L'équipage de navires comme le Costa Concordia est mieux formé pour servir des cocktails que pour sauver des passagers<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Concordia sous les eaux...
Le Concordia sous les eaux...
©Reuters

Touché coulé

Alors que le bilan a dépassé la barre des dix morts, le drame du Concordia devrait donner lieu à une vaste enquête. Qui est responsable de l'accident ? Les armateurs, conscients du succès de leurs croisières, pousseraient les commandants des navires à prendre des risques.

Alain Jégu

Alain Jégu

Secrétaire général de l'Association française des capitaines de navires (AFCAN).

Il a fait carrière dans le transport maritime de passagers.

 

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Atlantico : En sombrant, le Concordia a soulevé de nombreuses questions. Les navires de croisière sont toujours plus nombreux, plus gros, plus remplis et approchent des côtes et des ports de manière parfois dangereuse. Ces bateaux posent-ils des problèmes de sécurité ?

Alain Jegu : La situation devient délicate. Non pas parce que ces navires sont gros mais parce qu’il y a beaucoup de passagers à bord. C’est un processus de gigantisme que l’on observe depuis une quinzaine d’années. Les bateaux construits atteignent des proportions démesurées. Les commandants de ces bâtiments se retrouvent à devoir s’occuper, comme dans le cas du Concordia, de près de 4000 personnes.

Par temps calme, manier et canaliser 3000 à 4000 personnes n’est déjà pas une tâche évidente. Si en plus, le bateau est soumis à des problèmes de lumière, de complications linguistiques, de chocs … la multiplication des difficultés crée une situation ingérable.

Les armateurs font-ils pression sur les équipages pour prendre des risques ?

L’armateur ne voit que les arguments de vente : si on vous vend une croisière à Venise, il faut approcher jusqu’à l’entrée du canal de Guidecca, malgré les difficultés que cela implique. C’est un plus évident d’un point de vue commercial.

Il n’y a pas de dialogue entre les équipages et les armateurs. Les propriétaires de navires ont un raisonnement simple. S’ils peuvent passer d’un bâtiment transportant 6000 containers à un autre d’une capacité de 8000, ils n’hésitent pas. Ce n’est pas beaucoup plus cher, ça ne demande pas beaucoup plus de marins, mais cela permet de réaliser de plus gros bénéfices. La logique en matière de passagers est exactement la même.

Ensuite, ils envoient les navires en fonction des destinations. Bien sûr, les commandants peuvent estimer qu’un itinéraire est risqué voire impossible. Il peut le signaler. A la fin, les armateurs ont souvent tendance à imposer leur volonté ou à remplacer les commandants récalcitrants.

Une fois en mer, les navires vont là où ils veulent. Il y a des tas de réglementations qui devraient être ajustées. Il y a un tas de variables, différentes d’un pays à l’autre, qui jouent et qui rendent toute décision législative très compliquée à mettre en œuvre.

Quels sont les moments critiques dans la navigation pour un navire de ce type ?

Les manœuvres de port sont sensibles : c’est là que le bateau court le plus de risques. Dans ces phases, il y a les pilotes à bord et les remorqueurs qui fournissent une aide. Ces moyens d’assistance font qu’il y a relativement peu de problèmes à l’intérieur ou à l’approche des ports.

L’essentiel des pépins se manifeste en pleine mer. Il s’agit en général de soucis mécaniques : propulsion, alimentation électrique… C’est là qu’il faut s’adapter, malgré le temps, pour trouver des solutions à toutes les défaillances. Malgré la préparation, il n’est jamais évident de réagir dans ces situations.

Que se passerait-il si un tel drame avait lieu en pleine mer, loin des côtes ? Les différents pays ont-ils les moyens de dépêcher des secours pour évacuer plusieurs milliers de personnes ?

En pleine mer, le bilan serait tout simplement plus lourd. Tous les pays n’ont évidemment pas les mêmes moyens d’intervention. Reste ensuite à voir où il faut intervenir : en pleine mer et par mauvais temps, les hélicoptères et la plupart des bateaux ne peuvent pas sortir des ports.

Si l’on réussit à évacuer normalement un navire en perdition, en utilisant les chaloupes, le problème est moindre. Ces chaloupes sont conçues pour assurer la sécurité de ses passagers, même dans des conditions difficiles, pendant un bon moment. Elles sont faciles à repérer pour les secours. Par contre, pour quelqu’un qui est tombé à l’eau, c’est presque impossible : détecter une tête humaine en pleine mer, même avec un gilet rouge fluo, relève de l’exploit. Encore une fois, par mauvais temps, la situation se complique énormément : des gens tombent à la mer et des chaloupes ne peuvent pas être correctement déployées.

La plupart de ces équipements sont testés par beau temps. Malheureusement, la météo n’est pas toujours propice au sauvetage.

Les témoignages des passagers du Concordia décrivent de nombreuses failles dans le processus d’évacuation. Personnels navigants et passagers sont-ils prêts à réagir en cas de catastrophe ?

C’est tout le problème. Le personnel est théoriquement en nombre suffisant. On ne peut pas dire que les concepteurs construisent ces navires sans se poser les questions de sécurité. La formation, par contre, est réduite au minimum légal. L’essentiel du personnel de bord, que l’on pourrait qualifier de « personnel d’hôtel », s’occupe surtout du bien être des passagers.

Ils ne sont pas forcément très entrainés à l’évacuation du bateau, malgré des exercices réguliers. Il faut de plus ajouter à cela la peur et aux réactions imprévues liées à l’incident.

Il existe enfin des appareils électroniques pour assister le personnel dans la navigation. Nous ne savons pas encore ce qui s’est passé dans le cas du Concordia. Ces outils ont-ils été correctement utilisés ? Les ordres du capitaine ont-ils été exécutés ? Y a-t-il eu des pannes d’instruments ?

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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