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Suppression du poste de Premier ministre : la grave erreur de sens que fait François Hollande en proposant sa réforme des institutions
©Reuters

Attentat aux institutions

Alors que François Hollande souhaiterait profiter de l'élection présidentielle de 2017 pour organiser un grand débat sur une réforme constitutionnelle instaurant notamment la suppression du poste de Premier ministre, une telle réforme viendrait parachever un long processus de prise de distance avec les institutions originelles et l'esprit de la Vème République.

Philippe Blacher

Philippe Blacher

Philippe Blacher est professeur de droit constitutionnel à l'université Jean Moulin Lyon 3 et il dirige le centre de Droit constitutionnel. Il est également l'auteur du livre Droit Constitutionnel aux édition Broché.

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Atlantico : Selon les informations d'Europe 1, François Hollande songerait à proposer, en tant que candidat à la prochaine présidentielle, de réformer la Constitution pour supprimer le poste de Premier ministre et renforcer le pouvoir de l'Assemblée nationale. Dans quelle mesure cette promesse de campagne viendrait-elle parachever, suite à la mise en place du quinquennat, l'abandon progressif des institutions originelles de la Vème République par François Hollande ?

Philippe Blacher : Il convient, tout d’abord, de prendre ces informations avec beaucoup de prudence car les intentions de l’actuel président de la République ne sont ni prévisibles ni rendues publiques. Supposons néanmoins que "François Hollande songerait à proposer" une réforme de la Constitution : cette hypothèse officialiserait donc la candidature de l’actuel chef de l’Etat pour 2017 !

Restons dans ce scenario fictif et imaginons que le candidat Hollande plaide en faveur de la suppression du poste de Premier ministre et du renforcement des prérogatives de l’Assemblée nationale. Les opposants au candidat Hollande auraient beau jeu de s’interroger sur l’opportunité d’une telle proposition : Pourquoi ne pas avoir réformé le régime de la V° République durant le quinquennat 2012-2017 ? Comment le président de la République arrivera-t-il à "faire passer" une révision d’envergure alors qu’il a échoué pour faire adopter une révision symbolique et inutile à propos de l’état d’urgence ? Est-ce que la réforme institutionnelle permettra de régler les difficultés que traversent les français ? Une telle réforme ne conduit-elle pas à une concentration du pouvoir au profit du président de la République et de l’Assemblée nationale ?

Plus sérieusement – même s’il convient de prendre les songes présidentiels pour ce qu’ils doivent être – le régime de la V° République a déjà connu plusieurs révisions qui ont produit des changements considérables sur le fonctionnement des institutions ! A tel point que les constitutionnalistes ont bien du mal à (re)trouver le "modèle originel" de la V° République. L’instauration du quinquennat, le 2 octobre 2000, et l’inversion du calendrier électoral (élection présidentielle puis élections législatives) renforcent déjà la puissance présidentielle sur les institutions. La réforme de modernisation des institutions du 23 juillet 2008  a tenté, pour sa part, de rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement en donnant plus de poids dans le travail législatif aux parlementaires. 

Mais une chose est sure : supprimer le Sénat et le Premier ministre, voilà des mesures qui iraient à contre-sens de l’histoire constitutionnelle !

Sans Premier ministre, ne faudrait-il pas créer de nouvelles institutions pour que le président de la République reste "au-dessus de la mêlée" ? S'il ne proposait aucune nouveauté institutionnelle pour pallier la suppression de cette fonction de chef du gouvernement, François Hollande ne condamnerait-il pas le Président à faire figure de chef de la majorité plus que de "Président de tous les Français" ? Quels en sont les risques au niveau de la pratique ?

Le droit constitutionnel n’est ni une science exacte ni une science divinatoire ! En particulier, il y a une grande part d’imprévisibilité dans l’application des mécanismes pensés par les constituants. Prenez l’exemple du Conseil constitutionnel : personne n’imaginait en 1958 que cette institution deviendrait compétente pour abroger la loi sur saisine d’un justiciable !

Toutefois les juristes peuvent anticiper certains choix en matière constituante. L’expertise constitutionnelle peut conduire à orienter les décideurs publics en fonction des finalités poursuivies par la réforme.

Si le scénario fictif que vous évoquez s’applique, le président de la République en sort-il gagnant ? Rien n’est moins sûr ! 

Les juristes se servent de certains outils pour classer les régimes politiques. La France est ainsi qualifiée de régime parlementaire depuis la Troisième République. Cette identité constitutionnelle signifie que les pouvoirs collaborent dans l’exercice des fonctions de gouvernement, en particulier l’exécutif et le Parlement en matière législative. La présence du Premier ministre, chef du Gouvernement, est indispensable afin d’assurer le lien entre les pouvoirs. Sa suppression implique un passage du régime parlementaire vers le régime présidentiel à l’américaine. Or – et c’est là que le droit constitutionnel devient intéressant - , en régime présidentiel le Président ne détient pas nécessairement plus de pouvoirs que dans un régime parlementaire. Et il exerce des compétences déconnectées de celles que le Parlement détient. L’exemple des Etats-Unis montre que le Président exerce du pouvoir ; mais il doit tenir compte du Congrès qui, dans ses domaines de compétences, agit en toute indépendance politique et institutionnelle. 

La suppression du Premier ministre et l’adoption d’une seule assemblée entraîneraient donc le retour du régime présidentiel que la France a connu en 1848, qui a fini dans le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte à la suite d’une paralysie des institutions. Et ce scénario ne conduirait pas à un renforcement de la puissance présidentielle : il pourrait au contraire aboutir à une revalorisation de l’institution parlementaire.

La mise en place du quinquennat et l'accélération du rythme des réformes rendent-elles ce changement institutionnel nécessaire selon vous ? Alors que dans l'histoire de la Vème République, la pratique du pouvoir a souvent conduit le Premier ministre à "mettre les mains dans le cambouis" à la place du Président, la suppression de cette fonction simplifierait-elle vraiment la procédure décisionnelle ? Pour quelles raisons ?

Le bicéphalisme caractérise le régime de la V° République car l'exercice du pouvoir dépend d'une collaboration entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement : dans l'économie générale de la Constitution de 1958, le président de la République se voit assigner un rôle d'arbitre (art.5 C.) tandis que le chef du gouvernement conduit et détermine la politique de la nation (art.21 C.). Le Premier ministre, seul, assure la responsabilité politique de l'exécutif devant le Parlement. 

Le texte de la Constitution de 1958 instaure un "partage" des compétences qui, dans les faits, tolèrent des aménagements variables. Plusieurs dispositions de la Constitution aménagent ce partage, notamment les articles 13, 20 et 21. En réalité, la pratique du pouvoir témoigne qu'une orientation a été imprimée dans le sens d'un bicéphalisme inégalitaire : le Président de la République est déjà le chef "incontesté" de l'exécutif. Plusieurs facteurs expliquent cette orientation du régime parlementaire : les principales sont la direction par le chef de l'Etat du conseil des ministres, la nomination du Premier ministre et des membres du gouvernement (qui justifie le droit de révocation implicite) et, en dernier lieu l'élection populaire établie depuis 1962.

Depuis l'instauration du quinquennat, le caractère déséquilibré du dualisme de l’exécutif est mis en évidence. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, l’omniprésence du Chef de l’Etat apparaît sur tous les fronts politiques, économiques et sociaux. Est parfois évoquée l'image de "l'hyperprésidence" pour désigner la primo-ministérialisation de la fonction présidentielle. Le comité Balladur, en 2007, avait d’ailleurs songé, un temps, de proposer de modifier les articles 5 et 21 C. afin d'officialiser cette évolution de l’exécutif.

La proposition de supprimer le poste de Premier ministre n’est donc pas une nouveauté. Elle n’a cependant pas abouti car dans certaines circonstances (comme les cohabitations), la présence du Premier ministre évite la paralysie des institutions (dans une configuration de ce type, le bicéphalisme s’inverse : le Premier ministre dirige réellement l’action du Gouvernement) et le basculement vers un régime présidentiel à l’américaine n’est pas compatible avec la culture politique française.

Enfin, la suppression du Premier ministre présente un danger : l’aggravation de l’irresponsabilité politique. Comment justifier le renforcement du présidentialisme dans un régime qui fonde la légitimité démocratique sur le contrôle de l’action des gouvernants par le Parlement, contrôle qui prend notamment le trait de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement ? Si le Président devient celui qui conduit et dirige la politique de la nation, il reste politiquement irresponsable. Le Parlement n’a aucun moyen d’engager sa responsabilité politique (même si le cas de 1962 invite à s’interroger sur l’utilisation de la motion de censure à l’encontre du Gouvernement pour censurer en réalité le Président). La vraie réflexion qui s’impose concerne le rôle d’arbitre du président de la République dans nos institutions : comment revenir à la fonction d’arbitrage sinon en redéfinissant la durée du mandat (retour au septennat unique, par exemple) et la mission du chef de l’Etat (le rapport Bartolone propose une piste de présidence sur les missions de longue durée). 

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