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Inceste et agressions sexuelles : pour comprendre pourquoi les victimes attendent parfois si longtemps pour dénoncer les faits
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La loi du silence

Une enquête réalisée à la demande de l'AIVI (Association Internationale des Victimes de l'Inceste) a montré qu'en moyenne, les victimes d'inceste attendent 16 ans avant de pouvoir révéler pour la première fois les violences sexuelles qu'elles ont subies, et que 22% d'entre elles le font plus de 25 ans après les faits.

Gérard  Lopez

Gérard Lopez

Gérard Lopez est président fondateur de l'Institut de victimologie de Paris

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Atlantico : A partir de quand peut-on parler de crime incestueux ?

Gérard  Lopez : L'inceste est défini depuis 2009 dans le code pénal comme "toute atteinte sexuelle commis sur un mineur par son ascendant, son oncle ou sa tante, son frère ou sa sœur, sa nièce ou son neveu, le conjoint ou le concubin de ces derniers", ainsi que "le partenaire lié par un Pacs avec l'une de ces personnes".

Avant que l’inceste ne soit reconnu pour la seconde fois, l'inceste était également définit comme un acte sexuel commis par "ascendant légitime ou une personne ayant autorité", c'est-à-dire les prêtres, les médecins ou les professeurs. 

Combien d'années en moyenne les victimes d'inceste mettent-elles pour parler de leur agression ?

Une enquête réalisée à la demande de l'AIVI (Association Internationale des Victimes de l'Inceste) a montré qu'en moyenne, les victimes d'inceste attendent 16 ans avant de pouvoir révéler pour la première fois les violences sexuelles qu'elles ont subies, et que 22% d'entre elles le font plus de 25 ans après les faits.

Et il ne s'agit que d'une moyenne. Au cours de mon expérience professionnelle, la confession la plus tardive d'un de mes patients était datée de 50 ans.

Pourquoi les victimes d'inceste mettent-elles autant de temps à en parler, laissant ainsi à l'agresseur la possibilité de continuer de nuire ?

Il y a de multiples facteurs qui peuvent expliquer que les victimes d'inceste mettent autant de temps à parler de leur agression :

- Il y a la honte ;

- le conflit de loyauté avec le violeur (il est beaucoup plus difficile de dénoncer un proche qu'un inconnu) ;

- la culpabilité (un enfant a toujours tendance à penser que quand quelque chose ne va pas dans sa famille, c'est de sa faute) ;

- la manipulation des agresseurs, qui finissent par réussir à faire croire à leur victime que leurs actes de viols sont tout à fait normaux (J'ai par exemple reçu de nombreuses jeunes filles dans mon cabinet qui me racontaient sans ciller la grande histoire d'amour totalement consentie qu'elles entretenaient avec leur oncle) ;

- la peur de ne pas être cru, et ce d'autant plus que la société actuelle incite plus à penser que les enfants mentent lorsqu'ils parlent de ce genre de crime, comme on le voit dans le film "La chasse" par exemple de Thomas Vinterberg ou encore comme le démontre le procès de l'affaire d'Outreau, où il a été beaucoup mis en avant et fort justement par les médias que des personnes avaient été accusées à tort, tandis que personne n'a retenu que les 12 enfants du procès ont tous été reconnus victimes de viol, agression sexuelle, acte de proxénétisme aux yeux de la justice ;

- le « refoulement », c'est-à-dire le fait que pour protéger le fonctionnement psychologique des victimes, la mémoire range cet évènement traumatisant dans un coin du cerveau et fait en sorte que le patient n'y pense pas tous les jours, même s'il ne l'oublie pas.

Quels peuvent être les facteurs déclencheurs qui poussent les victimes d'inceste à parler de leur agression ?

Ce sont la plupart du temps des évènements liés de près ou de loin à la sexualité, comme une grossesse par exemple, le début d'une relation amoureuses ou des premiers rapports sexuels.

Cela peut être aussi un mal-être physique ou psychologique qui se déclenche et qui, suite aux soins, finit par libérer la parole. Il faut savoir que pendant toutes ces années de mutisme, les victimes d'inceste ne vont pas vivre mais survivre, en se mettant en danger physiquement et psychiquement. Les victimes d'incestes sont, dans leur vie, 2,4 fois plus nombreuses que les autres à tomber dans le tabagisme, 3 fois plus nombreuses à contracter un cancer, 4 fois plus nombreuses à sombrer dans la dépression et surtout 12 fois plus nombreuses à faire une tentative de suicide.

C'est pourquoi il est vivement encouragé à tous les médecins, notamment les médecins généralistes, de poser tout simplement la question lorsqu'ils sentent qu'un de leurs patients se met à dysfonctionner. Beaucoup ne le font pas encore aujourd'hui, car ils ne sauraient pas quoi faire de la réponse. Mais cet acte peut faire gagner un temps de soin considérable : environ 30% des personnes souffrantes à qui l'on pose la question directement répondent positivement.

Le témoignage d'une victime d'inceste peut-il en entrainer d'autres ?

Bien sûr.

Par exemple, lorsqu'une émission traitant de crimes incestueux passe à la télévision, les associations sont débordées d'appels. Les victimes prennent en effet conscience qu'elles ne sont pas seules, et qu'il y a des structures pour les aider.

L'inceste est-il un crime pour lequel il peut avoir prescription ?

Oui.

La prescription du crime de l'inceste est de 20 ans après la majorité. La victime a donc jusqu'à 38 ans pour porter plainte.

Mais je pense, ainsi que beaucoup d'associations luttant dans ce sens, que ce crime devrait être imprescriptible, au vu du temps que met la parole à se libérer chez les victimes d'inceste, mais aussi parce qu’il s’agit d’un crime généalogique à mes yeux équivalent à un crime contre l’humanité.

En France, il y a en moyenne 100 000 viols par an, et seulement 10 000 victimes qui décident de porter plainte.

Quelle peine les responsables de crimes incestueux encourent-ils ?

Environ 12 ans d'emprisonnement en moyenne.

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