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L’aéroport Charles-de-Gaulle sous les projecteurs : mais au fait, 10 ans après les "mosquées de Roissy" de Philippe de Villiers, qu'en est-il du risque terroriste dans le plus grand carrefour aérien de France ?
©Reuters

Vigilance constante

Il y a près de 10 ans, Philippe de Villiers pointait du doigt le risque sécuritaire lié à la montée de la radicalisation islamiste au sein du personnel de Roissy-Charles-de-Gaulle. Au lendemain d'un crash qui fait beaucoup parler en Egypte comme en France, l'aéroport est de nouveau sous le feu des projecteurs.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : Il y a près de 10 ans, Philippe de Villiers avait beaucoup fait parler de lui en pointant du doigt (dans un livre intitulé "Les mosquées de Roissy") les risques sécuritaires liés à la radicalisation islamiste d'une partie du personnel de l'aéroport de Roissy. Aujourd'hui, même si l'enquête sur le crash du vol Paris-Le Caire n'en est qu'à ses balbutiements, des procédures de vérification ont été lancées à Roissy. Concrètement, comment a évolué la situation dans cet aéroport ces 10 dernières années ?

Eric Dénécé :La situation a évolué positivement car les mesures de sécurité se sont considérablement renforcées. Depuis 10 ans, régulièrement, à chaque nouvel attentat terroriste n'importe où dans le monde et en particulier dans les aéroports, les leçons sont tirées et de nouvelles dispositions sont mises en place pour renforcer la sécurité.

A chaque fois que des nouvelles technologies apparaissent (de nombreuses sociétés sortent des produits de surveillance faciale, de morpho-reconnaissance, de surveillance périmétrique, de détection des explosifs…), elles sont appliquées immédiatement. Systématiquement, dans tous les aéroports et notamment à Roissy, il y a désormais des gens qui contrôlent de manière aléatoire les passagers en cherchant à détecter les traces d'explosifs sur vos mains. Ces choses ne se faisaient pas il y a encore deux ou trois ans.

Roissy fait en permanence un suivi extrêmement pointilleux de l'évolution de la menace et de la sécurité. Sur cet aspect de renforcement sécuritaire, il y a indéniablement eu des choses qui se sont faites. Il n'y a d'ailleurs eu aucun incident majeur à Roissy en matière de sécurité de passagers.

Un deuxième effort a été fait dans l'identification des personnes dangereuses parmi les salariés, pour éviter que certains radicalisés accèdent à certaines zones. Le livre de Philippe de Villiers mettait le doigt sur quelque chose de réel. Il reprenait d'ailleurs beaucoup un rapport que nous avions fait quelques années auparavant.

Il y a eu aussi une amélioration en ce qui concerne l'accès à certaines zones. Il y a de plus en plus de filtres en interne, y compris pour le personnel travaillant sur l'aéroport.

Toutefois, il reste une problématique non encore résolue : la présence d'islamistes radicaux au sein du personnel. Pas nécessairement des bagagistes, mais à tous les niveaux : entretien, services, distribution de boissons… C'est une réalité. Un certain nombre d'individus sont fichés S (pas forcément des terroristes, cela peut être des islamistes radicaux, des criminels qui ont un casier judiciaire et qui n'ont pas commis d'exactions depuis quelques temps), et cela reste toujours préoccupant.

C'est typique de la société française, pas forcément de l'aéroport de Roissy. La montée en puissance d'un phénomène islamiste radical dans les entreprises est visible depuis une quinzaine d'années. Malheureusement, notre droit du travail et nos lois sur la sécurité ne permettent pas d'écarter un islamiste radical avéré d'une entreprise sensible pour des raisons de respect religieux. Il y a ici un dysfonctionnement du système, que ce soit à Roissy ou dans une entreprise du Limousin.

Il faut bien prendre conscience que Roissy est l'aéroport français le plus protégé, et probablement dans le top 5 ou top 10 au niveau mondial.

Certains islamistes radicaux ont été écartés de zones sensibles, mais au-delà de l'islamiste radical dont on sait qu'il est proche d'un groupe terroriste, il y a tous les autres qui font du prosélytisme religieux, qui refusent de s'associer au deuil des victimes du 13 novembre, etc. Ces gens-là travaillent toujours dans l'aéroport.

Qu'est-ce qui n'a pas été fait ? Que pourrait-on faire de plus ?

Nous sommes aujourd'hui à Roissy, comme dans la grande majorité des aéroports internationaux occidentaux, en état de sécurité maximale. Néanmoins, il y a une menace qui perdure aujourd'hui et qui est difficile à prendre en compte :la menace des drones (on l'a bien vu l'an dernier lors de survols de centrales nucléaires ou de l'Elysée). Les responsables sécuritaires des aéroports connaissent cette menace, mais il n'y a pas encore aujourd'hui de moyens suffisants car il est très dur d'empêcher le vol d'un petit drone envoyé depuis un véhicule posté au bout des pistes de Roissy ou d'Orly par quelqu'un qui peut lui-même être un salarié de l'aéroport et qui saurait qu'à tel endroit il n'y a pas de caméra. Il est possible que cette personne fasse en sorte que son drone transporte un kilo ou 500 grammes d'explosif quelque part sur le tarmac ou près des bâtiments. On a donc beau fouiller tous les individus quand ils rentrent et s'assurer qu'ils ne portent pas d'explosifs, cela peut arriver. C'est un scénario catastrophe bien sûr, mais c'est une réalité. Pour l'instant, personne n'a encore mis en place de dispositif qui permettrait d'arrêter tous les drones.

Les enquêteurs français ont eu la confirmation que le 12 novembre 2015, la veille des attentats de Paris, Abdelhamid Abaaoud est passé par l'aéroport Charles-de-Gaulle. Est-il possible que sa cellule possède des membres, ou au moins peut-être des sympathisants, à Roissy ?

Les services policiers ont indiqué qu'Abdelhamid Abaaoud était effectivement passé par l'aéroport. Mais je ne sais pas s'il y est passé avec sa vraie ou une fausse identité. Deuxièmement, s'il est passé avec sa vraie identité, était-il à ce moment-là sur une liste de personnes recherchées ou devant être arrêtées ? Je ne pense pas du tout qu'il dispose de personnes lui permettant de sortir clandestinement d'un aéroport français. Aujourd'hui, les listes de passagers sont vérifiées à l'embarquement, par l'équipage, et transmises avant l'atterrissage aux autorités françaises. Après, s'il utilise un faux nom, un faux passeport, ou si la DGSI décide de ne pas l'arrêter pour le prendre en filature dès qu'il sortira de l'aéroport… Il y a plusieurs cas de figure qui ne permettent pas de répondre facilement à la question.

Il y a des sympathisants islamistes à Roissy, mais ce ne sont pas, à ma connaissance, des sympathisants terroristes. La DGSI et la sécurité des aéroports ont quand même beaucoup fait le ménage en ce qui concerne les gens éminemment dangereux.

Selon nos informations, à l'été 2015, 8 avions ont été tagués sur le tarmac de Roissy, censé être une zone ultra-sécurisée. Alors que l'attentat de l'aéroport de Zaventem en Belgique a remis sous le feu des projecteurs la sécurité dans les aéroports, est-il vraiment possible d'atteindre le risque zéro d'un point de vue sécuritaire ?

Le risque zéro n'existe pas. Mais le fait que ces avions ont été tagués montre que malgré les contrôles extrêmement sérieux qui ont été mis en place, il y a des gens qui rentrent. Il faudrait avoir ici les éléments de l'enquête. A-t-on des éléments pour savoir qui a tagué ? Les forces de l'ordre doivent le savoir. Ou bien ce sont de petits tagueurs de l'extérieur qui ont pu rentrer, et c'est très grave, ou alors ce sont des salariés qui ont fait ça pour une raison ou pour une autre.

Il est également important de savoir où ces avions ont été tagués. Dans les aéroports, il y a des zones de posé et des zones de maintenance. Tout est important. On peut mettre une bombe dans un avion en maintenance sans que personne ne s'en aperçoive jusqu'à l'explosion le jour où l'avion prend des passagers.

Si l'avion était en bout de piste près des barrières, avant de passer en maintenance, totalement fermé et hermétique, et qu'une bande de zozos a pu passer outre les barrières quelques minutes, ce n'est pas la même chose que si l'avion avait été tagué alors que la passerelle était mise, avec des individus en train de monter à bord.

C'est en tout cas le signe que malgré les mesures de sécurité, des gens peuvent passer.

L'état d'urgence et l'arsenal législatif déployés dans le cadre de la lutte antiterroriste ont-ils selon vous contribué à améliorer, dans les faits, la sécurité en France ?

Cela contribue à l'améliorer un peu. Pourquoi je ne dis que "un peu" ? Car une fois que l'on a décidé d'appliquer l'état d'urgence – qui ne devrait être établi que pour une durée limitée –, il faut savoir qu'il génère pour les forces de l'ordre énormément plus de travail. L'état d'urgence entraîne donc aussi une saturation. Ils vont multiplier par deux ou trois les possibilités d'action, ils peuvent faire des perquisitions, des arrestations, des enquêtes, des écoutes qu'ils ne pouvaient pas faire avant. Tout cela nécessite énormément de personnel. La paperasse administrative est décuplée (PV, compte-rendus, etc.).

Vous avez deux fois plus de possibilités d'actions, mais étant donné que vous n'avez pas deux fois plus de personnel, vous ne parvenez pas à exploiter toutes les opportunités que l'état d'urgence apporte.

C'est efficace, mais cela devrait presque systématiquement s'accompagner d'une augmentation des effectifs. Ces derniers étant très mobilisés aujourd'hui avec la lutte antiterroriste, les Black Blocks, Nuit Debout, c'est compliqué… On s'aperçoit d'ailleurs que même en situation d'état d'urgence, les juges administratifs ont retoqué les interdictions de manifester émises par le préfet de police de Paris. Soit les gens ont mal rédigé les ordonnances sous la pression des événements, soit le travail n'a pas été suffisamment bien fait en raison de la saturation des effectifs.

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