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Changer les institutions : la promesse électorale qui monte, mais pour quel résultat dans les urnes en 2017 ?
©Reuters

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Ce lundi 2 mai, Nathalie Kosciusko-Morizet a fait savoir qu'elle était favorable à la suppression du poste de Premier ministre. L'idée, loin d'être nouvelle, avait été avancée par Claude Bartolone en 2014 et constitue un serpent de mer des propositions de réformes institutionnelles de la Ve République. Faire campagne sur ce genre de projets n'en est pas moins une mauvaise idée.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire de la droite et du centre, s'est prononcée en faveur de la suppression du poste de Premier ministre dans le cadre d'une rénovation institutionnelle en France. Peut-on mener une campagne sur ce genre de thèmes et espérer conquérir l'électorat ? Quels sont les risques d'une telle stratégie ?

Jean Petaux : Tout dépend de quelle campagne on parle. S’il s’agit de la campagne électorale présidentielle, ce type de question institutionnelle, parfaitement hermétique à l’entendement des électeurs, n’a absolument aucun intérêt et aucun impact. C’est même plutôt contre-intuitif puisque la réaction de la grande majorité de l’électorat préoccupée par les questions du chômage, de l’immigration, de la sécurité risque d’être tout simplement : "Comme s’il n’y avait pas plus urgent !..." ou "Pendant qu’on discute de l’avenir du Premier ministre, on ne fait pas autre chose !.. ". Pourront être éventuellement séduits par une telle proposition celles et ceux qui s’imaginent que supprimer la fonction de Premier ministre génèrera des économies pour l’Etat. C’est aussi idiot que croire que la limitation du nombre des députés ou des sénateurs entraînerait une grande économie dans le budget de la France.

En fait, NKM avec cette proposition (qui n’est pas nouvelle d’ailleurs puisque Claude Bartolone a été le dernier à la faire dans un livre publié en 2014) est dans une autre campagne. Celle des parrainages pour pouvoir s’aligner sur la ligne de départ de la primaires de la droite. Sa priorité est d’une part d’exister et d’autre part de se différencier par rapport à ses "amis" et concurrents : plus les médias parlent d’elle et de certaines de ses propositions un peu iconoclastes, mieux elle se porte. Pour l’instant, elle ne cherche pas à conquérir un électorat, ni celui de la primaire ni celui de la présidentielle, a fortiori, elle cherche à obtenir les signatures d’éventuels parrains. Ceux-là, députés, sénateurs, cadres de LR doivent être séduits, intéressés, motivés par une candidate qui "ose" (un tout petit peu…). Elle n’a rien à perdre à tenter de surfer sur une vague modestement "transgressive" auprès de cette population-là.

Plusieurs personnalités politiques ont déjà fait connaître leur volonté de changement, certains prônant une VIe République, d'autres restant plus optimistes quant à l'avenir de la Ve. Leurs positions ont généralement un retentissement médiatique important, mais dans quelle mesure se concrétisent-t-elles dans les urnes ? Faut-il y voir une déconnexion de plus entre le microcosme parisien et le reste de la société ?

Ce débat politico-institutionnel a, incontestablement, une dimension "microcosmique" qui lui confère un aspect "débat entre experts" ou "entre politiques" quand ce n’est pas un mélange des deux. Les tenants de la VIe République sont souvent des universitaires qui se pensent et se représentent comme les "intellectuels organiques" d’une gauche vertueuse et fantasmatique, rêvée en somme, qui engendrerait un "nouveau régime". Pour eux, désormais, depuis 18 mois, la figure d’Iglesias le lider maximo de Podemos est icônique. Mais ils existent depuis plus de 15 ans. Politiquement, certains, encartés au PS dans les années 1990, ont été proches de Montebourg et Peillon (quand ces deux-là se parlaient) et comptaient mettre à profit leur long séjour dans l’opposition (ils ont surtout développé leurs idées après le 21 avril 2002) pour s’engager dans cette voie d’une nouvelle Constitution. Certains de ces universitaires ont rejoint Jean-Luc Mélenchon hier et regardent avec les yeux de Chimène les séquences de psychanalyse collective nommées "Nuits debout" aujourd’hui. Le retentissement médiatique que recueillent ces propositions de changement de régime et de nouvelle Constitution tient au fait que les médias s’intéressent toujours en priorité aux "évêques qui mordent les chiens" qu’à l’inverse. Autrement dit, la parole des minoritaires est toujours plus valorisée que celle des légitimistes. La meilleure preuve que cette histoire de VIe République est une galéjade, c’est que toutes celles et tous ceux qui, à un moment ou à un autre, l’ont proposée à un moment ou à un autre de leur vie politique, se sont présentés ultérieurement (et s’y représentent d’ailleurs encore, tel Mélenchon) à la présidentielle, entérinant et validant ainsi les institutions de la Ve ! Depuis François Mitterrand, procureur implacable des institutions de la Ve République dans Le coup d’Etat permanent (1964) et candidat unique de la gauche à la première élection présidentielle au suffrage universel de novembre-décembre 1965 pour finir par être le président qui aura été le plus longtemps à l’Elysée (14 ans) et dont le record ne sera jamais battu (du fait de la réforme constitutionnelle de 2008), nul n’ignore désormais que les plus grands contempteurs d’aujourd’hui sont les plus furieux zélotes de demain, en matière de "Cinquième".

La Ve République est le régime politique en place depuis 1958. Quand bien même les candidats n'ont guère d'intérêt à faire campagne sur ces aspects, notre modèle politique mérite-t-il quelques aménagements ? Lesquels ?

Je ne suis ni en charge de rédiger un programme politique, ni affecté à l’amélioration du fonctionnement constitutionnel. Je laisse donc à ceux dont c’est le métier (ou à ceux qui ne manquent pas d’idées) le soin de proposer les remèdes nécessaires (et encore faut-il s’entendre sur leur nécessité). Ce que je peux préciser néanmoins, c’est qu’en 1958 le comité constitutionnel en charge de l’écriture de la nouvelle Constitution, et dont Michel Debré, Garde des Sceaux du général de Gaulle était la "plume" (rappelons-le quand même, dernier président du Conseil de la IVème République), a longuement débattu de la question du maintien ou non de la fonction de Premier ministre dans le mécanisme institutionnel. Comme tous les partis politiques (à l’exception du PCF) et la quasi-totalité des personnalités politiques de la IVe République (hormis Mendes-France, Mitterrand et Savary) étaient impliqués et parties à la rédaction de la nouvelle Constitution qui a été promulguée le 4 octobre 1958, tous (ou presque) étaient favorables au maintien de ce qui fut le président du Conseil sous la IIIe et la IVe République. Il s’agissait alors de régimes parlementaires d’où toute la légitimité provenait de la Chambre des Députés (du législatif) qui faisait et défaisait les gouvernements entre 1875 et 1958 (21 gouvernements différents entre 1946 et 1958). Le général de Gaulle ayant dit tout le mal qu’il pensait de ce "régime des partis" (dès son fameux discours de Bayeux, le 16 juin 1946), il avait plus qu’envie de "couper la tête" au président du Conseil compte tenu de son projet de mise en place d’un régime présidentiel, après son retour aux affaires consécutivement à la crise du 13 mai 1958. Mais il dut négocier et concéder aux caciques de la IVe (les Mollet, Pinay, Pleven, Sudreau, Bouloche, Faure - Edgar et Maurice -) un régime "semi-présidentiel" donnant au président de la République (PR) des pouvoirs inégalés depuis 1848 mais maintenant le Premier ministre (PM) dans un rôle de "gouvernant" et de "coordonnateur de l’Administration française". Le fait même que l’appellation ait changé, qu’il n’y ait plus qu’un seul "président" (celui de la République et non plus du Conseil), que le Premier ministre soit en fait le "premier des ministres" : tout montrait, dès 1958, le primat de l’Elysée sur Matignon. Depuis la réforme constitutionnelle d’octobre 1962 accordant au PR une "super-légitimité" issue du suffrage universel, le PM (hors période de cohabitation) n’est que le "second" du PR. Nicolas Sarkozy le désigna même comme son "collaborateur". François Fillon apprécia peu l’appellation d’origine présidentielle (AOP) mais le label était particulièrement juste. Cette "soumission" n’était d’ailleurs ni nouvelle ni originale : Chirac claqua la porte de Matignon fin août 1976 en reprochant au président Giscard d’Estaing de le traiter moins bien que son "prof de sport".

Si le Premier ministre devait être supprimé en France, cela signifierait qu’un nouveau régime constitutionnel serait clairement mis en place. Ce serait un régime présidentiel de strict observance. Mais cela n’irait pas sans compensation du côté du Parlement. De la même manière, aux Etats-Unis, alors que le président Obama n’a pas de Premier ministre (le Secrétaire d’Etat John Kerry est seulement ministre des Affaires étrangères), il n’a pas non plus l’article "nucléaire" à sa disposition que constitue le "droit de dissolution" de l’Assemblée nationale en France. Si le Premier ministre disparaissait des radars institutionnels, on voit mal comment le Président pourrait conserver le pouvoir de renvoyer les députés devant leurs électeurs par la seule "magie" de l’article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Finalement, est-il judicieux et opportun de modifier la Constitution du 4 octobre 1958 ? La réponse la plus sage est sans doute la réponse négative. Ou alors à revenir sur un certain nombre d’errements et de changements qui ont profondément dénaturé la volonté initiale des constituants tels que le passage du "septennat" au "quinquennat" ou l’alignement de l’élection législative sur la présidentielle.

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