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La crise de l'autoritarisme islamique : une opposition entre chiites et sunnites qui n'est pas sans rappeler la guerre entre catholiques et protestants
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Bonnes feuilles

Le Moyen-Orient est entré dans une zone de tempêtes sans précédent où toutes les cartes menacent d'être bientôt redistribuées. Cette grande menace – incarnée par l’Etat islamique – vient sans doute clore un cycle : tout semble détruit et angoissant, mais la fabrique de l’Histoire est à l’œuvre : l’hésitation de l’Amérique ; la force de l’arc chiite ; le nouvel Iran et la nouvelle Egypte ; le jeu des grands voisins... Extrait de "Daech l'équation cachée" d'Alexandre Adler, aux éditions l'Archipel 2/2

Alexandre Adler

Alexandre Adler

Alexandre Adler est historien et journaliste, spécialiste des relations internationales.

Il est l'auteur de Le monde est un enfant qui joue (Pluriel, 2011).

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En Iran, ce n’est un secret pour personne que les durs du régime, qui n’ont été battus véritablement qu’avec la montée en puissance du système Rohani, ont favorisé de manière récurrente une entente de la République islamique et des Frères musulmans égyptiens, laquelle devait à leurs yeux faire basculer dans une révolution islamique véritable tous leurs interlocuteurs sunnites. Et, avant la pomme de discorde syrienne, les offres de service empressées des Turcs, depuis leur rupture militaire avec Israël en 2011, n’ont pas cessé: médiation partisane invraisemblable au profit de l’Iran d’Ahmadinejad au début de la crise nucléaire avec l’Occident, collaboration du chef des services secrets turcs, Hakan Fidan, au démantèlement du réseau du Mossad en Iran même. La vérité toute simple est que, bien davantage qu’un conflit doctrinal chiitesunnite, nous assistons au retournement paradoxal d’un combat maintenant vieux de trente-cinq ans: celui des intégristes à l’assaut des États laïques ou assimilés du monde musulman depuis la fin des années 1970, qui affrontent les forces rationalistes et modernistes que recèlent, à parts presque égales, les courants progressistes chiites et sunnites de l’islam.

Presque égales en effet car, dans le chiisme iranien, le vent a tourné de plus en plus fort en faveur de la liberté de conscience et de la dépolitisation de la religion, au cœur même des écoles chiites les plus réputées de Qom ou de Machad, pour ne pas parler du chiisme irakien tout proche, qui a très majoritairement embrassé l’alliance avec les envahisseurs américains après la chute de Saddam Hussein. Il est en effet parfaitement exact que, sous l’impulsion de son chef d’alors, Zarkaoui, Al-Qaïda en Irak avait décidé d’encourager le sectarisme sunnite le plus brutal, faisant ainsi écho à l’antichiisme radical du régime wahhabite saoudien. Mais en Irak même, ce tournant sectaire des djihadistes ne leur a pourtant pas rallié la totalité des sunnites, qui votaient encore aux élections libres à Bagdad ou s’efforçaient de s’émanciper de la tutelle insupportable de Daech.

Ailleurs cependant, en Algérie en particulier où l’islamisme radical fut vaincu après dix ans de guerre civile, en Libye où le général Haftar, appuyé par l’Égypte voisine, tint tête à toutes les forces islamistes, en Turquie où le gros des pressions laïques provient d’un sunnisme très débonnaire, et en Égypte où les dix millions de manifestants qui ont véritablement chassé du pouvoir les Frères musulmans en juin 2013 n’avaient rien de chiites, le phénomène s’apparente tout simplement à une contre-offensive de la laïcité et de la modernité. Certes, le régime saoudien, qui persécute depuis le XVIIIe  siècle les minorités chiites lui faisant face dans le golfe Persique ou aux confins du Yémen, entretient à dessein un sectarisme religieux très fort. Mais c’est d’abord et avant tout une tentative de propagande saoudienne que de rejeter vers le seul Téhéran tous les mouvements hostiles à l’intégrisme actuel.

Quoique les sunnites demeurent largement majoritaires dans l’islam mondial, ce sont des sunnites qui ont infligé, depuis 2001, les défaites les plus significatives aux forces intégristes. Les forces laïques turques n’ont jamais désarmé devant le régime d’Erdoğan et représentent encore la colonne vertébrale de l’opposition à l’islamisme dans ce pays, quand bien même leur fermeture d’esprit les a empêchées jusqu’à présent d’élaborer un véritable programme commun de lutte avec les Kurdes libéraux et les musulmans modérés. Ce qui a permis à Erdoğan de se maintenir jusqu’ici, par la crainte et le chantage, après avoir toutefois perdu la majorité absolue au Parlement pendant six mois. En Indonésie, ce sont des musulmans sunnites libéraux du Nahdlatul Ulama qui ont bloqué efficacement les tentatives d’islamisation politique de la société indonésienne. La confusion présente tient seulement au fait que c’est l’Arabie Saoudite qui est désormais placée sur la défensive, devant le progrès de ces forces de laïcisation rationaliste.

Il convient à présent aux dirigeants saoudiens de mettre tous les anti-islamistes dans un même sac, alors même que deux pôles convergents, pour l’instant séparés, ont émergé des événements dès 2013 : une Égypte nationaliste et séculière, sunnite, celle du maréchal Sissi ; et un Iran chiite qui renoue avec enthousiasme avec la communauté internationale. Dans tout le Moyen-Orient non iranien, l’actuelle diaspora chiite, par trop minoritaire, demeure en outre dominée au Liban par des forces très hostiles à Israël et presque toutes rattachées à des groupes à Téhéran qui prennent figure chaque jour davantage d’héritiers de «l’ancien régime iranien»: les continuateurs esseulés de Khomeini. La seule complexité est bien là. Et elle provient d’un seul facteur, la rivalité intervenue sur le tard entre le régime saoudien et les Frères musulmans égyptiens. Ci-gît la dernière inconnue de cette crise révolutionnaire du Moyen-Orient. 

Extrait de Daech l'équation cachée d'Alexandre Adler, publié aux éditions l'Archipel, mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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