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Seuls 27% des Français considèrent que Jean-Luc Mélenchon a des solutions pour sortir le pays de la crise et 38% qu'il comprend les problèmes des gens comme eux
©Reuters

Info Atlantico

Selon un sondage IFOP pour Atlantico, 52% des Français estiment que Jean-Luc Mélenchon veut vraiment changer les choses, mais 27% seulement d'entre eux pensent qu'il a des solutions pour sortir de la crise. Par ailleurs, 59% des Français jugent le leader du Parti de Gauche trop sectaire.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Quel est selon vous le principal enseignement de ce sondage ? Comment expliquer cette faiblesse relative alors même que l'executif semble être décrédibilisé dans l'opinion ? Pourquoi Jean-Luc Mélenchon ne parvient pas réellement à surfer sur la faiblesse de François Hollande ?

Jérôme Fourquet : Il faut tout d'abord nuancer quelque peu cette idée de faiblesse relative, puisque dans les intentions de vote pour la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon se situe à environ 12% aujourd'hui, à savoir au minimum son niveau atteint en 2012, voire un peu plus. On se souvient qu'en 2012, il avait commencé sa campagne à 5 ou 6%. Il part donc d'emblée, aujourd'hui, d'un niveau bien plus élevé.

Néanmoins, effectivement, cette bonne performance sondagière s'inscrit dans un contexte de très fort discrédit de la gauche de gouvernement. On pourrait donc penser que Jean-Luc Mélenchon pourrait se situer plus haut, ce qui est d'ailleurs l'objectif et le rêve de cette gauche alternative : parvenir, comme Syriza l'a fait en Grèce, à doubler le Parti socialiste et s'imposer comme la principale force à gauche. Aujourd'hui, on n'en est pas encore là, même si on commence à s'approcher de ce scénario, puisque d'après les sondages, si François Hollande est candidat nous serions à 14% pour lui et 12% pour Jean-Luc Mélenchon.

Une fois dit cela, il y a en effet des effets de blocages qui expliquent que Jean-Luc Mélenchon ne soit pas encore plus haut. Les enseignements de ce sondage livrent un certain nombre de pistes pour comprendre.

Jean-Luc Mélenchon est ainsi toujours une personnalité extrêmement clivante : 6 Français sur 10 estiment qu'il est sectaire et qu'il s'oppose trop au gouvernement. C'est même paradoxal avec le contexte social et l'impopularité du gouvernement. A cette image clivante s'ajoute l'idée que les scénarios proposés pour sortir le pays de la crise apparaissent hypothétiques pour quasiment trois quarts des Français. Nous sommes ici en présence de la question fondamentale : la gauche de gouvernement a déçu, mais y a-t-il un plan B ? Est-ce que la gauche alternative présente une réelle opportunité ? Pour une large partie des Français, ce n'est pas le cas.

Ce côté sectaire, associé à une certaine interrogation sur la capacité à proposer une alternative, explique que la dynamique en faveur de Jean-Luc Mélenchon ne soit pas plus forte, même s'il ne faut pas non plus la minimiser.

A lire également sur notre site : "PC ou Mélenchon, même combat ? Pourquoi la gauche radicale peine à attirer vraiment les déçus du hollandisme"

Si 52% des Français estiment que Jean-Luc Mélenchon "veut vraiment changer les choses", 27% seulement d'entre eux pensent qu'il "a des solutions pour sortir le pays de la crise". Est-ce que ce sondage ne met pas, finalement, Mélenchon et l'extrême-gauche face à leurs limites ? La séduction par les mots et les postures suffisent-elles à faire un candidat crédible aux plus hautes fonctions de l'Etat ? 

Sa détermination à vouloir changer les choses et secouer l'ordre établi continue d'être majoritairement reconnue, mais moins qu'en 2012 (deux tiers des Français à l'époque). Cela peut s'expliquer en partie par le fait que l'on ne soit pas encore en période électorale : Jean-Luc Mélenchon n'a pas encore eu de tribune ou d'espace médiatique pour développer sa critique et se faire entendre aussi fortement qu'en 2012.

Autre explication à ce décrochage : au cours de la période qui nous sépare de la présidentielle précédente, l'expérience de la gauche au pouvoir n'a pas été accompagnée visiblement par la production d'un projet et d'un programme de nature à rassurer ou convaincre une part importante de la population, notamment l'électorat de gauche. On constate donc, certes, une critique très vive de l'action gouvernementale, mais cette période n'a manifestement pas été mise à profit par la gauche de la gauche pour présenter un scénario alternatif.

Autant, on continue de reconnaître (mais moins qu'avant) la volonté de changement très profonde de Jean-Luc Mélenchon, autant les résultats sont moins élevés sur sa capacité à nous sortir de la crise.

Par ailleurs, 58% des Français estimaient en 2012 que Jean-Luc Mélenchon "comprenaient leurs problèmes", contre 38% aujourd'hui, soit une perte de 20 points. Comment peut-on expliquer cet écart selon vous ?

Cela s'explique en partie par le fait que l'enquête menée en mars 2012 s'était faite en pleine effervescence présidentielle, lors de la dernière ligne droite d'une campagne particulièrement réussie par Jean-Luc Mélenchon. C'était lui qui avait donné le la à gauche : François Hollande avait sorti de son chapeau la taxe à 75% sur les hauts salaires sous la pression de la dynamique Front de Gauche incarnée par Mélenchon.

Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans le même momentum. C'est aussi l'objectif de la grande manifestation organisée ce dimanche à Stalingrad dans un lieu très symbolique : à deux pas du siège du Parti communiste, avec un nom qui fleure bon les années 1950. C'est là que Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche avaient enclenché la dynamique positive de la précédente campagne présidentielle. Aujourd'hui, les modalités sont un peu différentes (distances prises avec le PC), mais Jean-Luc Mélenchon a convoqué ce qu'il appelle "la France rebelle" place Stalingrad pour essayer de réitérer la même opération, se replacer au centre du jeu et reprendre contact avec les Français, qui ne l'ont certes pas oublié mais qui l'entendent un peu moins qu'il y a 5 ans.

Jean-Luc Mélenchon conserve un noyau dur relativement fidèle. Si l'on regarde les différents items du sondage en comparant avec l'enquête d'avril 2013, à l'époque 42% des sympathisants du Front de Gauche estimaient qu'il s'opposait trop au gouvernement, contre 33% aujourd'hui. 31% d'entre eux trouvaient qu'il était sectaire, contre 22% aujourd'hui. Enfin, ils étaient 71% à être convaincus à l'époque qu'il avait des solutions pour sortir le pays de la crise, et ils le sont à 87% aujourd'hui.

Il y a donc une certaine perte d'adhérence et de proximité auprès du grand public, mais son électorat a une image de lui encore meilleure qu'elle ne l'était à l'époque. Je pense qu'il compte s'appuyer là-dessus pour développer son discours et son action envers des publics plus éloignés.

Ces publics plus éloignés, ce sont les catégorie populaires, pour lesquelles il livre un combat sans merci avec Marine Le Pen. Si l'on regarde le sondage sur la "compréhension des problèmes", on est à 42% sur la catégorie employés-ouvriers (score assez honorable), et 39% parmi les salariés. On voit donc qu'un certain potentiel s'exprime dans ces milieux. Pour ce qui est des "solutions pour sortir le pays de la crise", on est à 29% chez les salariés dans les catégories populaires, ce qui n'est pas rien. L'enjeu pour lui est donc de contester le leadership du Front national dans ces milieux-là et de capter ce mécontentement, cette colère et cette déception. D'où la thématique de la France insoumise.

En 2012, Jean-Luc Mélenchon avait commencé à stagner dans les sondages suite à son fameux discours de Marseille, où il avait développé une rhétorique très favorable à l'accueil de migrants. Aujourd'hui, la situation a changé en France sur ce thème. Ne doit-il pas également faire évoluer son discours pour remonter encore dans les sondages ?

Je pense qu'il ne peut pas faire cela car ce n'est pas dans son ADN, dans son logiciel. C'est impossible pour lui d'adapter son discours sur ce sujet. En revanche, je pense qu'il est très conscient de l'état idéologique du pays, du fait que certains courants profonds ne vont pas forcément dans le sens des idées qu'il défend. L'objectif pour lui est donc de déplacer le champ de la contestation du terrain identitaire/sécuritaire vers le terrain social, où il est beaucoup plus à l'aise. Quand on voit les scores du Front national aujourd'hui, les polémiques qui sortent semaines apres semaines (équipe de France de football, menus des cantines scolaires, etc.), on voit des tensions identitaires très fortes. Mais l'actualité brûlante et immédiate reste la mobilisation contre la loi Travail et la déception, voire la colère de toute une partie de l'électorat de gauche.

Quand Jean-Luc Mélenchon annonça il y a quelques mois le lancement de son grand rassemblement, il n'avait pas forcément en tête l'intensité actuelle du bras de fer entre la CGT et le gouvernement. Mais cette date tombe bien et peut lui servir pour essayer d'apparaître comme le débouché électoral à ce mouvement de contestation de la gauche syndicale. Beaucoup de vos confrères ont fait de Philippe Martinez le leader de la contestation au gouvernement. Ce n'est pas faux, mais il reste d'abord un dirigeant syndical, et non pas un responsable politique. Or, on connaît les liens entre Jean-Luc Mélenchon et toute une partie de la CGT. Il pourrait donc essayer d'apparaître comme leader de cette gauche syndicale et populaire qui descend aujourd'hui dans la rue et qui est très remontée contre François Hollande.

Même si l'image renvoyée par Jean-Luc Mélenchon reste fragile auprès des Français, le fait qu'il soit partie très tôt en campagne lui permet de surfer aujourd'hui sur ce climat social très tendu et d'essayer d'imposer cet agenda-là. Son départ précoce lui permet d'occuper le terrain et aussi de couper l'herbe sous le pied à tous ceux – nombreux – qui voudraient se poser comme des recours à la gauche de François Hollande (Parti communiste, Arnaud Montebourg, frondeurs). On verra ce qu'il se passera, mais aujourd'hui les intentions de vote montrent que rien n'existe à la gauche du PS hormis lui. C'est déjà un tour de force.

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