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Faiblesse record des augmentations des salaires : une preuve supplémentaire que les demandeurs d’emploi ne sont pas les seules victimes du chômage de masse
©Capture / Youtube

On gèle...

Le dernier bulletin économique de la Banque centrale européenne (BCE), daté du 5 mai dernier, met en lumière une stagnation historique des salaires dans la zone euro. La persistance d'un chômage élevé serait l'une des principales explications avancées.

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste de questions de politique budgétaire, sociales et des systèmes de retraite.

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Atlantico : Le dernier bulletin économique de la Banque centrale européenne (BCE), daté du 5 mai dernier, met en lumière la faiblesse des salaires dans la zone euro. Au quatrième trimestre 2015, ils n'auraient progressé que de 1,3 % sur un an. Ce niveau est historiquement faible. A quoi est dû ce phénomène ?

Henri Sterdyniak : La faiblesse des hausses de salaires s’explique en grande partie par la faiblesse de l’inflation elle-même : 0,2% en glissement fin 2015. Celle-ci joue directement sur les salaires par les mécanismes d’indexation plus ou moins automatiques. Joue aussi le niveau important du chômage qui affaiblit les positions des salariés. Celles-ci sont aussi remises en cause par les réformes du marché du travail, qui souvent permettent aux entreprises de réduire les acquis des salariés. Dans la période récente, se développent des emplois à bas salaires, souvent précaires, qui pèsent sur le niveau moyen des salaires. Enfin, dans beaucoup de pays du Sud (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), faire pression sur les salaires fait partie de la stratégie macroéconomique d’amélioration de la compétitivité.

Cependant, la chute brutale de l’inflation (induite par la baisse du prix du pétrole) et une certaine inertie des salaires font que les salaires réels progressent en 2015 - 1,1% pour l’ensemble de la zone - ce qui n’est pas si bas compte-tenu du ralentissement de la productivité du travail.

Sur les trois dernières années, la hausse moyenne du pouvoir d’achat des salaires a été de 0,8% l’an, ce qui est légèrement en-dessous des gains de productivité. Mais l’évolution varie selon les pays : le pouvoir d’achat des salaires a augmenté de 1,5% l’an en Allemagne, de 1% en France, de 0,7% en Belgique, de 0,3% en Espagne, Italie, Pays-Bas, Autriche, Portugal, mais baissé de 0,2 % l’an en Irlande et Finlande, de 1,7% en Grèce. Un certain rééquilibrage est en cours entre l’Allemagne, ses partenaires et les pays du Sud, mais il est lent.  

La modération salariale est souvent présentée comme un atout pour la compétitivité. Dès lors, comment expliquer que la situation économique de l'Europe ne connaît pas de réelle amélioration ?

La zone euro est à la fois une zone de faible croissance (en 2016, le PIB par tête serait au même niveau qu’en 2008), de fort taux de chômage (10,2%) et de fort excédent extérieur (3,5% du PIB en 2015). La politique généralisée de gain de compétitivité par modération salariale présente quatre défauts. En ce qui concerne le commerce intra-européen, c’est une politique non-coopérative, chaque pays européen cherchant à gagner de la compétitivité au détriment de ses partenaires ; globalement, leurs efforts en termes de compétitivité s’annulent, mais la pression sur les salaires pèse sur la demande, de sorte que l’effet sur le PIB est négatif. Le combat pour la compétitivité fait des gagnants (qui accumulent des excédents) et des perdants (qui accumulent des déficits) ; les gagnants doivent prêter aux perdants, jusqu’au moment où il apparait que ceux-ci sont trop endettés : cela se termine par une crise de la dette. En ce qui concerne le commerce avec les pays extérieurs de la zone, les gains de compétitivité obtenus péniblement  par la modération salariale peuvent être brusquement remis en cause par la hausse du taux de change, induite par les excédents extérieurs ; c’est une stratégie fragile. Enfin, une zone qui connait un fort chômage, mais un fort excédent extérieur, devrait soutenir son activité par la hausse de la demande interne, donc par la hausse de la consommation et des dépenses publiques, pas en augmentant encore son excédent. La modération salariale devrait être limitée aux pays en fort déficit extérieur et compensé par des hausses de salaires dans les pays  en fort excédent (Allemagne, Pays-Bas).

Peut-on considérer que le chômage de masse, qui frappe l'Europe depuis le début de la crise, fait partie de la stratégie économique européenne, dans un but de retour à la compétitivité par la modération salariale ? 

Selon le point de vue ordo-libéral que l’Allemagne a imposé à l’Europe, la politique économique doit être relativement neutre. Elle ne doit pas perturber le fonctionnement des marchés, qui livrés à eux-mêmes, retrouvent automatiquement l’équilibre. La stratégie mise en œuvre comporte alors trois volets : l’austérité budgétaire, par le retour à l’équilibre des finances publiques pour ne pas soutenir artificiellement l’activité ; l’austérité salariale, pour les pays où la rentabilité des entreprises ou la compétitivité se sont dégradées, celle-ci pouvant être accompagnée de réformes fiscales comme la baisse des cotisations employeurs financées par la TVA et la baisse des dépenses publiques ; enfin, des réformes structurelles, pour déréguler les marchés des biens, des capitaux et du travail. De ce point de vue, il est nécessaire soit que les salariés acceptent d’eux-mêmes des baisses de salaires, soit qu’ils y soient forcés par un haut niveau de chômage qui affaiblit leur position dans les négociations salariales individuelles ou collectives. Après la crise financière, l’Allemagne et les institutions européennes se sont donc refusées à mettre en place une stratégie coordonnée de soutien à l’activité et à la résorption des déséquilibres en Europe, qui aurait contrarié le jeu des marchés. 

Depuis quelques semaines, l'Allemagne, notamment son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, est devenue très critique à l'égard de la politique monétaire menée par la BCE, qu'elle juge inflationniste. La faiblesse des salaires donne-t-elle raison à l'institution francfortoise et son président Mario Draghi ?

Une politique économique expansionniste, que ce soit une politique budgétaire ou monétaire, a un effet inflationniste quand l’économie est proche du plein-emploi des hommes et des machines ; et un effet expansionniste quand l’économie est en situation dépressive. Actuellement, le taux d’inflation est très faible dans la zone euro (0% en mars 2016, 1% en inflation sous-jacente) ; aucun pays n’a une inflation supérieure à 1,5 % ; l’Espagne, la Grèce, l’Irlande ont des inflations nettement négatives. Les taux d’intérêt de long terme sont très faibles (de l’ordre de 0,5% à 10 ans), ce qui prouve que les marchés anticipent une faible inflation et une faible croissance. Les craintes de l’Allemagne n’ont donc aucun fondement, ni théoriques, ni empiriques. Le problème est plutôt que la BCE est allée au maximum de ce qu’elle pouvait faire : taux de refinancement à zéro, guichet de refinancement ouvert, etc. Il faudrait que les politiques budgétaires et salariales prennent le relais et que l’Europe organise et finance un vaste programme d’investissement tourné vers la transition écologique.

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