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Abstention massive, mauvais reports entre alliés et victoire de la gauche : les leçons de la législative partielle de Loire-Atlantique
©Reuters

Le PS conserve son siège...

C’est une nouvelle fois d’abord le niveau extrêmement élevé de l’abstention qui a marqué ce scrutin. Au premier tour, l’abstention atteint ainsi 74,5%, soit un niveau très impressionnant mais similaire avec celui observé lors des dernières élections législatives partielles.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Alors que les électeurs de la 3ème circonscription législative de Loire-Atlantique étaient appelés à désigner leur nouveau représentant les dimanches 17 et 24 avril, en raison du retour de Jean-Marc Ayrault au gouvernement, force est de constater que, dans ce territoire ancré à gauche depuis des décennies, c’est une nouvelle fois d’abord le niveau extrêmement élevé de l’abstention qui a marqué ce scrutin. Au premier tour, l’abstention atteint ainsi 74,5%, soit un niveau très impressionnant mais similaire avec celui observé lors des dernières élections législatives partielles.

Lors de la série des trois élections partielles de mars 2016, elle était en effet de 78,3% dans la 10ème circonscription du Nord, de 70,7% dans la très droitière 2ème circonscription des Yvelines et de 66% dans la 2ème circonscription de l’Aisne.

1. Une abstention massive qui touche quasiment tous les partis…

Cette abstention massive a concerné les principaux électorats. Ainsi, le Parti Socialiste, Les Républicains et le Front National subissent-ils le même sort lors du 1er tour de cette législative partielle. Alors qu’au premier tour des régionales en décembre 2015, seul le PS accusait un fort recul de mobilisation de son électorat[1], le premier tour de cette législative partielle a aussi été marquée par une nette démobilisation dans l’électorat de la droite classique et de celui du Front National. Ainsi, comme le montre le graphique suivant, le PS qui n’avait retrouvé en décembre dernier que 52% de son électorat du premier tour des législatives de 2012, n’en compte plus que 23% tandis que LR qui résistait en décembre 2015 en conservant 87% de son stock de voix de 2012 (suffrages cumulés de l’UMP et du MoDem en 2012) n’en rassemble plus au premier tour de cette législative partielle que 48%. La perspective de voir ce fief de gauche basculer ou rester aux mains du PS n’a donc pas galvanisé ces deux électorats ni dopé la participation.

Evolution du nombre de voix obtenues au premier tour par les différents partis dans la circonscription
entre les législatives de 2012, les régionales de 2015 et l’élection partielle

Pour le FN, après une hausse importante lors des derniers scrutins, la chute est plus impressionnante encore. A l’occasion du premier tour des régionales, il enregistrait une nette progression et son nombre de bulletins s’établissait à 151,6% du stock de voix qu’il avait réuni lors des législatives de 2012. Mais, au premier tour de cette partielle, il ne retrouve plus que 57% de son électorat de départ dans cette circonscription historiquement rétive au vote FN (8,4% en 2012 contre 11,3% au 1er tour de la législative partielle du 17 avril 2016, la hausse en pourcentage s’expliquant par une participation aujourd’hui bien plus faible qu’à l’époque). Cette apathie de l’électorat frontiste est loin de constituer la règle et la comparaison avec les trois autres législatives partielles de mars 2016 indique que l’électorat frontiste est capable de se mobiliser puissamment quand une perspective de victoire est plausible. Ainsi, dans l’Aisne et le Nord, où le FN s’était qualifié tour le 2nd tour, le FN a conservé respectivement 95% et 64% de son électorat de 2012. A l’inverse, dans les circonscriptions qui lui sont peu favorables, comme en Loire-Atlantique ou dans les Yvelines, où seulement 52% des électeurs de 2012 ont répondu présents en mars dernier, l’électorat du FN se mobilise mal. 



[1] Dans un contexte d’une participation légèrement plus faible lors du 1er tour des régionales en comparaison de l’élection législative de 2012.

2. … à l’exception des Verts

La démobilisation électorale assez généralisée dans cette troisième circonscription de Loire-Atlantique souffre d’une exception puisque le candidat d’EELV, Jean-François Tallio, recueille plus de suffrages qu’en 2012, ce qui entraîne une quasi-multiplication par 3 du score d’EELV en exprimés (6,2% en 2012 contre 17,1% en 2016). On peut ici parler d’un effet Notre-Dame-des-Landes, puisque cette commune, où est située la ZAD qui a suscité une intense mobilisation des opposants au projet d’aéroport, jouxte cette circonscription. On constate ainsi, comme nous l’avions déjà montré[2], que ce mouvement de mobilisation irradie sur l’ensemble de la zone et vient doper le vote écologiste qui a culminé lors de cette partielle dans les deux communes les plus proches de Notre-Dame-des-Landes avec des scores EELV qui atteignent 23,9% à Temple-de-Bretagne et 33,5% à Vigneux-de-Bretagne. Et dans ces deux communes, les Verts sont devant le PS au premier tour.

Dans ce contexte, où la gauche locale s’est profondément divisée autour de la question de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, EELV a su apparaître au niveau local comme une alternative de gauche au PS. L’annonce récente d’un référendum local à propos du projet d’aéroport mais aussi l’opposition à la loi El Khomri ont été autant d’éléments qui sont venus creuser le fossé au sein de la gauche et alimenter la fronde contre le PS au profit des Verts, alors que jusqu’à présent, ni EELV ni le Front de Gauche n’étaient parvenus à capter significativement la colère et le mécontentement s’exprimant à gauche face à la politique gouvernementale. Les opposants de gauche au PS citent régulièrement l’exemple grenoblois, où aux municipales et dans deux cantons aux départementales, une alliance rouge et verte est parvenue à damner le pion aux socialistes. Mais force est de constater que cette jurisprudence n’a fonctionné qu’à l’échelle de la capitale iséroise et que même lors de cette partielle, se déroulant dans un territoire marqué par une puissante contestation environnementale et dans un contexte national où le gouvernement a profondément choqué à gauche avec le projet de déchéance de la nationalité et la loi El Khomri, le PS est resté la force certes contestée, mais dominante à gauche.

3. Un  bastion de gauche qui résiste malgré les divisions

Cette résilience s’explique par le fait que cette circonscription fait figure de citadelle socialiste. Jean-Marc Ayrault y a été élu sans interruption depuis 1988, dont 3 fois dès le 1er tour. La gauche y domine depuis une quarantaine d’années et ses scores cumulés (PS plus autres forces de gauche) atteignaient 68,8% des suffrages exprimés lors des législatives de 2012. Ce potentiel important de voix de gauche a engendré de nombreuses candidatures (avec 6 candidats à gauche) qui ont entraîné un éparpillement des voix et un affaiblissement relatif de la gauche et principalement du PS. Alors qu’en 2012 Jean-Marc Ayrault recueillit 56,2% des suffrages (sur un total de 68,8% pour la gauche), Karine Daniel ne récolte plus que 30,4% (sur un total gauche qui s’est réduit à 59,3%). Les deux candidats d’extrême gauche qui se présentaient (contre trois en 2012) récoltent 3,7% des suffrages exprimés contre 1,5% précédemment et le candidat Nouvelle Donne obtient 3% des suffrages. Le candidat du PCF, Gilles Bontemps atteint 5% des suffrages et le candidat EELV 17,1%. Cette concurrence multiple est venue entamer la domination du PS qui a dû, de surcroît, faire face à des divisions internes. La succession de Jean-Marc Ayrault a été difficile et la candidate, Karine Daniel, qui a été désignée à l’occasion d’un vote des adhérents socialistes de la circonscription, ne l’a emporté sur son concurrent qu’avec 4 voix d’avance dans ce scrutin interne.



[2] Cf Ifop Focus n°119 « Contestations environnementales locales et vote écologiste » - Novembre 2014

L’analyse de cette circonscription est intéressante, pas uniquement car il s’agit d’un fief historique du PS (et que l’on peut donc y évaluer la capacité de résistance du PS dans son cœur électoral pour les prochaines échéances) mais aussi dans la mesure où elle concentre les lignes de fractures parcourant la gauche. Le projet d’aéroport de Notre-Dames-des-Landes est évidemment au cœur des désaccords locaux entre le PS et le PCF qui y sont favorables alors que les Verts s’y opposent très fortement. Mais le contexte local et national est venu encore davantage fragmenter la gauche et ses différentes composantes. Ainsi, alors que le Front de Gauche a soutenu les opposants au projet d’aéroport, le candidat communiste local, ancien docker et ex-vice-président du conseil régional, en est un farouche partisan au nom de la défense de l’emploi. De la même façon, le candidat d’EELV s’oppose au PS sur ce projet mais est par ailleurs, maire-adjoint de Saint-Herblain, l’une des communes de la circonscription, dans une municipalité à direction socialiste. Ce candidat a de surcroît refusé d’appeler à voter pour le PS au second tour, alors que François de Rugy, député d’une circonscription voisine et figure de proue de l’écologie dans le département (mais ayant récemment quitté EELV) appelait à soutenir la candidate socialiste…


Ces tensions à gauche ont été encore avivées par le fait que cette circonscription correspond à un territoire ouvrier, celui de l’estuaire industriel de la Loire, à l’ouest de Nantes. Or, cette zone a été récemment touchée par des cas de fermetures d’activités, cas qui revêtaient une forte dimension politique. Ainsi, sur le site historique d’Arcelor-Mittal de Basse-Indre, même si l’activité de finition demeure, le laminoir a été arrêté en 2014 et cette activité a été transférée pour conforter et pérenniser le plan de charge du laminoir de l’usine Arcelor de Florange, dossier sur lequel le gouvernement socialiste s’est fortement impliqué. De la même façon, dans le cadre de la transition énergétique et des bouleversements sur le marché de l’énergie, la centrale thermique EDF de Cordemais, où travaillent 450 salariés (auxquels il faut rattacher 550 emplois indirects) devrait, quant à elle, connaître la fermeture de ses deux tranches au fioul d’ici 2018. Un vrai doute existe sur l’avenir des tranches au charbon de la centrale. EDF a annoncé de lourds investissements pour moderniser cette activité mais dans un récent courrier de réponse à une interrogation d’un parlementaire, Manuel Valls a pu laisser sous-entendre qu’il fallait envisager l’arrêt définitif de l’activité du site. Ceci a suscité un trouble profond dans la population locale, qui voyait les deux principaux piliers de l’identité industrielle et ouvrière du territoire simultanément menacés, ces inquiétudes venant se surajouter au débat sur Notre-Dame-des-Landes, opposant tenants d’une gauche productiviste et adeptes d’une gauche davantage tournée vers la préservation de l’environnement et la transition énergétique.

4. Au second tour, de mauvais reports écologistes qui n’empêchent pas le PS de l’emporter

Bien qu’affaibli, le PS, arrivé nettement en tête au 1er tour, a remporté cette élection partielle. Karine Daniel obtient 55,4% des suffrages exprimés contre 44,6% au candidat de la droite, Matthieu Annereau. Si l’on considère les résultats en exprimés, les reports de la gauche (EELV, PCF, Nouvelle Donne et extrême gauche compris) vers la candidate socialiste semblent « solides » pour reprendre le terme de Christophe Borgel, secrétaire national du PS en charge des élections, puisqu’il ne manque que 3,9 points par rapport au score du total gauche au 1er tour. Pourtant, lorsque l’on regarde en détail les reports d’un tour à l’autre, le constat est moins net. Ainsi, en classant les communes de la circonscription en 3 groupes en fonction du score d’EELV au 1er tour, on remarque une très nette corrélation entre les pertes à gauche entre les deux tours et le niveau atteint par EELV au premier tour. La moyenne des pertes pour les trois communes affichant des scores EELV situés entre 14 et 15% est de 2,2 points, elle passe à 5 points pour les trois communes où EELV réunissait entre 18 et 19% des suffrages et atteint 12 points pour les deux communes à plus de 23,9% que sont Temple-de-Bretagne et Vigneux-de-Bretagne. Dans ces deux dernières communes, les deux plus proches de Notre-Dame-des-Landes, les pertes sont telles que le PS est largement devancé par la droite avec seulement 39,5% des suffrages alors que le total gauche était de 51,5% au 1er tour.

Pour tenter d’évaluer le poids de ces déperditions à gauche et notamment celles des électeurs EELV, dont le candidat a refusé d’appeler à voter PS au 2nd tour, il est nécessaire de comparer les effectifs électoraux du 1er et du 2nd tour en nombre de voix. La candidate PS recueille 11 142 voix au 2nd tour, soit 1 666 voix de moins que l’ensemble de la gauche au 1er tour : ce déficit représente 13% des voix de gauche du 1er tour (et 26,7% des voix de gauche hors PS). Ces électeurs de gauche ne se sont ni dirigés vers la droite (ou alors de façon résiduelle) ni vers l’abstention qui diminue de 0,3 point entre les deux tours mais bien vers le vote blanc et nul dont le nombre augmente de 1 764 unités, passant de 964 au 1er tour à 2 728 au 2nd. En reprenant le classement des communes en fonction du score EELV au 1er tour, il apparaît assez clairement que ce sont ces mêmes électeurs EELV qui se sont massivement portés sur le vote blanc et nul. Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, dans la catégorie des communes où le vote EELV se situait entre 14 à 15%, le nombre de bulletins blancs a été multiplié par 2,4, tandis que pour les communes avec un score d’EELV entre 18 et 19%  au 1er tour, le coefficient multiplicateur est de 3,5, et que dans les deux communes où le vote EELV était le plus élevé, le nombre de bulletins blancs et nuls a été multiplié par 4,8. 


Une hausse des bulletins blancs et nuls entre les deux tours proportionnellement bien
plus importantes dans les bastions écologistes

Il est donc assez net que ce sont principalement les votes EELV qui ont manqué à la candidate socialiste entre ces deux tours. Alors que ces voix manquantes pèsent l’équivalent de 45% des votes EELV du 1er tour sur l’ensemble de la circonscription, elles représentent 57% des votes EELV dans les deux communes les plus proches de Notre-Dame-des-Landes où EELV réalisait ses meilleurs scores. Il semble donc que ce soit environ 1 électeur EELV sur 2 qui ait décidé de voter blanc ou nul plutôt que d’apporter son soutien au PS local.

Malgré ces déperditions importantes, cette circonscription, puissamment ancrée à gauche, a résisté à la conjoncture politique nationale défavorable au PS. Mais l’avance du Parti Socialiste s’est dangereusement réduite, ce qui laisse présager de douloureuses élections législatives 2017 pour les députés socialistes sortants. Le graphique suivant indique en effet que le score atteint par le PS au premier tour dans cette circonscription est proche de l’étiage de 1993, scrutin qui avait abouti à une véritable hécatombe dans les rangs socialistes.

Le niveau du PS et de l’ensemble de la gauche au premier tour des législatives depuis 1988
dans la 3ème circonscription de Loire-Atlantique

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