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Loi Travail : ce coup de canif dans l’inversion de la hiérarchie des normes qui pourrait signer la fin de la crise et le début de gros ennuis pour les entreprises
©Reuters

Le début de la fin

Le conflit social relatif à la loi Travail qui a déchiré la France ces derniers mois est en passe de s'arrêter... au prix de concessions négociées en coulisses qui risquent de mettre les PME et TPE dans des situations délicates.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le gouvernement et les partenaires sociaux nous ont encore régalé d'un joli spectacle digne du théâtre de Guignol. Les uns et les autres rivalisent d'idées pour aménager la loi Travail avant son passage au Parlement. En réalité, les amendements qui sortent du chapeau aujourd'hui sont négociés depuis plusieurs semaines, et comme on l'avait annoncé déjà (dans la foulée des déclarations du député Sirugue ou de Jean-Claude Mailly), ils limiteront encore fortement ce qui avait été présenté un temps comme une inversion de la hiérarchie des normes, et qui n'en est plus que l'évocation pâle et lointaine.

Une mise en scène digne de Guignol

Dès le 10 mai, le député socialiste Sirugue, rapporteur du texte, avait proposé la solution de compromis qui est aujourd'hui annoncée par toutes les parties, CFDT comprise : les branches pourront encadrer les dérogations prévues par les accords d'entreprise. Il aura donc fallu attendre près de deux mois pour que le gouvernement se décide à montrer un jeu dont on connaissait déjà les atouts.

Cette technique a tout d'une mise en scène à l'ancienne. On organise des grèves, des manifestations, on se met des bourre-pifs, on s'invective pour amuser la galerie. En sous-main, on a déjà négocié la sortie de crise et on connaît très exactement le scénario qui va se dérouler. Simplement, il faut donner aux prolétaires le sentiment qu'on les a farouchement défendus et que tout tient à la quantité de gomme de chaussures qu'ils ont usées sur le pavé.

Cette vieille mise en scène marchait bien à l'époque où Internet n'existait pas. Pourquoi s'obstiner, maintenant que tout se sait, à jouer les mêmes jeux éculés?

Peut-être que les syndicats et les gouvernants français devraient entrer dans la révolution numérique...

La démocratie sociale a neutralisé la réforme

Dans la pratique, la réécriture de l'article 13 de la loi devrait permettre aux branches d'empêcher les accords d'entreprise d'être trop turbulents. La question qui reste est de savoir si oui ou non les branches pourront utiliser les entreprises à négocier le comptage des heures supplémentaires. FO dit non, le gouvernement voudrait bien que ce soit oui.

Dans la pratique, la loi Travail, qui a justifié 11 journées de grève et une mise régulière de nos rues à feu et à sang sous l'oeil médusé des observateurs du monde entier, ne changera pratiquement rien par rapport aux dispositions existantes. Les entreprises qui imaginaient avoir gagné une liberté contractuelle vont en réalité se trouver en liberté surveillée.

Il aura fallu quatre mois pour faire passer le texte. En un quadrimestre, la France des réticences et de la frilosité aura complètement étouffé toutes les mesures qui auraient pu produire une espèce de coup de fouet sur le marché du travail. En bout de course, il n'en restera rien, sinon une pâle copie dont les effets seront ceux d'un placebo.

Voilà ce qu'on appelle la démocratie sociale en France: une grande machine à conserver, à freiner, à n'accepter que des petits pas sans ambition.

Les petites entreprises en danger

Dans la pratique, la loi Travail maintient un danger majeur pour les petites entreprises. Dès lors que la loi favorise les dérogations au Code du Travail par accord collectif, elle pénalise automatiquement toutes les entreprises qui ne sont pas en capacité de négocier.

C'est particulièrement le cas des petites entreprises où l'implantation syndicale est rare et fluctuante. Comment bénéficier des mêmes dérogations que les autres quand on ne dispose d'aucun salarié désireux de s'investir dans la négociation collective ?

Plus radical encore : les très petites entreprises, qui emploient moins de dix salariés, sont exclues du dispositif, puisque la loi ne les autorise pas à disposer d'un représentant du personnel ni à négocier des accords collectifs. Ce sont pourtant ces entreprises-là qui sont les plus susceptibles de recruter, de faire de la croissance et de l'emploi.

Plus grave : la loi donnera aux branches la faculté d'encadrer strictement les dispositions sociales qui leur sont applicables. La grande entreprise désireuse de javeliser la concurrence sera donc face à un jeu d'enfants. Elle pourra promouvoir des normes sociales élevées dans la branche à laquelle elle appartient, tout en négociant pour son propre compte des dérogations compétitives à l'accord de branche qu'elle aura promu.

Qui aurait imaginé, en février, que cette loi qui devait libérer les entreprises, se transformerait en arme d'oppression ?

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