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Peur sur une île : quand la campagne sur le Brexit se noie dans une bataille d’arguments terrifiants (mais qui croit à quoi ?)
©REUTERS / Neil Hall

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Alors que le référendum relatif au Brexit doit se tenir le 23 juin prochain, plusieurs données chiffrées paraissent en Grande-Bretagne, traduisant souvent le peu de poids des arguments alarmistes dans l'opinion. Peu sensible aux propos techniques sur cette question, les anglais se laissent davantage aller à l'émotion.

Olivier  de France

Olivier de France

Olivier de France est Directeur de recherche à l’IRIS.

Il est normalien, ancien élève de Sciences-Po Paris et de l’Université de Cambridge, où il a enseigné. Son travail porte sur les questions de défense et de sécurité, l’Union européenne et son action extérieure, ses Etats membres et leurs politiques européennes, étrangères et de défense; la PESC et la PESD; la gestion de crise et les relations UE/Afrique subsaharienne; les notions de puissance et de stratégie.

Avant de rejoindre l’IRIS il a travaillé comme chercheur à l’European Council on Foreign Relations (ECFR) et à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne (EUISS).

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Atlantico : Selon un sondage réalisé par NatCen en Grande-Bretagne, la plupart des arguments alarmistes sur une hypothétique sortie de l'UE ne portent pas auprès d'une majorité d'électeurs. Sur la question de la perte d'influence ou non au niveau mondial de la Grande-Bretagne, 44% des sondés répondent qu'un Brexit ne la changerait pas, et 17% considèrent même qu'elle serait renforcée. Sur les performances économiques, 55% d'entre-eux imaginent une amélioration ou une situation identique. Qu'est-ce que cela peut nous révéler de l'efficacité des différents arguments utilisés dans le débat sur le Brexit ? Comment la crainte d'une sortie a pu structurer les débats ?

Olivier de France : Il me semble tout d'abord important de préciser que les différents sondages donnent souvent des résultats opposés, le Guardian l'a d'ailleurs montré récemment. D'ailleurs en 2015 pour les élections législatives, les résultats des sondages étaient extrêmement trompeurs car ils n'ont pas prévu la réélection de David Cameron. 

Pour vous répondre, avant les élections locales qui se sont déroulées il y a un mois, la campagne pour le référendum était qualifiée de terne. Les partisans du Brexit ont été les premiers à employer une tonalité et des arguments faisant appel à l'affect dans leurs discours. Rappelons-nous que les Britanniques sont relativement pragmatiques, sauf dans le cas de l'Europe qui est l'un des seuls dossiers qui met en jeu un aspect irrationnel. Les partisans du Brexit ont réussi une prouesse, un tour de passe-passe incroyable : ils ont réussi à faire en sorte que le dossier européen et le dossier migratoire soient évalués ensemble, que l'Europe soit intimement liée à l'immigration. 

A l'inverse le camp de l'anti-brexit ne jouait pas sur l'irrationnel dans un premier temps. Le premier argument massue de David Cameron a été de déclarer que le prix d'une sortie serait de 4 300 livres pour chaque foyer britannique d'ici à 2030, soit un argument technique. Depuis les résultats des élections locales en revanche, le Premier ministre essaye d'investir le terrain affectif, en évoquant Winston Churchill ou encore le risque sécuritaire d'une sortie de l'Union européenne. 

Depuis, c'est l'escalade, l'inflation rhétorique sur les craintes et les peurs. Le camp du Brexit a mis l'accent sur ces craintes non-argumentées. On peut l'expliquer par le fait que le camp du Brexit n'a pas vraiment de modèle économique convaincant à proposer, d'ailleurs l'équivalent du Medef britannique, tout comme le FMI, s'est déclaré contre un Brexit. Boris Johnson représente bien cette escalade rhétorique, lorsqu'il a évoqué le fait que l'Union européenne pouvait s'apparenter à un projet "nazi", qu'il y aurait un projet millénaire pour l'Europe continentale dont l'objectif serait d'unifier le continent, Grande-Bretagne inclue. Nous sommes très loin des prérequis d'un échange rationnel... 

Arrive-t-on à séduire les mêmes électeurs en fonction de l'argument qui est utilisé ?

Normalement en Angleterre, les débats restent extrêmement terre-à-terre, mais la caractéristique de ce débat-ci est qu'il est ouvert à l'émotion. Les rapports du FMI, et les différentes études qui pointent les risques économiques d'une sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne ne trouvent pas beaucoup d'écho auprès des électeurs moyens. Ils sentent que dans un sens ou dans un autre, on ne connaît pas les conséquences réelles d'une sortie, et que la question est trop complexe. C'est pour cela que ces arguments irrationnels sont les plus efficaces. Mais au fond leur caractéristique et leur problème est qu'ils ne convainquent que ceux qui le sont déjà. 

Depuis 30 ans en Angleterre, les britanniques voient dans leurs journaux les problèmes de Calais, de Sangatte...

Les débats sont éminemment orientés vers des questions techniques et économiques, avec un calcul de part et d'autre des gains ou des pertes potentielles en cas de victoire du "Oui". La dimension politique a-t-elle été oubliée par les acteurs du débat au détriment du technique ?

Le problème c'est que l'Europe n'est pas un projet politique pour les Britanniques, c'est une zone de libre-échange, un projet économique donc. En France oui, elle est un projet politique. Le seul projet politique porté est qu'il faut être capable d'être souverain, protégé. Si projet politique il y a, c'est le camp du Brexit qui pourrait en profiter.

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