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Trump-Hofer, la double leçon politique : l’extrême-droite au pouvoir, non, le populisme, peut-être
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Nuance

Tandis que le FN est toujours vaincu à l'issue du premier tour en 2017, la remise en question du système politique traditionnel et des élites porte dans l'opinion.

Stéphane François

Stéphane François

Stéphane François est politologue et historien des idées, enseignant à l'IPAG de Valenciennes.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Le candidat de l'extrême-droite a été battu in extremis par un écologiste sans étiquette au second tour de l'élection présidentielle autrichienne dimanche dernier. En France, la cote de popularité de Marine Le Pen s'érode dans les dernières enquêtes d'opinion et toutes les projections indiquent qu'elle ne serait pas en capacité d'emporter la présidentielle. A l'inverse, des personnalités politiques "anti-système" comme Donald Trump, qui se rapproche de la Maison Blanche sondages après sondages, ou Boris Johnson en Grande-Bretagne bénéficient d'une popularité grandissante. Comment expliquer que l'extrême-droite plafonne alors même qu'aucun plafond de verre ne semble entraver la progression des populismes en général ?

Vincent Tournier : Ces personnalités ne sont pas exactement comparables, et il faut aussi tenir compte des particularités de chaque pays. Certes, Donald Trump et Boris Johnson sont atypiques et doivent leur popularité à des positionnements originaux, mais ils font quand même partie du jeu politique traditionnel. Ils ne sont donc pas vus comme des outsiders dangereux. A la limite, il en va de même pour Hofer en Autriche : son parti, le FPÖ, n’a pas la même connotation sulfureuse que le FN puisqu’il a déjà participé à des coalitions gouvernementales et qu’il gère même des régions ou des mairies, y compris avec la gauche ; son discours et son programme ont aussi considérablement évolué.

En France, la situation est très différente. Le FN a beau avoir changé son discours, il est toujours exclu de toute alliance et il est toujours considéré comme l’incarnation du mal. Le double traumatisme de la Collaboration et de la décolonisation joue toujours aussi fortement, alors que ce facteur n’est pas significatif ailleurs, surtout aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, mais aussi en Autriche. Le rapport au passé n’est donc pas le même partout : en France, il est hors de question de voir un parti s’inscrire dans une généalogie qui rappelle de près ou de loin la rupture avec les valeurs républicaines, alors que ce risque ne peut pas exister aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. En outre, dans ces deux pays, la liberté de parole est plus grande qu’en France, ce qui empêche d’apparaître comme le "vilain petit canard".

Un autre facteur handicape le FN : c’est le poids du clivage gauche-droite. On l’a vu en Autriche : Hofer, le candidat de la droite radicale, doit son succès au fait qu’il a réussi à faire évoluer le clivage traditionnel vers le clivage qui oppose les gagnants et les perdants de la mondialisation. Les résultats électoraux le montrent clairement : le candidat écologiste l’emporte dans les centres urbains et dans les catégories aisées ou diplômées, bref dans les milieux qui ne craignent pas pour leur avenir et qui se projettent favorablement dans la nouvelle compétition internationale. Il faut dire que le contexte autrichien a joué puisque, dans ce pays, la gauche et la droite gouvernent ensemble. Rien de tel en France : il n’y a pas de coalition entre le PS et LR et, pour l’opinion, les différences entre la gauche et la droite prévalent encore sur les autres clivages.

Stéphane FrançoisVastes questions. Déjà, on peut dire que nous sommes face à des phénomènes différents. Premièrement, concernant l’érosion de Marine Le Pen dans les sondages, je vous renvoie aux études d’Alexandre Dézé qui a bien montré la tendance des sondeurs à surévaluer la popularité de ce parti…

Deuxièmement, il existe aux Etats-Unis une culture « anti-intellectuels » : les candidats les plus lettrés, les plus cultivés partent avec un handicap, celui d’être trop cérébral. Richard Hofstadter l’a montré en 1963 (avec l’ouvrage Anti-Intellectualism in American Life). Cela n’a pas changé depuis. Donald Trump bénéficie de cette culture.

Enfin, Boris Johnson est plus un excentrique qu’un anti-système : il vient tout de même de la haute bourgeoisie intellectuelle (il a suivi une scolarité à Eton et Oxford). Surtout, il a été un journaliste important de la presse conservatrice britannique, avant d’être élu député « tory » (en 2000 et 2005). Son action politique reste dans cette optique : une politique conservatrice assumée.

Pour répondre à votre dernière question, il y a un rejet tout de même du populisme, qui est, il ne faut pas l’oublier, une forme de démagogie. Et celle-ci rejette la démocratie libérale et représentative : la montée des populismes est le signe d’une crise de cette démocratie. En ce sens, il y a bien un plafond de verre : les partis de gouvernement ne vont pas favoriser des mouvements qui veulent leur disparition…

La sensibilité anti-système est-elle de même nature que celle de l'extrême-droite ? Dans quelle mesure constate-t-on qu'elles ne se recoupent pas ? Quelles sont leurs différences en termes de profil sociologique et d'attentes des électeurs ?

Vincent Tournier : En toute rigueur, un parti extrémiste est par définition un parti anti-système puisqu’il propose de transformer radicalement le système existant. Mais un parti anti-système n’est pas forcément un parti d’extrême-droite ; il peut aussi être d’extrême-gauche. Le Parti communiste a longtemps été un parti anti-système puisqu’il voulait abattre la démocratie libérale au profit d’une démocratie populaire.

Aujourd’hui, peut-on dire que le Front national est un parti anti-système ? Ce n’est pas évident. Que l’on sache, son programme ne propose pas d’instaurer une monarchie absolue ou une dictature avec parti unique. Il ne propose même pas d’abolir l’élection du président au suffrage universel, contrairement à d’autres partis politiques français, ce qui serait pour le coup une vraie rupture du point de vue de la physionomie de nos institutions politiques.

Même dans sa manière de chercher à accéder au pouvoir, le FN reste très légaliste. Il n’a jamais eu recours à des méthodes violentes dans la rue, ce qui n’est pas exactement le cas de certaines factions de l’ultra-gauche, et encore moins de l’islamisme radical. C’est tout le paradoxe de la situation actuelle : depuis 40 ans on annonce l’arrivée du fascisme par la droite, et voilà que celui-ci arrive par la gauche, ou par la religion. Il y a de quoi être troublé, surtout quand on voit les hésitations du gouvernement pour dissoudre les mouvements radicaux.

Stéphane François : Si l’on entend par « anti-système », le populisme, il n’est pas de même nature que l’extrême droite : il existe des populismes de gauche, voire d’extrême gauche. Le populisme est plus un style, tribunicien, ligueur, qu’une idéologie. Un style qui doit faire « peuple » bien que souvent le tribun en question soit issu de cette élite rejetée. Par contre, il est vrai que cette façon de faire de la politique attire un électorat plutôt populaire ou de petits fonctionnaires (à prendre au sens propre, pas au sens péjoratif, c’est-à-dire des fonctionnaires ayant eu des concours de catégorie Cou B). Qu’attendent ces électeurs ? La défense de leurs intérêts principalement, ainsi que la disparition d’un système qu’ils jugent à bout de souffle. Ils sont également favorable à un système plutôt autoritaire (sans pour autant vouloir une dictature).

Quelle est la limite de la "prime au populisme" dont a notamment bénéficié un Matteo Renzi en Italie, élu et plébiscité par l'opinion pour des réformes symboliquement dirigées contre l'establishment ? Pourquoi le Front national, qui se veut lui aussi en rupture avec les élites, ne suscite-t-il pas un engouement comparable en France, par exemple ? Faut-il faire la distinction entre l’émetteur et le discours, impliquant qu'un émetteur perçu comme "modéré" peut être en mesure d'user efficacement d'un discours "populiste" ?

Vincent Tournier : Comme vous le dites, il y a très probablement un effet lié à l’émetteur. L’image du FN étant ce qu’elle est, tout ce qu’il propose finit par devenir suspect. On l’a vu avec la laïcité : il a suffi que le FN s’en empare pour que celle-ci se transforme en plomb. A la limite, le jour où le FN dira que la démocratie est formidable, il se trouvera des intellectuels pour prendre le contre-pied, histoire de ne pas courir le risque de "faire le jeu du FN", selon la formule consacrée.

Cette situation est très problématique parce qu’elle a sérieusement plombé le débat démocratique. Elle a aussi produit des effets pervers en provoquant un certain attrait pour le FN puisque celui-ci s’est retrouvé de facto en position de monopole sur certains diagnostics. Le problème est que cet effet de stigmatisation a été tellement puissant qu’il a empêché les autres partis de reprendre le flambeau. Personne n’a voulu courir le risque de se retrouver lynché en public par une noria d’éditorialistes et d’intellectuels dont la préoccupation majeure est de canaliser le débat en fonction de leurs valeurs.

Stéphane François : Oui, le lieu d’expression de ce populisme est important : le FN reste un parti perçu par la majorité comme relevant de l’extrême droite… Ceci dit, les scores du Parti de Gauche, qui relève de plus en plus d’un populisme de gauche, ne sont pas extraordinaires : le discours vitupérant de Mélenchon n’attire pas l’électeur français. Le grand gagnant, dans notre pays, reste l’abstention… Pour comprendre le succès de Matteo Renzi, il faut tenir compte l’histoire du pays, l’usure des partis classiques, leur renouvellement et la compromission de responsables politiques avec la mafia. Nous sommes dans un contexte très différent du notre, à l’exception de l’usure des partis et de leurs cadres…

Laurent Wauquiez, Nicolas Dupont-Aignan, Bernard Tapie, Nicolas Sarkozy ou un éventuel représentant de la droite "hors les murs"... En France, quels sont les candidats qui pourraient être en mesure d'engranger les dividendes d'un certain "populisme" en 2017 ? A quelles conditions ?

Vincent Tournier : Soyons francs : pour l’heure, aucune de ces personnalités ne paraît en mesure de capter les électeurs concernés, à savoir ceux qui votent FN ou ceux qui s’abstiennent. D’abord, ces différentes personnalités manquent de charisme, ou alors ont été déconsidérées comme c’est le cas pour Nicolas Sarkozy. Ensuite, ces personnalités restent perçues comme faisant partie du système, à un titre ou à un autre. Pour que l’un d’entre eux s’impose vraiment, il faudrait qu’il se démarque franchement, qu’il prenne des positions très anti-systèmes, un peu comme l’a fait Donald Trump au début de sa campagne. Mais c’est une stratégie risquée car elle peut griller quelqu’un définitivement.

En fait, la solution idéale serait de faire appel à une personnalité extérieure, à quelqu’un de totalement nouveau, n’ayant aucun lien avec les partis politiques actuels, et bénéficiant d’une forte légitimité. On peut se demander si certains n’y pensent pas, avec par exemple le général Bertrand Soubelet, cet ancien haut responsable de la gendarmerie mis au placard après avoir été auditionné par l’Assemblée nationale fin 2013. Celui-ci a écrit un livre intitulé Tout ce qu’il ne faut pas dire (Plon) qui connaît un certain succès et qui se présente comme un véritable programme de réforme politique et morale. Pourquoi ce général s’est-il lancé dans cette aventure un peu risquée puisqu’il s’expose à des représailles ? Cherche-t-il juste à faire part d’un diagnostic personnel sur l’état du pays, très riche au demeurant, ou a-t-il été convaincu de tenter une candidature à l’élection présidentielle ?

Stéphane François : Je n’en vois pas… Le premier est trop caricatural et contesté dans son pays ; le second est une figure des plus marginales malgré sa volonté de se présenter comme un nouveau de Gaulle ; le troisième est discrédité et le dernier cumule les casseroles et à une image franchement négative. Celle qui risque d’engranger des dividendes reste tout de même Marine Le Pen, si les affaires ne la ratrappe pas…

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