollande veut voir le Brexit comme une opportunité pour relancer l'Europe, Angela Merkel semble s'opposer à une telle vision en indiquant que plus d'Europe serait faire le jeu des eurosceptiques. Dans le même temps, le Sunday Times révélait qu'un ministre allemand, anonyme, indiquait qu'Angela Merkel chercherait à obtenir la démission de Jean Claude Juncker. Selon ces derniers signes, peut-on en déduire que le "lead" allemand s'impose de plus en plus à l'Europe, et ce, avec de moins en moins de "discrétion" ?

Romaric Godin : Oui, cela fait six ans que l'Allemagne s'impose de plus en plus clairement sur la scène européenne. A chaque nouvelle crise, un palier est franchi, le dernier étant le Brexit. Mais ce qu'il est intéressant de comprendre, c'est ce que l'Allemagne souhaite faire de ce pouvoir acquis au fil des ans.

Se pose aujourd'hui la question de la réponse à apporter à la sortie du Royaume-Uni de l'Europe. Clairement, deux positions s'opposent côté européen, positions que l'on retrouve aussi en Allemagne. Celle tout d'abord d'une intégration plus forte des pays membres de l'Europe, et notamment ceux de la zone euro. Il est par exemple envisagé de créer un premier cercle d'intégration, très poussé, qui serait le pendant des règles budgétaires actuelles. C'est une position portée notamment par la France et l'Italie, mais aussi les sociaux-démocrates allemands puisqu'elle avait été appuyée par Jean-Marc Ayrault et Franck-Walter Steinmeier le dimanche qui a suivi le Brexit. Cette proposition, qui a été discutée pendant le sommet du 28 et 29 juin, est la première proposition.

La deuxième est celle de Wolfgang Schaüble, chantre de l'ordo-libéralisme, qui souhaite utiliser le Brexit pour renforcer le contrôle budgétaire au niveau central et ne rien faire d'autre. Il souhaite une réforme de la zone euro en renforçant la "stabilité" financière, notamment via un contrôle automatique : qu'un pays sorte des règles et il serait immédiatement sanctionné. Une vision logique du point de vue de l'ordo-libéralisme allemand, mais aussi un économisme très juridique.

Entre les deux visions, il y a Angela Merkel qui envoie des messages par rumeurs de presse, dont celle contre Jean-Claude Juncker. Et le démenti qu'elle a prononcé lundi 4 juillet au soir signifie qu'elle est davantage du côté de Wolfgang Schaüble, ou du moins qu'elle l'utilise pour envoyer un message aux pays du Sud : "si vous allez trop loin dans vos propositions d'intégration, j'aurais une contre-proposition. Le mieux serait donc d’aménager l'existant". Ce qui correspond à sauver le statu quo, et ne rien faire. Il faut bien comprendre que Mme Merkel considère aujourd'hui que la structure de l'Europe est optimale, qu'il n'y a pas de besoin de la réformer ou de l'améliorer, qu'il suffit juste de l'adapter au moment, c'est-à-dire à la sortie du Royaume-Uni.

Ce statu quo est d'ailleurs la position qu'elle défend depuis plusieurs années, on l'avait vu à l'occasion de la crise grecque alors que les sociaux-démocrates allemands, François Hollande et Matteo Renzi poussaient pour une plus grande intégration de la zone euro, et donc plus de solidarité. Proposition qui est devenue une ligne rouge dans les négociations. Dès le lendemain du Brexit, la CDU a d'ailleurs refusé toute avancée dans ce sens.

Tout ceux qui pensent donc que le Brexit sera l'occasion d'aller vers plus de fédéralisme se trompent car l'Allemagne n'est pas du tout prête à aller dans ce sens.

Christophe Bouillaud : On peut en tout cas dire que la diffusion de ce genre de rumeurs autour de la stratégie allemande au lendemain du Brexit traduit l’importance qu’a prise au fil des années l’exécutif allemand dans le dispositif décisionnel européen. Je reste toutefois très dubitatif face à cette source anonyme du Sunday Times. En effet, Angela Merkel n’a pas fait obstacle à la candidature de Juncker à la tête de la Commission européenne, loin de là, et surtout, même si Angela Merkel et Jean-Claude Juncker peuvent avoir des divergences de stratégie, je vois mal Merkel ouvrir de sa propre volonté une crise de succession à la tête de la Commission. Cela serait assez incohérent avec sa bien visible volonté de temporiser, de laisser du temps au temps, de voir comment les choses vont évoluer outre-Manche.

Le compromis obtenu par François Hollande auprès d'Angela Merkel, ne serait, pour le journal Der Spiegel, qu'un moyen pour Angela Merkel de bloquer toute tentative supplémentaire d'intégration politique en Europe. Quelles sont les raisons objectives pour lesquelles l'Allemagne refuse cette nouvelle étape ? Peut-on en déduire qu'une nouvelle fois, la France est plus affaiblie que renforcée par la situation ?

Christophe Bouillaud : Les dirigeants conservateurs allemands ne sont pas totalement contre tous les projets allant vers plus d’intégration. Il y a d’ailleurs des projets en ce sens venant de Wolgang Schäuble. Mais ces projets partent toujours de l’idée qu’il doit exister dans l’idéal un strict minimum de transferts financiers entre Etats membres, parce que tout le monde serait capable de tenir strictement son budget. C’est ainsi l’idée de créer une nouvelle autorité européenne à côté de la Commission qui serait capable de censurer les budgets nationaux qui seraient hors des clous et qui éviterait ainsi le laxisme et la politisation de la Commission en la matière. On reste toujours dans le cadre du paradigme du Traité de Maastricht, où, si la monnaie est unique, les budgets nationaux restent strictement séparés. Cette vieille idée est encore renforcée par un aspect juridique : le jugement de la Cour constitutionnelle allemande de 2009 sur le Traité de Lisbonne. Dans ce jugement, il est clairement dit qu’il est hors de question qu’à force de transferts de souveraineté et de transferts financiers, le Bundestag ne puisse plus déterminer les paramètres essentiels des politiques publiques dont bénéficie le peuple allemand. Cela signifie aussi que, pour accepter significativement plus d’intégration, la Cour constitutionnelle exige depuis ce jugement de 2009 que le peuple allemand se prononce par référendum sur la fin de sa souveraineté. Vu le succès des référendums ces temps-ci en Europe, je doute que cela soit une perspective qui enchante les dirigeants allemands. Par ailleurs, la droite allemande est désormais sous pression de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), un parti qui a été créé justement pour refuser la solidarité européenne, même s’il s’occupe aussi beaucoup d’immigration ces temps-ci. Ce n’est donc pas le moment de l’encourager en donnant encore une fois l’impression que les dirigeants allemands jouent d’abord les durs avec ces fainéants du sud de l’Europe, tout en finissant par les aider à la fin. De fait, les dirigeants conservateurs allemands ne sont pas sans soutien dans la population allemande dans leur refus de plus d’intégration : y a-t- il aujourd’hui une majorité fédéraliste en Allemagne ?

La France sort quant à elle toujours aussi affaiblie de cette situation. En effet, elle est le pays qui joue par excellence double jeu. Ses dirigeants affirment leur volonté d’intégration, et, en même temps, c’est en France que s’est joué en 2005 le premier acte de ce qui allait suivre. Les électeurs français ne sont pas prêts à donner leur aval à plus d’intégration, et ils le sont sans doute encore moins aujourd’hui qu’en 2005. Avec un Président aussi impopulaire que François Hollande, il est impossible de rien tenter en ce sens d’un peu significatif, sauf à braquer encore plus les Français. Il suffit d’ailleurs de voir comment les dirigeants de la droite française ont réagi au Brexit ces derniers jours. Un véritable festival de souverainisme. Parler de plus d’intégration quand la France est classée par un récent sondage parmi les pays à l’opinion publique la plus eurosceptique, ce n’est en effet guère raisonnable pour gagner les élections.

Romaric Godin : Angela Merkel dirige une coalition qui perd beaucoup de popularité. En 2009, lors de la deuxième grande coalition allemande, il y a eu un très fort effritement du SPD mais aussi de la CDU. Cette grande coalition n'est plus une solution pour Angela Merkel : pour 2017, elle doit trouver une autre formule, et la CDU devra être dans une bonne position pour négocier. Or, la CDU est très divisée, notamment sur la question des migrants, mais aussi sur la question de la solidarité avec les autres pays membres de l'Union européenne. Pourquoi ? Parce le parti eurosceptique Alternative für Deutschland (AfD) joue sur tous ces thèmes, et qu'il les utilise pour gagner en popularité. Le but d'Angela Merkel est de ne surtout pas alimenter la poussée de l'AfD. Et elle ne peut pas se permettre, alors que la crise des migrants est toujours un thème très sensible en Allemagne, d'ouvrir un nouveau front avec la mise en place d'une solidarité très large au sein de la zone euro qui donnerait du grain à moudre à la formation populiste. D'emblée, dès le lendemain du référendum britannique, Merkel et la CDU ont donc refusé toute avancée de ce type.

A cela, il faut ajouter le fait que la CSU bavaroise a utilisé la crise des migrants pour entrer dans une contestation avec Angela Merkel et que la CSU bavaroise est en concurrence directe avec AfD. Les tensions au sein de la droite allemande font qu'il est impossible pour Angela Merkel de donner des gages à sa gauche. L'alliance avec le SPD n'est pas sa priorité. Sa priorité, c'est d'éviter l'éclatement de la droite et l'hémorragie des électeurs de la CDU vers l'AfD. Wolfgang Schaüble, qui incarne le défenseur de l’ordo-libéralisme, représente d'ailleurs une protection pour ces électeurs, car AfD est née de cette volonté de sauvegarder la pensée économique allemande des années 1950. C'est pour cela qu'elle ne peut pas s'en passer.

La France pourrait rentrer en conflit avec l'Allemagne en essayant réellement de pousser la proposition fédéraliste. Mais il est difficile de prévoir ce que fera François Hollande. Quoi qu'il en soit, il devra pour y arriver trouver des alliés et ce sera difficile : depuis son arrivée au pouvoir, il a toujours évité le conflit avec l'Allemagne. Sa position a toujours été de dire qu'il valait mieux coopérer avec elle plutôt que d'entrer en conflit. Et cela n’a pas donné de résultats probants.

A six mois des primaires de la "gauche de gouvernement", peut-il vraiment faire quelque chose ? A lui de l'évaluer... Il est vrai qu’il joue ici son quinquennat sur les questions européennes. Mais le problème est que si l'Allemagne ne veut pas d'une zone euro solidaire, il ne pourra pas la mettre en place seul... Montrer qu'il s'est battu sur cette option pourrait-il être une bonne chose pour lui ? Pourquoi pas. Peut-être pourra-t-il compter sur Matteo Renzi qui joue aussi son avenir politique en octobre sur un référendum sur les réformes constitutionnelles. Or, en Italie, l'Union européenne est désormais très impopulaire.

Dans les mois qui viennent, il y aura un vrai débat entre ces deux positions. Mais ne rêvons pas : Angela Merkel montre de plus en plus sa préférence envers la position ordo-libérale.

Dans cette optique, l'Allemagne obtient le soutien de plusieurs pays, dont la Pologne et la République Tchèque. Quelle est la stratégie de l'Allemagne dans ce retour à l'est, après les heurts provoqués par la crise des migrants ?

Romaric Godin : La position allemande envers les pays de l'Est est effectivement ambiguë. Après leur intégration en 2005, ils ont permis à l'Allemagne de gagner un poids significatif dans le concert européen car ils sont dépendants de l'Allemagne au niveau économique, et sont proches de ses positions économiques. L'Allemagne a toujours eu la volonté de ne pas s'imposer seule, elle cherche donc à trouver des appuis. Pendant longtemps, son alliée a été la France. Lors de la crise grecque de 2015, elle s'est plutôt tournée vers les Pays baltes ou la Slovaquie, qui, étant plus pauvre que la Grèce, démontraient que des pays modestes pouvaient s'allier à la position allemande. Les pays de l'Est sont donc des pays membres stratégiques pour l'Allemagne.

Il y a eu ensuite les tensions au sujet des réfugiés où l'Allemagne est restée très isolée en raison de la position de rejet des pays d’Europe centrale et a dû trouver des expédients comme l’accord avec la Turquie et les créations de hot spots en Grèce. Cette question est désormais relativement passée au second plan, et l'Allemagne redécouvre son intérêt à renouer des liens avec l'Europe de l'Est pour lutter contre le "plus de solidarité" dans la zone euro et plus d’intégration dans l’UE. Mais elle s’appuie aussi sur des pays comme la Finlande ou les Pays-Bas, travaillés par des courants opposés à la solidarité intraeuropéenne.

Christophe Bouillaud : Pour préserver l’Europe à 27, qui correspond très bien aux intérêts allemands actuels, par exemple en termes de décentralisation productive, l’Allemagne conservatrice a tout intérêt à flatter les anciens pays de l’Est qui sont tous restés très attachés à leur souveraineté retrouvée. Dans le cadre des 27, tout montre qu’il n’existe pas de majorité pour aller vers plus d’intégration, en tout cas telle que les socialistes de l’ouest de l’Europe, dont les Français, la rêvent encore. Dans un cadre géographique plus restreint, la zone Euro, l’option intégrationniste prend peut-être plus de sens, et encore, pensons à l’état d’esprit qui prévaut aux Pays-Bas, ou bien en Slovaquie. En fait, c’est seulement à l’échelle de quelques pays de l’ancienne Europe de l’Ouest qu’on peut songer à une intégration telle que les socialistes français la rêvaient en 1985. C’est à vrai dire assez irréaliste tant qu’il n’existe pas une majorité de gauche en Allemagne pour accepter les transferts que cela supposerait. Or, sur le papier, elle existe au Bundestag, mais le SPD se garde bien de l’organiser… ce qui ne laisse guère d’espoir pour le futur.

Alors que l'Allemagne et la France se préparent tous deux à une année électorale en 2017, est-il réellement envisageable de voir l'Union européenne se lancer aujourd’hui dans une réorientation ? Avec quelles conséquences pour l'UE ?

Christophe Bouillaud : Cette situation n’est pas très favorable, d’autant plus que les bilans ne sont pas les mêmes des deux côtés du Rhin. La CDU-CSU pourra toujours dire qu’elle a sauvé l’essentiel, c’est-à-dire qu’elle a évité aux contribuables d’outre-Rhin de payer trop pour les autres pays et qu’elle a finalement bien géré la crise des migrants. Le PS et François Hollande vont avoir un bilan plus mitigé. C’est bien pour cela que François Hollande aimerait faire un coup pour clore sa Présidence et lui donner un autre sens. Je doute fort qu'Angela Merkel lui fasse cette politesse, elle qui voit passer les cadavres politiques des autres dirigeants européens depuis des années.

Pour ce qui est de l’UE, faute de nouveaux dirigeants politiques un peu visionnaires à quelques postes clé en France, en Allemagne et à la Commission, je crains fort qu’elle continue de s’enfoncer doucement dans cette "polycrise" qui peut finir par l’achever.

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