Moins de suicides, moins de divorces, mais moins de temps consacré à ses enfants... Ces étonnantes conséquences de la crise financière de 2008 sur la vie quotidienne de millions de Français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Moins de suicides, moins de divorces, mais moins de temps consacré à ses enfants... Ces étonnantes conséquences de la crise financière de 2008 sur la vie quotidienne de millions de Français
©Reuters

Home Sweet Home

Moins de suicides, moins de divorces... Si la détérioration du marché du travail due à la grande récession (2007-2008) a bien des impacts sur le quotidien de la vie de familles françaises, ils ne sont pas forcément ceux qu'on s'imagine.

Louis Maurin

Louis Maurin

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités.  

 
Voir la bio »

Atlantico : Selon une étude relayée par le U.S. Bureau of Labor Statistics (voir ici), la détérioration du marché du travail due à la grande récession (2007-2008) est corrélée avec une augmentation des violences domestiques aux Etats-Unis. Un tel phénomène est-il également observable en France ? Plus largement, quelles ont été les conséquences "non économiques" de la grande récession sur les ménages ?

Louis Maurin : Sur les violences domestiques, il n'existe pas de statistiques françaises démontrant une relation entre la crise économique et les violences domestiques.

En revanche, on peut observer une incidence de la crise sur les divorces en France. Selon une étude de l'INSEE (voir ici), le nombre de divorces était resté relativement stable jusqu'en 2010. Depuis, la tendance est à la baisse en France. Cette baisse récente des divorces est due pour l'essentiel à un léger recul de la propension à divorcer, et très peu à la baisse du nombre des mariages.

Concernant ces chiffres, la Fondation Abbé Pierre a observé que les femmes avaient moins tendance à demander le divorce, car si elles sont au chômage ou qu'elles occupent un emploi précaire, elles n'arrivent pas à retrouver de logement après la séparation.

Néanmoins, ces chiffres sont à relativiser, car ils peuvent aussi être mis en relation avec une autre tendance sociétale, qui est que les couples se testent plus avant de se marier - Les partenaires emménagent d'abord ensemble, voire ont un premier enfant avant d'officialiser leur union - ce qui façonne des couples plus solides. Le couple demeure une norme solide (voir ici). Comme le souligne l’Insee, 95 % des personnes âgées de 26 à 65 ans vivent ou ont déjà vécu une relation amoureuse qu’elles considèrent comment importante et 90 % cohabitent ou ont déjà cohabité avec un partenaire (données 2013).

Les partenaires s’enferment moins souvent dans une union qui ne fonctionne plus. C’est bien le modèle du couple unique, de sa formation au décès, dont la portée s’est amoindrie, non celle du couple tout court.

De la même façon, selon l'observatoire national du suicide "sur la période très récente, plusieurs études suggèrent que la crise économique et financière de 2008 se serait traduite par une hausse des suicides et par une dégradation de la santé mentale pour les hommes en âge de travailler dans la plupart des pays concernés, les femmes étant moins affectées" (voir ici). A quel point peut-on évaluer le mal être de la société depuis la survenance de la crise ?

Je ne pense pas qu'il y ait aujourd'hui des études qui permettent formellement d'établir un lien entre la crise économique et l'augmentation du nombre de suicides. Comme je le précisais dans un article pour le Centre d'observation de la société (voir ici), le taux de décès par suicide en France tend à diminuer (voir graphique) sur longue période. Entre 1990 et 2011, il est passé chez les hommes de 29,1 à 23,2 p 100 000 habitants et chez les femmes de 10,2 à 7,0 p 100 000, selon les données de l'Inserm. Soit - 20 % pour les premiers et - 31 % pour les secondes.

Contrairement à une idée répandue, la situation économique, sociale ou politique et la montée des inégalités n'ont guère d'influence : le taux de chômage n'a pas grande influence sur le phénomène au moins au niveau global. Les guerres, par exemple, sont historiquement les moments où l'on se suicide le moins. Le suicide résulte de la perte de repères, de règles structurant le comportement des individus, qui peut exister aussi en période de croissance et de remise en cause des normes sociales. En phase de crise, chacun cherche plutôt à se préserver. La baisse du taux de suicide tendrait plutôt à montrer que nos sociétés ne sont pas en phase de "désintégration" sociale ou de dépression collective .

En ce sens, la crise économique n'a pas que des impacts négatifs sur la vie de famille. Elle développe de nouvelles formes de solidarité, comme l'économie de partage avec des entreprises comme Blablacar par exemple, ou encore les associations caritatives, qui encouragent le lien social.

De plus, il faut bien avoir en tête que la crise économique n'a pas le même impact sur toutes les familles de France. La crise économique dessert principalement les familles jeunes, issues de milieux sociaux défavorisés. Pour eux, il est clair que l'absence de perspective d'avenir due au chômage, à la précarisation et à la flexibilisation de plus en plus forte du marché du travail perturbe leur confort de vie. Il est très difficile de prévoir des vacances en famille ou de devenir propriétaire quand les deux membres du couple sont en CDD ou en recherche d'emploi, très difficile de prévoir les sorties en famille quand on connait ses horaires la veille pour le lendemain, de plus en plus difficile de dégager du temps de famille quand on travaille de plus en plus le dimanche, et difficile d'être heureux quand on fait un travail qui nous déplait car on ne l'a pas choisi.

Concernant les séniors, le chômage les touche plus que la moyenne mais beaucoup moins que les jeunes. De plus, comme je le précisais dans un article pour le Centre d'observation de la société (voir ici), l'impact du chômage sur les revenus des plus âgés est plus lent, du fait d'une meilleure indemnisation, mais aussi plus durable : on se serre moins facilement la ceinture quand il faut faire vivre une famille que quand on est seul. En revanche, une fois au chômage, ils restent bloqués plus longtemps, donc cela leur coupe les perspectives d'avenir, pour leur retraite notamment.

Ces phénomènes sont-ils réellement réversibles ? Une reprise économique suffirait-elle à inverser la tendance ?

Comme je le précisais dans un article pour le Centre d'observation de la société (voir ici), le processus est profond : aux Trente glorieuses ont succédé trente années de dégradation pour les ouvriers non qualifiés. Des générations déjà anciennes de populations peu diplômées, nées à partir de la fin des années 1960, n’ont connu que le chômage de masse. Difficile dans ce cas de continuer à parler de "crise" : c’est bien une situation de déséquilibre structurel, un nouveau régime, qui s’est installé sur le marché du travail et il frappe essentiellement les moins favorisés.

Mais je pense aussi qu'il est aussi important de ne pas tomber dans le misérabilisme, car nous avons encore un des meilleurs systèmes de sécurité sociale au monde, qui amortit malgré tout assez bien l'impact de la crise, même sur les familles des milieux défavorisés.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !