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Comment le fait de se sentir coupable est devenu synonyme de "névrose"
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Bonnes feuilles

Assumer les sources religieuses de la responsabilité, éclaircir les polémiques contemporaines sur l'amour et le mariage, sur l'écologie, l'éducation, comprendre les insuffisances idéologiques actuelles pour retrouver le sens du pardon, la noblesse perdue du respect et de la dignité, telles sont les pistes proposées par André Guigot, pour qui l'espoir renaîtra par l'esprit de responsabilité. Extrait de "Pour en finir avec l'irresponsabilité" d'André Guigot, aux éditions Desclée de Brouwer 2/2

André Guigot

André Guigot

André Guigot est professeur à Nantes et essayiste. Il est l'auteur du très remarqué Pour en finir avec le « bonheur », mais aussi de Qui pense quoi ? (Bayard), Sartre, liberté et histoire(Vrin) et du Petit dictionnaire de l'amour (Milan). Il anime de nombreux débats et conférences. Ses travaux portent sur la philosophie contemporaine, le renouveau du spiritualisme et les exigences d'une éthique propre à notre temps.

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La culpabilité de bonne ou de mauvaise foi

La culpabilité doit être revalorisée. Se sentir coupable est devenu synonyme de «névrosé». Par un retournement de sens consécutif à la sous-culture d’une psychanalyse mal digérée, les médias éclairés par l’armée mexicaine des chercheurs en «sciences sociales» excusent les violences urbaines par des explications sociales en vantant les mérites des revendications culturelles identitaires pourvu qu’elles soient immigrées, et ricanent de l’amour au nom de la «sexualité décomplexée». Confronté au constat accablant d’une société avide d’un bonheur matériel fondé sur la réussite économique, le pouvoir médiatique, les classes dirigeantes et nombre de professeurs optent pour une culpabilité de mauvaise foi consistant à s’autoflageller en essentialisant les délinquants, histoire de leur ôter suffisamment d’autonomie pour transférer leur responsabilité au déterminisme social. Si l’idéologie de la conso-performance se marie très bien avec la culture de l’excuse et de l’irresponsabilité, c’est qu’elle y trouve son compte. L’une des contradictions de l’idéologie laxiste réside dans le refus d’aborder la question sécuritaire autrement qu’au cas par cas au nom du refus (en lui-même justifié) des amalgames, puis à opter pour la justification collective déterministe lorsqu’il s’agit de trouver des excuses à la violence.

La culpabilité peut être de mauvaise foi. L’impatience à se sentir coupable est un mauvais symptôme pour la responsabilité. Qu’y a-t-il derrière cette impatience, si ce n’est l’évitement de la tâche d’exister elle-même? Le mensonge est un refus de la vérité, la mauvaise foi est un refus de la liberté, et donc de la responsabilité qu’elle engage. Plus l’auteur du mal est conscient du caractère fini et contingent de son existence, plus la mauvaise foi apparaît comme un choix possible. C’est dans le cadre de ce «savoir» que l’impatience à se sentir coupable peut se glisser, puis s’exprimer. Cas particulier et conduite exemplaire, l’impatience est à la fois surjouée et recherchée pour elle-même. Le gain de cette responsabilité inauthentique dont l’impatience à se sentir et à se dire coupable concerne l’absence de distance, et donc une proximité avec le monde qui cesse magiquement d’être un environnement dans lequel se réinventer. Les jeux sont faits : le monde devient un prolongement pâteux affligé de soi-même, il suffit alors de mimer la tristesse de la victime dans une empathie reversée, mais dont les effets visibles trompent malheureusement tout le monde. C’est que le coupable pressé semble bien souffrir. Il faut que la douleur soit jouée. Tout son contenu réside dans son expression et dans la reconnaissance visée. D’où l’excès, les larmes un peu trop faciles, la compassion un peu trop vite exprimée aux victimes, d’où ce trop-plein de sens projeté à la face du monde. C’est pourquoi la pudeur est l’ennemie du coupable de mauvaise foi. On mesure mal les effets désastreux de cette responsabilité inauthentique, tant elle est préconisée comme stratégie judiciaire par les avocats, certes, mais aussi par les jurys, le public venu assister au spectacle douteux de la contrition. L’empathie n’est pas un droit, et l’absolution qui s’y gagne transparaît dans l’impatience à être jugé. Un « bon coupable» reconnaît à haute voix sa culpabilité, peu importe qu’il ressente effectivement sa responsabilité. Les victimes ayant autre chose à faire que d’être attentives à la sincérité des personnes jugées, il appartient à tous les autres d’exiger autre chose qu’une théâtralisation de la culpabilité.

Cette attention relève alors d’une autre responsabilité, à la fois philosophique et médiatique, et s’apparente très simplement au refus de toute complaisance.

Extrait de Pour en finir avec l'irresponsabilité d'André Guigot, publié aux éditions Desclée de Brouwer, 11 mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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