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L’arroseur arrosé : quand la vertueuse Allemagne reçoit une leçon de la part du FMI
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Retour de bâton

Alors que le FMI s'est inquiété ce jeudi du vieillissement de la population allemande, qui affaiblirait grandement son potentiel de croissance future, la faiblesse démographique outre-Rhin est de plus en plus commentée. Le modèle social allemand, et notamment son système de retraite, est en jeu.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Dans un rapport publié ce jeudi 30 juin, le FMI a sérieusement mis en garde l'Allemagne contre le vieillissement de sa population qui affaiblit grandement son potentiel de croissance future et qui menace sur le long terme "la pérennité du système de sécurité sociale et les finances publiques en général". Dans quelle mesure le système social allemand, et notamment celui des retraites, est-il effectivement menacé aujourd'hui par la situation démographique du pays ?

Laurent Chalard : L’Allemagne connaît effectivement une situation démographique, qui menace la pérennité de son système social, et donc de son système de retraites, mais aussi plus globalement de son économie à moyen-terme. Le pays se caractérise par une natalité très abaissée depuis près d’un demi-siècle désormais pour la partie occidentale, du fait d’une fécondité constamment très inférieure au seuil de remplacement des générations (qui est de 2,1 enfants par femme), soit moins de 1,5 enfant par femme en moyenne depuis le début des années 1980. En conséquence, des générations de plus d’1,1 million de personnes nées au début des années 1950 vont être bientôt remplacées (rappelons que l’âge de la retraite est désormais de 67 ans en Allemagne, soit beaucoup plus qu’en France) par des générations nées au milieu des années 1990 qui arrivent sur le marché du travail comprenant moins de 800 000 personnes sans compter les immigrés arrivés depuis, qui viennent un peu remonter ce chiffre. Le pays se dirige donc vers un manque de main d’œuvre certain, qui devrait aller en s’amplifiant au fur et à mesure du temps, la natalité ayant atteint son point bas au début des années 2010, avec seulement 662 000 naissances en 2011, à comparer avec les 1,35 million de naissances des années 1960, soit un chiffre deux fois moindre ! Il n’y a pas besoin d’être démographe pour comprendre que le rapport entre actifs et retraités va se dégrader de manière considérable dans les prochaines décennies, constituant le plus grand défi que l’Allemagne va devoir affronter dans le futur.

Vincent Touzé : La situation démographique allemande est connue depuis longtemps, mais jusqu'à présent on ne peut pas encore considérer que sa plus faible natalité et sa moindre croissance de la population active lui ait porté préjudice, étant donné que l'Allemagne a une économie qui se porte très bien.

S'il est attendu, le déclin de la population active allemande n'est pas encore effectif. Mais il est déjà acquis qu'avec moins de croissance démographique, c'est plus facile en termes de performance sur le marché du travail puisqu'il y a moins de postes à créer. Il y a moins de tensions sur le marché du travail, ce qui conduit à un grand nombre d'avantages en terme d'assurances sociales, d'assurances-chômages, etc.

Pour le système de retraites allemand à proprement parler, ils ont tout de même intégré des mécanismes créant de la solvabilité, dans le sens où les pensions sont indexées sur l'évolution des salaires, ce qui viendrait corriger dans le temps l'effet indu par la dégradation du ratio cotisants/pensionnés.

Que peut faire l'Allemagne face à une telle situation ? Reculer l'âge de la retraite, comme le préconise Wolfgang Schaüble ? Avoir recours à une immigration massive ? Quelle efficacité peut-on attendre de chacune de ces orientations potentielles ? Quelles sont les risques de ces politiques ?

Vincent Touzé : L'Allemagne a encore un peu de marge pour ce qui est du recul de l'âge de la retraite. Le taux d'emploi des 55-64 ans en Allemagne est ainsi de 65,6%. À titre de comparaison, le taux est de 47% en France. Dans les pays de l'Union européenne, ils ont ainsi l'un des taux d'emploi les plus élevés (la Suède est en tête avec 74%). C'est un levier envisageable : en faisant travailler les gens plus longtemps, vous pouvez augmenter le nombre de cotisants en baissant le nombre de pensionnés.

Un autre levier peut être de jouer sur l'attractivité du marché du travail. Cela peut se faire au niveau européen, dans le contexte particulier de la crise des migrants en Europe. Se posera alors la question de la capacité du marché du travail d'intégrer cette main-d'œuvre étrangère, et surtout avec quelle productivité. Un migrant aura-t-il la même productivité qu'un travailleur allemand qui part à la retraite ? Une autre question est celle de l'attractivité de l'Allemagne au niveau européen, sachant que la crise économique a laissé certains pays, notamment dans le sud de l'Europe, dans des situations de chômage élevé. Il peut certes exister certaines barrières à l'entrée, notamment l'usage de la langue allemande. Un Land comme la Sarre, région voisine de la France, joue sur cette attractivité puisqu'il essaye d'introduire le français comme 2ème langue officielle d'ici un horizon certes encore un peu lointain, pour faciliter la venue de travailleurs francophones dans cette région.

L'Allemagne pourrait être assez attractive de ce point de vue-là : il y a de la croissance, un secteur industriel qui a été préservé…

L'immigration est aussi bien sûr un levier sur lequel ils peuvent jouer. Mais tout dépend du type de main-d'œuvre dont ils ont besoin. À cet égard, on peut rebondir sur le vieillissement de la population. Les Allemands très âgés vont être de plus en plus nombreux. Quand les gens atteignent l'âge de 75-80 ans environ, des besoins spécifiques apparaissent, nécessitant l'emploi d'une main-d'œuvre peut-être moins qualifiée (service d'aide à domicile, assistance de personnes dépendantes, etc.). Le recours à l'immigration peut être une solution ici.

Enfin, d'une manière générale, les Allemands ont beaucoup d'épargne et un capacité en termes de revenus du capital qui pourrait leur permettre de financer leur vieillissement.

Le vieillissement de la population allemande est-il susceptible de mettre à mal son leadership économique en Europe ? Avec quelles conséquences sur l'Union ?

Vincent Touzé : Tout dépend de ce qu'on appelle leadership. Le leadership d'un pays dépendrait de son poids démographique. D'un point de vue démographique, en effet, si les Allemands restent avec des taux de fécondité autour de 1,5 (en 2014), alors qu'en France nous sommes environ à 2, le nombre de citoyens allemands va mécaniquement diminuer, en valeur absolue et relativement par rapport aux voisins européens.

Il reviendra aussi à l'Allemagne d'avoir d'autres stratégies pour augmenter son nombre de citoyens si c'est la variable-clé pour imposer un leadership (encourager les femmes à avoir plus d'enfants, leur facilité la transition travail-vie de famille, etc.).

Sur l'aspect purement économique, le capitalisme allemand et sa puissance financière dépendra bien sûr aussi de leur démographie. Si la population se divise par deux d'ici un certain temps, leur poids économique se réduira effectivement.

Si les Allemands sont riches, ils peuvent aussi développer un capitalisme puissant avec moins d'Allemands. Il faut bien garder à l'esprit que les Allemands contribuent au fait que l'Europe ait aujourd'hui des excédents courants. La capacité de financement de l'Europe, c'est aussi dû au fait que les Allemands ont une grosse épargne.

Cela leur donne donc une base solide, même si évidemment le poids démocratique de l'Allemagne en Europe diminuerait en cas de chute démographique conséquente.

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