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300 euros offerts aux femmes enceintes pour les inciter à arrêter de fumer : une mesure aussi inefficace qu'immorale
©REUTERS/John Kolesidis

Bons d'achat

18% des femmes enceintes françaises continuent de fumer durant le dernier semestre de leur grossesse. Pour les inciter à arrêter pendant ces neuf mois et déterminer si les incitations financières peuvent être efficaces, l'étude FISCP, financée par l'Institut National du Cancer (Inca), a été lancée dans 16 maternités et hôpitaux de France. Concrètement, 300 euros en bons d'achat seront versés aux futures mamans fumeuses qui arrivent à arrêter de fumer durant leur grossesse.

Christian Jamin

Christian Jamin

Christian Jamin est gynécologue et endocrinologue. Il exerce actuellement à Paris. Spécialiste de la régulation du traitement hormonal chez la femme, il participe activement aux recherches de nouvelles méthodes de contraception. Il s'implique également dans la prévention de l'IVG.

Il a co-écrit Une nouvelle vie pour la femme, aux éditions Jacob-Duvernet, 2006.

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Jacques Lansac

Jacques Lansac

Jacques Lansac est gynécologue et Président de la Commission Nationale d’Echographie Obstétricale et Fœtale et l'ancien président du Conseil National des Gynécologues Obstétriciens de France. (CNGOF)

 

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Atlantico : Une étude financée par les fonds publics de l'INCA propose d'offrir 300 euros en bons d'achat aux futures mamans fumeuses qui arrrivent à arrêter pendant leur grossesse. Pensez-vous que cette initiative puisse fonctionner ?

Christian Jamin : Non, et, pardonnez-moi du terme, je trouve cette initiative profondément "débile".

En effet, les effets extrêmements néfastes du tabac sur le développement du foetus sont désormais prouvés et très bien expliqués aux futures mamans par les gynécologues et l'ensemble des professionnels de santé, donc si une femme n'est pas capable de s'arrêter de fumer pour la santé de son bébé, elle ne le fera certainement pas pour 300 euros.

Arrêter de fumer est avant toute chose un choix personnel, une décision compliquée à prendre et difficile à mener à bien, car le tabac est une drogue dure. Si la patiente n'a pas pris d'elle-même cette résolution, toutes les consultations d'addictologie ou autres incitations financières ne seront d'aucune utilité. Elles ne servent qu'à accompagner le patient dans son choix. Donc la seule chose efficace dans ce genre de cas consiste à convaincre la femme enceinte de prendre la décision d'arrêter de fumer.

L'étude est financée par l'Institut National Du Cancer (INCA), donc par des fonds publics. Pensez-vous que cet "hygiénisme d'Etat" qui paye les gens pour être en bonne santé soit une bonne chose ?

Christian Jamin : Pourquoi pas, encore faudrait-il évaluer avant de dépenser de l'argent quelle en est l'utilité. Pour moi, cette étude jette de l'argent par les fenêtres.

Par ailleurs, je pense que cette expérience, si elle est un jour appliquée, est non seulement ineffficace, mais aussi profondément immorale. Le fait de payer des individus pour qu'ils soient en bonne santé est totalement déresponsabilisant.

Jacques Lansac : Disons que pour financer une étude sur la question pourquoi pas, car c'est un vrai problème de santé public : selon des chiffres du baromètre sur le tabac du ministère de la Santé, 20% des femmes françaises enceintes continuent de fumer pendant leur grossesse, et ce pourcentage est un record en Europe.

Mais le problème de cette étude-là, c'est qu'elle me paraît totalement inappliquable en pratique. En effet, comment justifier cette inégalité de traitement aux yeux des femmes qui sont enceintes et qui ne fument pas ou qui ont fait l'effort toutes seules d'arrêter de fumer avant de concevoir un enfant, ou même aux yeux de hommes fumeurs, qui ne toucheraient pas non plus cette récompense de 300 euros s'ils arrêtent de fumer ? Juridiquement, c'est impossible à tenir devant un tribunal.

De plus, cette étude s'inscrit dans une dynamique sociétale et sanitaire qui a vraiment tendance à en faire trop pour protéger les femmes enceintes. On en fait des tonnes sur les régimes alimentaires, sur la dangeurosité de jouer aux jeux vidéos, de trop travailler sur l'ordinateur ou de passer trop de temps au téléphone, ce qui mettrait le foetus en danger à cause de ondes, etc... Il vaudrait mieux se concentrer sur les vrais problèmes sur lesquels des études sérieuses ont été menées, comme l'obésité des femmes enceintes, par exemple.

Pouvez-vous rappeler quels sont les risques encourus pour le bébé d'une femme enceinte qui fume ?

Christian Jamin : Principalement, cela donne des hypotrophies foetales, c'est-à-dire des bébés qui sont plus petits à la naissance, parce que le tabac provoquent des troubles vasculaires qui font que le bébé est mal irrigué, et qui donc grossit moins bien.

Le tabac peut aussi mettre en péril la grossesse en elle-même, avec une augmentation des risques de grossesses extra-utérines et de fausses couches.

Pendant la grossesse, le tabagisme augmente le risque de survenue d'accidents gravidiques : hématome rétro placentaire, placenta bas inséré, retard de croissance intra-utérin (RCIU), prématurité (rupture prématuré des membranes), mort subite du nourrisson.

Le tabac serait également responsable d’une fréquence accrue d’hémorragie de la délivrance et de délivrance artificielle.

Concrètement, comment faire pour lutter contre le tabagisme des femmes enceintes ?

Christian Jamin : Pour les femmes qui ont vraiment pris la décision toute seule d'arrêter de fumer, je les dirige vers des consultations spécialisées dans les addictions.

Mais pour toutes les autres, la meilleure façon de lutter contre le tabagisme des femmes enceintes est tout simplement de lutter contre le tabagisme tout court. L'approche de la lutte contre le tabac est mauvaise en France, elle devrait commencer beaucoup plus tôt, au collège et lycée, car c'est là que les mauvaises habitudes se prennent. Pour les femmes enceintes qui fument, c'est déjà trop tard en terme de prévention.

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