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Pourquoi les pauvres payent (presque tout) plus cher que les riches
©Flickr

Ça s’appelle l'avoir dans l'os

Être pauvre, c'est certainement disposer d'aides sociales, mais c'est aussi payer beaucoup de produits de consommation courante plus cher que les autres. A en croire différentes études, dont la dernière a été menée par l'université du Michigan, la double-peine existe bel et bien.

Nathalie  Cariou

Nathalie Cariou

Nathalie Cariou est consultante en intelligence financière. Elle accompagne les particuliers et les professionnels dans leur relation à l’argent et sur le chemin de leur indépendance, financière ou professionnelle. Elle est l’auteur de deux livres : Prenez la responsabilité de vos finances et Oser devenir riche, aux Editions Jouvence, et depuis 2009, elle dirige la société qu’elle a créée : les Clefs de la Réussite.
Conceptrice d’un programme en ligne pour apprendre la liberté financière
et organisatrice des Rendez-vous de l’indépendance financière , elle intervient régulièrement en conférences et dans les média en tant que coach financier. Vous pouvez retrouver ses tribunes sur l’argent et la liberté financière sur son site : www.clefsdelareussite.fr

 

 

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Atlantico : D'après une étude menée par l'université du Michigan et relayée par le Washington Post (voir ici), les foyers les plus modestes paieraient plus cher que les plus aisés la plupart des produits de consommation courante. Comment peut-on expliquer un tel décalage ? Quelles habitudes de consommation sont notamment en cause ?

Nathalie Cariou : Il existe trois stratégies qui permettent de faire des économies sur les produits de consommation courantes : acheter en grande quantité, acheter au moment des promotions (autrement dit, anticiper sur sa consommation future) ou choisir un magasin moins cher. Et les plus modestes sont souvent désavantagés dans chacune de ces stratégies : acheter en grande quantité suppose d’immobiliser une quantité d’argent plus importante… qu’ils n’ont pas à disposition une fois payé leur loyer, assurance, téléphone et autres charges courantes.

En payant leurs dépenses au compte-goutte, souvent dans des magasins de quartier, les foyers modestes payent donc d’autant plus chers leurs achats courants. Anticiper – donc acheter au bon moment, quand les prix sont au plus bas – est impossible quand ce moment se situe entre le 20 et le 30 du mois, moment où certains sont déjà à découvert et doivent limiter leurs dépenses au maximum.

Quant à choisir son magasin, il suppose d’avoir une voiture en état de marche, et de ne pas regarder sur les frais de carburant pour aller faire quelques kilomètres supplémentaires. Ce qui n’est pas toujours possible pour les familles modestes – qui n’ont pas toutes, on l’oublie parfois, une voiture à disposition !

Les économies sur les achats de consommation courante que l’on peut acheter en avance ou en gros – surtout les biens non périssables comme les produits d’entretien, le sucre, le sel, les pâtes, etc. sont donc limités pour les personnes qui en ont le plus besoin.

L'étude se fonde, notamment, sur des biens de consommation particulièrement courants. Sont-ils les seuls concernés ? Quels autres postes de consommation sont régis par les mêmes mécaniques ?

Mais les biens de consommation courantes ne sont pas les seuls biens pour lesquels les "pauvres" payent plus cher que les "riches" : nous savons tous que les petites surfaces sont plus chères au mètre-carré (que ce soit à l’achat ou à la location) que les grands appartements. Des études ont montré que les devis d’assurances, voiture ou habitation, étaient systématiquement supérieurs pour les chômeurs.

La partie abonnement, fixe quelle que soit sa consommation, des contrats de téléphone, d’électricité ou de gaz annule tous les efforts que pourraient faire les plus modestes pour réduire leur consommation : qu’ils se chauffent ou pas, ils paieront toujours une partie fixe très significative.

La part non remboursable des consultations médicales ou des médicaments est peu significative pour les familles aisées, surtout quand elles ont souscrit à une "bonne" mutuelle santé. Mais elle peut être douloureuse pour les familles modestes. Dont le taux de couverture par les mutuelles santé est bien inférieur. Jusqu’à leur faire reporter certains soins de santé qu’ils n’ont plus les moyens de "s’offrir". Sans parler des agios sur découvert ou rejet de chèques impayés qui augmentent considérablement pour eux la facture des frais bancaires.

Dans quelle mesure ce constat contribue-t-il à renforcer les inégalités grandissantes dans une majorité des pays du monde ? Quelles sont les mécaniques les plus subtiles (et par conséquent les plus dangereuses) de la paupérisation et de l'accroissement des inégalités ?

Les limites sur le pouvoir d’achat, l’impression, même diffuse, de payer plus cher pour la vie quotidienne ne peuvent à terme que renforcer le sentiment d’injustice des populations les plus modestes. Qui non contentes de payer le prix fort, sont également perçues par le reste de la population comme les destinataires de "tous" les privilèges : parce qu’un ensemble d’aides leur sont destinées pour essayer de contrer maladroitement les surcoûts auxquels elles sont soumises, les populations modestes se retrouvent stimatisées par ceux qui ont l’impression de "toujours payer" parce que moins pauvres – ou carrément riches ! Ce qui, bien sûr, ne facilitera en aucune façon le dialogue social !

Le paradoxe, c’est que les aides destinées aux familles modestes pèsent lourd sur le budget de la nation, sans qu’au final cela change grand-chose au problème. Un exemple : celui de l’APL (l’aide personnalisée au logement), en principe destiné à aider les plus démunis dans leur recherche d’un logement décent.

L’APL coûte cher à l’état. Mais des études ont montré que sur chaque euro investi, seuls 4% bénéficient finalement au destinataire de l’APL. Le reste se répercute mécaniquement dans l’augmentation des prix des loyers … puisque le locataire "gagne" de l’argent avec l’APL, certains propriétaires n’hésiteront pas en effet à augmenter les loyers en conséquence.

De quelles armes dispose-t-on aujourd'hui pour éviter la propagation de tels comportements et permettre à des gens moins fortunés de réaliser des économies ?

Comment régler le problème de la paupérisation des populations ? Les pistes ne sont pas simples à mettre en œuvre.

Il semble évident aujourd’hui que la solution n’est pas dans une redistribution de toujours plus d’argent, qui bénéficient très peu aux populations les plus modestes et les enferment dans la pauvreté à cause des effets de seuils ou de la stigmatisation. L’idée de "boucliers" énergétique ou social a été soulevée par Martin Hirsch, un temps président d’Emmaus France puis haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, et me semble constituer une piste intéressante pour compenser les effets pervers des abonnements : l’énergie ou les soins ne pourraient pas représenter plus qu’un certain pourcentage du budget des ménages.

Mais nous pourrions également réfléchir à la meilleure manière d’inciter les entreprises à commercialiser des produits peu chers (lunettes ou couches par exemple, ou même voiture), réservés aux familles les plus modestes.

Ils ne seraient pas différents des produits vendus au plus grand nombre (pour éviter la stigmatisation) ; juste commercialisés à un prix différent. Et ne coûteraient pas un sou de plus à l’Etat puisqu’en grande partie pris en charge par des entreprises bien contentes d’augmenter leur part de marché.

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