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L'explosion sociale, c'est maintenant… ou pas : pourquoi le vrai été de l'embrasement pourrait être celui de 2017
©Reuters

Cocotte minute

Annoncé pour cette été par Jean-Luc Mélenchon dans le JDD dimanche 16 mai, le retour de bâton devrait survenir plus tard si l'on y regarde bien. L'été suivant probablement, après deux campagnes d'élection qui s'annoncent incertaines, éprouvantes et décevantes.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico :  Au-delà des tensions actuelles relatives à la loi El Khomri, n'est-il pas plus pertinent de pointer l'été 2017 comme principale source de risques d'une explosion sociale en France ? 

Vincent Tournier : En fait, il est rare d’avoir un mouvement social dans les semaines qui suivent une élection présidentielle. Y a-t-il même un précédent ? Les mouvements sociaux sont déconnectés des élections : par exemple, Mai-68 s’est produit trois ans après l’élection de 1965 ; de même, les grands conflits sur l’école privée ont eu lieu respectivement en 1984 et 1994. On pourrait multiplier les exemples.

Cette déconnection s’explique facilement. Le verdict des urnes a normalement pour fonction de calmer les ardeurs en départageant les camps. Les vainqueurs sont satisfaits et les vaincus sont contraints d’accepter leur défaite, sinon ils passent pour anti-démocratiques. Ajoutons aussi que la période estivale qui suit la séquence électorale est généralement peu propice aux mobilisations.

Par contre, les choses peuvent se dégrader assez rapidement, notamment au moment de la rentrée scolaire et sociale. Le grand mouvement social de 1995 a eu lieu 6 mois à peine après l’élection de Jacques Chirac. Il en va de même pour les grèves étudiantes de novembre 2002 et de novembre 2007, liées à des réformes sur les universités. 

Bref, d’une certaine façon, l’élection permet de purger les passions, elle remet les pendules à l’heure en rebattant les cartes. Mais par la suite, les choses peuvent s’aggraver plus ou moins rapidement lorsque le nouveau pouvoir met en œuvre son programme, surtout si celui-ci contient des mesures particulièrement clivantes (par exemple le mariage gay en 2013). Souvent, les mouvements sociaux ont plutôt lieu vers la fin du mandat présidentiel, par exemple en 2006 avec le mouvement contre le CPE. Cela est assez logique : au bout de quelques années, les vaincus ont accumulé du ressentiment face au pouvoir en place ; ils se sentent lésés et attendent la bonne occasion pour se mobiliser. Les mobilisations ont ici une fonction cathartique, comme on le voit un peu avec Nuit Debout. Dans ce cas, la gauche radicale se sent d’autant plus flouée que le gouvernement ne mène pas la politique qu’elle voudrait, et qu’elle elle souffre du contexte sécuritaire lié au terrorisme qui l’a empêché de déployer ses thématiques sociales. Il faut dire aussi que la gauche a une culture de la rue qui est plus profonde que celle de la droite.

Au regard de l'ampleur des programmes réformateurs portés par les candidats des Républicains et de la difficulté annoncée de voir se former un corps exécutif reposant sur une très large base, les points de crispation peuvent-ils atteindre leur paroxysme à ce moment ?

Pour l’instant, il est difficile de savoir quel sera le contenu final du programme de la droite puisque les candidats ont souvent tendance à se recentrer au fil de la campagne. Mais il est effectivement très probable que la droite, si elle gagne, mettra en œuvre des réformes économiques et sociales de nature libérale, auxquelles s’ajouteront des mesures à caractère sécuritaire et identitaire. Tous ces ingrédients peuvent susciter de fortes réactions dans la gauche militante, laquelle est déjà très active, ce qui lui a donné l’occasion de se structurer, de constituer ses réseaux, voire de prendre goût à la violence. Cette gauche est d’autant plus active qu’elle se sait minoritaire, qu’elle a le sentiment d’avoir perdu la bataille des idées. D’une certaine façon, les scènes de violences urbaines auxquelles on assiste actuellement sont la conséquence du recentrage du PS. 

Cette radicalité va-t-elle s’amplifier après les élections de 2017 ? C’est possible parce que, jusqu’à présent, le fait d’avoir un gouvernement de gauche a pu, malgré tout, freiner l’ardeur des contestataires. Donc, si la droite revient au pouvoir, ce frein va disparaître, d’autant que les militants vont certainement en rajouter sur le caractère fasciste du gouvernement. Du côté des forces de l’ordre, les policiers se sentiront aussi plus libres d’agir à leur guise. Tout cela peut déboucher sur un contexte explosif. La droite devra en tenir compte si elle veut éviter de créer une situation trop tendue. 

En considérant que l'arrivée de primaires à droite va provoquer un premier "écrémage", sociologiquement étroit, avant celui, plus naturel, du premier tour des élections présidentielles, la victoire d'un candidat de droite à l'élection Présidentielle ne risque-t-elle pas d'être soumise à la difficulté de former une majorité présidentielle unie ? Quels sont les risques de voir naître une opposition de droite à la majorité, tout comme les frondeurs sont aujourd'hui une opposition à François Hollande ? 

Si la droite emporte les élections présidentielles et législatives, elle sera confrontée à des tensions internes très vives parce qu’elle est aujourd’hui très divisée entre une tendance sociale-libérale, incarnée notamment par Alain Juppé, et une tendance plus droitière qui cherche à reconquérir l’électorat du Front national. Or, ce pôle aura le vent en poupe puisque, de toute évidence, Marine Le Pen fera un bon score au premier tour de la présidentielle et que, dans la foulée, le FN améliorera ses résultats de 2012.

Cela étant, je voudrais souligner que, pour l’heure, on ne sait pas encore quel sera le mode de scrutin aux législatives. Les médias ont acté le fait que François Hollande avait définitivement renoncé à la proportionnelle, mais en vérité, personne ne le sait. En tout cas, curieusement, personne ne cherche à lui poser la question. Or, rappelons que, lors des élections législatives de mars 1986, le PS a attendu le mois de juillet 1985 pour modifier le mode de scrutin. Nul ne peut donc exclure que François Hollande annonce, pendant l’été, l’instauration de la proportionnelle. Tout va dépendre des projections en sièges. Si la déroute du PS se confirme, la proportionnelle aurait le double avantage de sauver les meubles et, surtout, de torpiller la victoire annoncée de la droite puisque cette dernière se retrouverait face à un nombre très important de députés FN, ce qui la mettrait en grande difficulté pour constituer une majorité. 

La présence envisageable du Front national au second tour de l'élection Présidentielle est-elle à même de déstabiliser la légitimité de son adversaire, faisant de l'issue du scrutin, non pas une victoire du candidat, mais une défaite de Marine Le Pen, sur le modèle de 2002 ? Plus largement, quels sont les autres facteurs permettant d'imaginer un réel blocage du pays au lendemain des élections de 2017 ?

Si Marine Le Pen est au second tour, ce qui est assez probable, on va effectivement assister au même scénario qu’en 2002, à savoir une forte mobilisation politique et médiatique contre le FN au second tour. Le résultat est couru d’avance : Marine Le Pen sera battu à plate couture, même si elle fait vraisemblablement mieux que son père en 2002, lequel était resté à 20%. Le paradoxe est que cette victoire écrasante va s’accompagner d’une faible légitimité du nouveau président. D’abord parce que celui-ci risque fort de faire un faible score au premier tour, vu l’état d’impopularité des principaux leaders actuels ; ensuite parce que l’heureux élu devra une partie de sa victoire aux électeurs de l’autre camp. On aura donc un Président sans base électorale forte. Or, rappelons qu’en 2002, Jacques Chirac, qui avait fait à peine 20% au premier tour, s’était contenté après son élection de lancer un programme minimaliste, avec des thèmes hautement consensuels comme la lutte contre le cancer, la sécurité routière ou encore le handicap. Ces "chantiers présidentiels", comme il les appelait alors, signifiaient clairement que le président renonçait à diriger le pays. Une telle situation pourrait être particulièrement déstabilisante à un moment où la société française est confrontée à des défis majeurs et où une grande partie de la population attend justement un leader fort. 

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