Lehman Brothers, le retour ? Pourquoi le Brexit a généré un énorme problème pour les banques européennes<!-- --> | Atlantico.fr
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Nous sommes toujours partagés, en Europe, entre la réponse à la dernière crise et les systèmes mis en œuvre pour répondre à une éventuelle future crise et éviter le risque d'une répétition.
Nous sommes toujours partagés, en Europe, entre la réponse à la dernière crise et les systèmes mis en œuvre pour répondre à une éventuelle future crise et éviter le risque d'une répétition.
©Allociné / Washington Square Films

Comme un air de 2008

Le Brexit, voté le 23 juin 2016, a mis en lumière les problèmes (pré-existants) des banques italiennes. Sans en générer à proprement parler, la secousse qu'implique le référendum britannique dévoile les faiblesses du système bancaire européen.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : En amont du Brexit, les banques italiennes connaissaient déjà une situation inquiétante. Dans quelle mesure le référendum du 23 juin 2016 agit-il à la manière d'un révélateur, dévoilant les faiblesses du système bancaire européen ? Quels sont les risques auxquels nous sommes aujourd'hui réellement exposés ?

Frederik Ducrozet : Le premier phénomène visible et observable d'une crise, c'est la tension qu'elle génère sur les marchés. Il s'agit souvent d'une tension qui fait pression et se reporte sur le prochain "maillon faible", provoque un effet domino – dans l'esprit des marchés, au moins. C'est quelque chose que l'on constate par un mouvement d'aversion pour le risque. Les banques de la périphérie de la zone euro l'ont essuyé pour des raisons qui précédaient effectivement le Brexit, en plus d'être complètement indépendant du vote britannique. Ce premier phénomène se caractérise donc par une forme de "fuite vers la qualité", une vente – plus ou moins forcée – des actifs jugés les plus risqués ou les moins liquides. Les actions des banques européennes font partie de ces actifs, ce qui explique leur chute. À cela, il me semble important de préciser que d'autres actifs, comme la dette souveraine des pays concernés par exemple, n'en font plus partie. Ou alors dans une moindre mesure, depuis que la BCE rachète des dettes d'État.

Il y a, à mon sens, de nombreux éléments très classiques dans cette situation : une tension extrême des marchés le vendredi qui a suivi le suffrage, mais aussi des facteurs aggravants dans la mesure où l'univers des actifs les plus risqués s'est réduit, du fait du pare-feu installé (autour des dettes publiques et privées, notamment) par la BCE.

Le Brexit a un été un révélateur, pas un élément déclencheur, de l'aversion pour le risque des investisseurs. La dette publique et la dette d'entreprises non financières étant éligibles aux programmes de rachats de la BCE, elles sont plus résilientes aux types de mouvements observés. Le sort des banques britanniques (et nécessairement celui des banques européennes basées à Londres) est dans la balance. Il est très incertain et personne ne sait ce qu'il adviendra du passeport financier des banques concernées. Cela impactera nécessairement leur activité avec leurs contreparties de la zone euro.

Le risque auquel nous faisons face, que la BCE essaye d'ailleurs de limiter depuis le début de la crise, est essentiel, crucial. C'est celui d'une boucle ou d'une spirale néfaste pour l'économie, touchant les banques et l'État. Il s'agit d'un sujet assez complexe, et la BCE a la volonté de briser ce cercle vicieux potentiel, particulièrement dangereux dans la périphérie et susceptible de s'autoalimenter l'un l'autre. C'est pourquoi nous avons besoin d'une union bancaire stable et solide encore plus en zone euro qu'ailleurs dans le monde. Notre économie reste très désintermédiée : son financement dépend aux deux tiers (environ) de ses banques, particulièrement pour ses PME.

À la suite de la crise de 2008, les Américains sont revenus sur plusieurs des faiblesses de leur système bancaire. A l'inverse, dans les années 1990, le Japon a trop tardé à "nettoyer" son système bancaire. Peut-on aujourd'hui estimer que les Européens ont péché par un trop grand immobilisme en la matière ? Quels sont les pays européens qui pourraient réitérer l'erreur japonaise aujourd'hui ?

Oui. La réponse courte est clairement un oui franc. Si, a posteriori, nous avions réagi comme ce fut le cas aux États-Unis, en appliquant cela à notre situation (mise en place d'un grand plan public, recapitalisation des banques, soutien décisif à l'économie, tant en matière de montant qu'en matière de coordination entre les pays de la zone euro), nous n'en serions probablement pas là. La réalité, néanmoins, c'est qu'il aurait fallu faire cela dans 19 pays dont les contraintes politiques et économiques sont foncièrement différentes. L'appétit des pays qui auraient pu se permettre une telle solution (Allemagne ou France) restait très limité : elle implique effectivement une mutualisation et un partage des coûts à l'échelle européenne. Quelque part, c'est le point commun de l'intégralité du sujet : nous sommes toujours partagés, en Europe, entre la réponse à la dernière crise et les systèmes mis en œuvre pour répondre à une éventuelle future crise et éviter le risque d'une répétition. C'est autour de cette problématique qu'il est possible d'articuler toutes les réponses, mais aussi les faiblesses et les politiques européennes. De ce fait, nous sommes plutôt bien armés pour lutter et éviter une nouvelle crise de ce type (union bancaire, marché des capitaux… uniques en Europe), mais nous n'avons pas tout à fait fini de nettoyer et de nous débarrasser complètement de l'héritage de cette crise passée.

Sans aucune hésitation, le pays le plus susceptible de réitérer l'erreur japonaise est l'Italie. Un certain nombre de pays comme l'Espagne, l'Irlande ainsi que dans une moindre mesure le Portugal et la Grèce, ont d'ores et déjà pris des mesures pour (commencer, au moins) nettoyer leur système bancaire. L'Italie ne l'a jamais fait, là encore pour des raisons politiques : c'est un problème dont la résolution demande une certaine volonté. Mais aussi pour des raisons purement économiques : il faut des capacités budgétaires… Or, l'Italie est le pays qui avait le niveau de dette publique le plus élevé quand la crise a frappé, et par conséquent les marges de manœuvres étatiques les plus limitées. Enfin, et c'est une conclusion qui s'applique à la quasi-totalité des exemples de la crise européenne, il faut que les différentes pressions (financières, des marchés, politiques, etc.) soient suffisamment élevées pour permettre à cette volonté politique de faire consensus. C'est le cas en Italie aujourd'hui… mais c'est malheureusement un peu tard.

D'autres pays sont également en danger, cependant. La Grèce demeure toujours à part. Il s'agit d'un petit pays par sa taille et son secteur bancaire est sans commune mesure avec ce que l'on connaissait avant la crise. Les crises qui ont frappé la Grèce et le Portugal ne trouvent pas leur origine dans le système bancaire. Mais, in fine, l'état des banques dépend de l'état de l'économie, la situation demeure dangereuse dans ces deux pays. Leur environnement économique est compliqué et ils sont donc des pays à risque en cas de grave crise financière. La France est à l'abri de tels risques sauf, faut-il vraiment le préciser, en cas de dépression très forte en Europe, de récession prolongée qui frapperait auquel cas tous les pays. Allemagne inclue.

Quelles pourraient être les conséquences d'un scénario noir en Europe ? Quelle est la probabilité qu'il se réalise ?

Le scénario noir ne serait probablement pas celui de la crise des années 1990, au Japon. Les différences de structures de financement, de détention de la dette (majoritairement détenue par les Japonais, à l'inverse des dettes publiques européennes) impliquent que le schéma ne serait pas le même.

Néanmoins, il y a deux types de risques qui se détachent en Europe. Le premier est à mon sens le moins important : il s'agit du scénario de la rupture soudaine dans la chaîne de financement, que le reste du monde refuse de nous financer. Nous sommes toujours dépendants des flux de capitaux externes, malgré l'excédent courant, et tout le reste. Il est primordial que le reste du monde continue d'avoir confiance en l'Europe et la finance. C'est, grâce à la BCE, un risque très limité aujourd'hui.

Le deuxième risque s'ancre plus dans le long terme et se rapproche plus de la situation qu'a connue le Japon. C'est le risque de déflation, du passage d'une dépression déflationniste à une réelle spirale déflationniste, touchant tant les prix que les salaires. Ce serait un scénario catastrophe, particulièrement pour les banques : un secteur bancaire ne peut que difficilement survivre à un épisode déflationniste qui se prolonge sur plusieurs années. Il est peu probable qu'un tel scénario se produise, mais s'il devait approcher, il constituerait probablement un électrochoc, comme en Irlande, et provoquerait des réponses politiques plus radicales : c'est devant cet abyme que les Européens trouvent la volonté pour y répondre. Nous assisterions très probablement à une réponse de politique budgétaire de la part de la BCE, mais aussi de l'Union et des différents gouvernements. Ce serait, malheureusement, une réponse de dernier moment, en l'absence de choix et de va-et-vient.

Quelles sont aujourd'hui les solutions permettant de retrouver un système financier européen viable et sain ? Quels en sont les préalables politiques ?

Il faut probablement une pression supplémentaire, comme dit précédemment, pour que les responsables européens acceptent finalement d'aller au bout des projets qui ont été amorcés. Je parle notamment de l'union bancaire, dont la dimension "garantie des dépôts" a été mise de côté parce que l'Allemagne s'y oppose, mais aussi l'union des marchés de capitaux – qui permettrait un véritable système financier de flux transfrontaliers efficace. Il ne s'agirait pas de mettre en place un système basé sur le modèle américain, mais bien de mettre en place un système financier européen efficace, capable d'absorber les chocs. Quand un pays comme l'Italie aujourd'hui se retrouve en difficulté, les banques des autres pays pourraient être en mesure de se saisir de l'opportunité et de réaliser le travail pour les banques italiennes, jusqu'à ce que ces dernières se soient renforcées. Il faut mettre ces solutions en œuvre bien plus rapidement qu'on ne l'observe actuellement. Évidemment, il faut également aller au-delà dans la construction de l'union, sur les plans budgétaires, politiques, mais également sur la compétitivité. Le rapport du président actuel, qui a désormais un peu plus d'un an, donne de bonnes directions. Il faut prendre tout cela en compte pour que ce système financier soit ensuite utilisé à bon escient.

Or, ces dimensions sont complètement mise de côté. Brexit oblige, le sujet sera très largement abordé pendant un long moment. L'agenda n'est donc pas favorable à ces problématiques, particulièrement quand l'on sait que le dernier sommet européen a simplement évoqué l'idée de ressusciter ces thématiques à l'occasion d'un prochain sommet initialement prévu en septembre mais très probablement repoussé à la fin de l'année en raison du référendum britannique. Enfin, encore une fois, il me semble qu'une certaine pression économique et financière est nécessaire pour accélérer l'agenda. Sans cela, j'ai peur que nous allions tranquillement vers les élections françaises et allemandes. Ce sont dans des cycles comme celui-ci des contraintes : il risque de ne pas se passer grand-chose pendant cette période, sauf à assister une crise majeure qui rehausserait l'appétit pour ces problématiques, malgré la période électorale. Ce qui ne sous-entend pas qu'il faille en souhaiter une : cela signifie simplement que sans un événement d'ampleur, les problèmes seront réglés au coup par coup, sans vision globale.

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