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Cadeaux électoraux de fin de mandat à la Hollande ou mesures de début de quinquennat à la Fillon : que choisir si vous faites partie des classes moyennes ?
©Reuters

Versus

Si François Fillon s'apprête à annoncer un abaissement de la fiscalité pesant sur les ménages dans un discours sur la "vraie justice sociale", de son côté, François Hollande s'est d'ores et déjà lancé dans la course aux cadeaux fiscaux. Deux visions qui ne profiteront pas aux mêmes bénéficiaires.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Ce mardi 7 juin, François Fillon devait annoncer un nouveau volet de sa politique économique, consacré aux classes moyennes, pour une somme de 10 milliards d'euros, notamment au travers du relèvement du plafond du quotient familial, que d'une baisse des cotisations sociales sur les salaires. Quel est le public effectivement visé par ces mesures ?

Philippe Crevel : François Fillon cible à juste titre les catégories sociales qui ont été fortement ponctionnées depuis quatre ans. En effet, ce sont les familles imposables ayant des enfants du fait de la diminution du plafond du quotient familial et les salariés qui auparavant pouvaient effectuer en franchise d’impôt des heures supplémentaires qui ont été pénalisés. A travers ces deux propositions, François Fillon veut rééquilibrer la charge du fardeau. Aujourd’hui, les classes moyennes ont le sentiment de contribuer sans pour autant bénéficier des prestations sociales. Ce sentiment d’injustice contribue au votre extrémiste au sein de cette catégorie de la population.

Jacques Bichot : Si F. Fillon fait cette annonce, cela ira dans le sens du manque de réflexion approfondie qui marque hélas la parole et l’action de nos hommes politiques depuis des décennies. En effet, avant de songer à modifier des paramètres relatifs au quotient familial (QF), il convient de savoir et de dire clairement quel est le fondement de ce dispositif fiscal.

Le QF est destiné à mettre en œuvre deux principes. Premièrement, le contribuable français, pour ce qui est de l’IR, n’est pas un individu, ni éventuellement un couple parental, mais une famille. Cette disposition fiscale exprime concrètement la reconnaissance de la famille en tant que corps intermédiaire – ce que l’on exprime en la disant "cellule de base de la société". Ce n’est pas le "chef de famille" d’antan, ni chaque époux, ni le couple parental, qui est contribuable, c’est la famille, entité sui generis, qui ne se réduit pas davantage à une collection d’individus qu’une entreprise ne se réduit à une collection d’actionnaires et de travailleurs. Deuxièmement, les contribuables doivent être imposés de façon équitable, "en raison de leurs facultés" dit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, c’est-à-dire au prorata à la fois de leurs revenus et des niveaux de vie que ces revenus procurent au ménage qui en vit. La règle de base est alors : "à niveau de vie égal, taux d’imposition égal".

Le QF sert à déterminer ce niveau de vie, qui fixe ensuite le taux de l’impôt. Si une personne seule dispose de revenus R et une famille de revenus 3R qui lui procurent le même niveau de vie, la famille doit payer 3 fois plus d’IR que la personne seule, pas 4 fois plus ni seulement 2 fois plus. Le "nombre de parts" doit être déterminé de façon à obtenir ce résultat. Si le nombre de parts est fixé correctement par le législateur, le QF ne produit aucune "réduction d’impôt" et l’idée même de le plafonner est absurde.

F. Fillon aurait apporté quelque chose s’il avait dit : "je vais consulter les meilleurs statisticiens pour savoir quel est le nombre de parts qu’il faut attribuer selon la composition du ménage". Mais il semble en être resté à l’idée fausse des "réductions d’impôt" dues au QF, qui correspond à un vide abyssal de la réflexion politique, économique et morale. Dommage !

En comparant les efforts réalisés par le gouvernement actuel, en termes de réduction d'impôts, et les propositions faites par François Fillon, est il possible identifier les différences existantes entre les bénéficiaires de ces mesures ?

Philippe Crevel : François Hollande a ciblé ses réductions d’impôt sur les premières tranches du barème de l’impôt sur le revenu qui s’est traduit, en 2015 à la suppression de celle de 5,5 %. Plus de 6 millions de contribuables en ont bénéficié dont deux ont été exonérés de l’IR. Le dispositif de réduction d’impôt appliqué en 2016 a profité à 3 millions de contribuables supplémentaires. Au total, de 8 à 9 millions de contribuables ont profité des mesures Hollande. Aujourd’hui, il y a 47 % des foyers fiscaux sont imposés à l’IR sur un total de 36,5 millions de foyers fiscaux.

De l’autre côté, François Hollande a accru la fiscalité des 10 % des ménages les plus aisés. Ainsi, l’abaissement du plafond du quotient familial à 1510 euros a pénalisé 500 000 familles. Par ailleurs, le durcissement du régime fiscal de l’épargne a accru les prélèvements des classes moyennes supérieures.

François Fillon en souhaitant réduire les cotisations sociales salariales visent à améliorer le pouvoir d’achat des actifs quand Hollande a fait le contraire en augmentant les cotisations sociales d’assurance-vieillesse et en supprimant le dispositif des heures supplémentaires. En jouant sur les cotisations sociales, François Fillon peut toucher plus de 25 millions d’actifs. Il y aura un effet positif sur la consommation et un effet sur la motivation des salariés qui ne connaissent plus beaucoup d’augmentations de salaires depuis plusieurs années.

Jacques Bichot :Relever le plafond du QF allégera un peu la "douloureuse" pour les familles des classes moyennes, qui ont été il est vrai assez mal traitées depuis 4 ans. Mais il ne s’agit que d’une petite modification paramétrique dans le cadre d’un système qui reflète une incompréhension tragique du rôle de la fiscalité directe dans une nation économiquement développée dont la devise comporte le mot "égalité".

Ce sera aussi – au cas où F. Fillon arriverait au pouvoir et ferait ce qu’il annoncé – un exemple de plus de la propension de nos dirigeants à qualifier pompeusement de "réformes" des tripatouillages paramétriques qui n’apportent aucune réponse durable aux problèmes structurels de très grande envergure auxquels la France est confrontée. François Fillon est probablement un homme de bonne volonté, qui veut bien faire, et qui a même quelques idées de réformes structurelles, comme par exemple (p. 308 dans son ouvrage Faire) l’unification de nos régimes de retraite par répartition. Mais le simple fait qu’il consacre en tout et pour tout 2 lignes à un sujet d’une telle importance et d’une telle difficulté de mise en œuvre montre hélas qu’il ne prend pas cette idée au sérieux. 

François Fillon souhaite inscrire ces mesures dans un programme général composé de baisses de dépenses publiques, pour 110 milliards d'euros, et de 50 milliards de baisse d'impôts. Quels seraient les bienfaits à attendre de tels choix ? Quelles sont les différences à attendre, en comparaison des mesures mises en place par François Hollande depuis le début du quinquennat ?

Philippe Crevel : Avec François Hollande, le message était, le navire coule mais continuons à avancer malgré la gite croissante. Avec François Fillon, il y a la volonté de montrer qu’il y a un changement de cap. Avec François Hollande, la France s’est enfoncée dans la nationalisation de la richesse créée à plus de 57 % du PIB et avec une préemption de cette même nationalisation à  plus de 45,2 % du PIB sous forme de prélèvements obligatoires. François Fillon est dans la droite de la ligne qu’il avait tracée en 2007 quand en Corse, il avait indiqué que l’Etat était en faillite. Derrière ces mots chocs, il avait voulu appeler à la responsabilité les élus et la population. Les collectivités publiques ne peuvent plus indéfiniment tout financer. En décidant de ré-allouer aux contribuables 50 milliards d’euros, il fait le pari que cette somme sera affectée à la consommation et à l’épargne si possible investie en actions. Il fait également le pari de la liberté, de la libre initiative. Ce double mouvement doit s’inscrire dans une politique de simplification, de gestion plus efficiente et plus discrète. Il doit surtout s’inscrire dans la durée. Il ne faut pas que ce soit un feu follet électoral.

Jacques Bichot : De telles déclarations ne sont que des effets de manche. Si un candidat disait par exemple : "en lançant une grande réforme de l’Éducation nationale, comportant l’arrêt du recrutement sous statut de fonctionnaire, la possibilité pour les établissements volontaires de passer à un financement par la technique du chèque éducation, la polyvalence d’un grand nombre d’enseignants, l’augmentation de la durée effective de l’année scolaire de façon à diminuer les horaires hebdomadaires – ce qui permettrait de "tourner" avec moins d’enseignants dans le secondaire", celui-là nous pourrions le prendre au sérieux. Car la solution au problème budgétaire n’est pas de faire des économies en réduisant le potentiel de nos forces armées ou en diminuant la rémunération des psychiatres qui interviennent comme experts devant nos tribunaux – au prix, soit dit en passant, d’épouvantables problèmes de qualité), il est de savoir comment motiver les agents et réorganiser les services publics de façon à ce qu’ils fassent tous mieux, et certains pour moins cher.

Quant aux baisses d’impôts, qui peut sérieusement croire à cette promesse démagogique ? Durant une longue période – vraisemblablement plus d’un quinquennat – nous n’aurons aucune marge de manœuvre en matière fiscale si nous voulons sortir du déficit suicidaire où nous sommes englués. Les solutions existent, mais elles requièrent du bon sens, de l’imagination, et une capacité d’analyse. En gros, notre salut pourrait venir d’un changement radical relatif aux cotisations sociales. Celles-ci sont de plus en plus assimilées à des taxes sur le travail, comme le fait F. Fillon, dans Faire (p.125) ; c’est en en faisant de véritables primes d’assurance que nous pourrions non pas diminuer les flux, mais en changer la signification, les faire passer du côté "impôts" de la barrière au côté "achats de services".

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