Ce projet (plus ou moins) caché de Wolfgang Schäuble qui pourrait doucher les espoirs d'influence de la France sur l’avenir de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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La Troïka est composée de personnes de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI.
La Troïka est composée de personnes de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI.
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La Troïka à Paris ?

Selon Yanis Varoufakis, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, souhaiterait exporter la Troïka européenne à Paris. Un tel projet correspondrait à une mise sous tutelle de la France et poserait un véritable problème démocratique.

Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

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Atlantico : Selon Yanis Varoufakis, qui rapporte une conversation qu'il aurait eue avec Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances souhaiterait exporter la Troïka européenne à Paris. Est-ce vraiment son ambition ? Dans quelle mesure les autorités européennes ont-elles profité de la crise économique pour modifier les standards des sociétés européennes ? Avec quelles conséquences ?

Mathieu Plane : En ce qui concerne la volonté d'exportation de la Troïka, il est difficile de répondre dans la mesure où il s'agit d'une conversation off et qu'il n'y a aucune version officielle de Schäuble. S'il a véritablement cette ambition, c'est très inquiétant car ce serait une forme de mise sous tutelle de la France, ce qui poserait un vrai problème démocratique. La Troïka s'applique pour les pays qui sont sous programme (c’est-à-dire les pays qui ne peuvent plus se financer sur les marchés). Pour ces pays, la Troïka reprend le contrôle de la politique économique en contrepartie de financements. Cela concerne donc des pays en situation d'asphyxie financière. Pour que la Troïka débarque à Paris, il faudrait que la France ne puisse pas se refinancer sur les marchés. On est très loin de cette situation puisque les taux sont historiquement bas et qu'il y a plutôt une appétence pour la dette française. Que la France se retrouve dans une telle situation n'est souhaitable pour personne car cela mettrait l'Europe toute entière en grande difficulté.

Deuxièmement, est-ce que ce sont les autorités européennes qui ont profité de la crise pour modifier les standards des sociétés européennes ou est-ce que c'est la crise économique qui a conduit les autorités européennes à ce type de réponse ? Il me semble que ce sont les réponses aujourd'hui à la crise qui ne sont pas adaptées et qui ont conduit les autorités européennes à renforcer les règles budgétaires au moment de la crise de la dette souveraine. Ce sont les politiques budgétaires surcalibrées avec une austérité extrêmement violente qui ont provoqué la récession de la zone euro en 2012-2013 alors même que d'autres pays en-dehors de la zone euro connaissaient une reprise.

Les orientations de politique économique qui ont été choisies ne se sont pas avérées être les bonnes. On peut tout à fait admettre que des erreurs aient été commises, mais le problème est que les conséquences n'ont pas été tirées : les règles budgétaires ont été renforcées et gravées dans le marbre, ne donnent aucune souplesse et paraissent irréformables quels que soient les éléments de diagnostic apportés et les expériences vécues.

Pour caricaturer, deux visions sur la politique économique s'opposent : d'une part, une grande partie des macroéconomistes montrent que l'austérité a provoqué des dégâts considérables sur la croissance et plaident pour une nouvelle gouvernance européenne plus tournée sur la croissance et moins sur les équilibres budgétaires et d'autre part, une autre vision moins partagée chez les macroéconomistes mais majoritaire chez les gouvernants actuels en Europe qui soutient l'idée que la condition de la croissance est celle des équilibres budgétaires, de la compétitivité à tout prix, etc. Cette seconde position est selon moi une erreur d'un point de vue macroéconomique car elle n'a pas donné de croissance et a plutôt provoqué de la déflation.

Pour le moment, le côté orthodoxe l'emporte et les voix en faveur de solutions nouvelles à la gouvernance qui permettraient aux pays d'avoir des politiques économiques un peu plus souples sont peu entendues.

Quels sont les hommes qui incarnent cette Troïka et détiennent le pouvoir réel en Europe ?

La Troïka est composée de personnes de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI.

Au moment de la crise grecque et du référendum sur l'acceptation ou non du nouveau programme, on a vu une ligne extrêmement dure émerger, notamment avec Wolfgang Schäuble qui a évoqué un Grexit temporaire. Il s'agissait d'une véritable menace consistant à dire "si vous n'acceptez pas ce programme, les conséquences seront terribles d'un point de vue économique et social puisque vous seriez obligés de quitter l'euro". Dans ce cadre-là, l'euro n'est plus démocratique puisque finalement, les citoyens grecs qui souhaitaient rester dans l'euro n'avaient d'autre choix que d'accepter le programme de la Troïka pour y rester. Le débat budgétaire (ou celui des finances publiques) a été assimilé à celui sur la question du maintien ou non dans une monnaie. Les conditions de la Troïka étaient terribles et forçaient quasiment à accepter le deal sans aucune possibilité de négocier. Si les citoyens grecs avaient la certitude que la Banque centrale continuerait à financer leur système bancaire et qu'ils pourraient rester dans l'euro, les conditions de négociation seraient certainement différentes.

Alors que François Hollande avait promis lors de sa campagne électorale de "réorienter" l’Europe afin de lui donner un contenu social et fiscal et combler le fossé qui se creuse entre les citoyens et le projet européen, il n'a formulé aucune proposition alternative depuis le début de son quinquennat. La France est-elle une victime consentante des orientations prises par l'Europe ?

L'Europe n'est pas une nébuleuse où personne ne peut faire de choix politiques. La France est un élément central dans la mesure où la zone euro pourrait difficilement fonctionner sans elle. La France a son avis à donner mais le président de la République, suite à son élection, est tombé face à un mur. Il voulait réformer les traités mais ça n'a pas été possible.

Soit les dirigeants européens ont une prise de position politique avec un rapport de force important (c'est un peu ce qu'a fait Cameron), soit, à l'instar de François Hollande, ils sont rattrapés par le fonctionnement des traités et le pacte de stabilité. Renégocier les traités (et notamment les traités budgétaires) est extrêmement compliqué et le rapport de force, avec des alliances avec d’autres pays, semble la seule issue pour faire bouger les lignes.

Il n'y a pas de consensus en Europe sur la bonne gouvernance : certains considèrent que c'est en renforçant la discipline budgétaire que l'Europe ira mieux et d'autres considèrent au contraire qu’il faut des marges de manœuvre budgétaires pour générer de l'investissement et de la croissance. Les 19 pays de la zone euro ont probablement 19 façons d'appréhender la façon dont la zone devrait fonctionner. Bien sûr, il y a une hégémonie allemande même si la Banque centrale a beaucoup évolué depuis l'arrivée de Draghi et s'est éloignée de la "ligne allemande". D'ailleurs, alors même que l'Allemagne est très pro-indépendance de la Banque centrale, Wolfgang Schäuble a critiqué la politique opérée par la Banque centrale dès qu'elle s'est éloignée de la conception allemande du rôle d'une banque centrale. Par ailleurs, l'Allemagne est actuellement le gardien du temple de l'orthodoxie budgétaire et du couple compétitivité-réformes structurelles.

Ce qui est compliqué, c'est que les positions des pays et leurs objectifs peuvent être différents à des moments de leur histoire : l'Allemagne a un problème sur le long terme avec une démographie vieillissante qui occasionne un problème de soutenabilité de ses finances publiques à long terme, ce qui donne beaucoup plus de sens à l'orthodoxie budgétaire, mais pour des pays qui ont des niveaux de chômage très élevés, le problème est de savoir comment générer de la croissance à court-moyen terme, relancer de l'investissement pour créer de l'emploi et résorber le chômage. La difficulté est donc d'avoir les mêmes règles pour tout le monde alors même qu'elles ne profitent pas de la même façon aux pays.

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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