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Jean-Marie Le Pen sans le FN devant la statue de Jeanne d’Arc pour le 1er mai : retour à la case départ pour l’extrême-droite française
©Reuters

Au secours ?

Ce 1er mai, Jean-Marie Le Pen défilera seul devant la statue de Jeanne d'Arc tandis que sa fille a renoncé à cette démonstration de force. Le signe d'une rupture consommée. Désormais exclue du discours frontiste de Marine Le Pen, l'extrême-droite française se retrouve à nouveau orpheline.

Bruno Larebière

Bruno Larebière

Journaliste indépendant, spécialisé dans l’étude des droites françaises, Bruno Larebière a été durant dix ans rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Jean-Paul II (éd. Chronique, 1998) et De Gaulle (éd. Chronique).

Il prépare actuellement un ouvrage sur Les Droites françaises vues de droite (parution 2017).

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Atlantico : Le 1er mai 2016 confirmera la rupture père-fille au sein du Front national amorcée il y a un an. Jean-Marie Le Pen sera cette année seul devant la statue de Jeanne d'Arc aux Tuileries, quand Marine Le Pen rassemblera son parti autour d'un banquet. Jean-Marie Le Pen ne reprend-il pas la place qu'il occupait il y a 44 ans, lorsqu'il a fondé le Front national en fédérant une poignée de nationalistes d'extrême droite ?

Bruno Larebière :Votre question amène plusieurs précisions liminaires.

La rupture entre Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen s’est amorcée depuis bien plus longtemps que cela, dès après la présidentielle de 2002, lorsque Marine Le Pen a compris que les propos de Jean-Marie Le Pen – ses "petites phrases", dont elle ne partageait d’ailleurs ni la forme, ni le fond –, obéraient tout espoir d’accéder au pouvoir. Dès cette époque, la rupture était amorcée et il suffit de se souvenir des bouderies de Marine Le Pen, partant s’isoler à La Trinité-sur-Mer et le faisant savoir, après une énième saillie de Jean-Marie Le Pen, ou de ses diverses tentatives, tout au long des années 2000, pour monter des structures parallèles au Front national et visant à le contourner.

Dès cette époque, les rapports père-fille s’en sont trouvé altérés et c’est donc bien en toute connaissance de cause, même s’il n’en a pas mesuré toutes les conséquences, que Jean-Marie Le Pen a favorisé l’accession de sa fille à la présidence du Front national. 

D’autre part, Jean-Marie Le Pen n’a pas fondé le Front national. On peut dire tout au plus qu’il l’a cofondé. Comme le rappelle très justement Grégoire Kauffmann dans la dernière livraison de la revue Pouvoirs, dans sa contribution consacrée aux origines du FN, ce sont les dirigeants d’Ordre nouveau qui, ayant décidé, en 1972, de la nécessité stratégique de fonder un outil électoral qui porterait le nom de Front national, se mirent en quête d’une personnalité capable de l’incarner et portèrent leur choix sur Jean-Marie Le Pen, jugé respectable et, ce qui était encore plus important à leurs yeux, manipulable. A la constitution du FN, Jean-Marie Le Pen est vu par ceux qui le portent à la présidence comme une potiche !

Le défilé du 1er mai, associant Fête du Travail et Fête de Jeanne d’Arc, est de création récente dans l’histoire du Front national, puisqu’il date de 1988. Ce premier défilé eut lieu entre les deux tours de l’élection présidentielle, après que Jean-Marie Le Pen avait obtenu 14,38 % des voix et recueilli 4 376 000 voix. Il y eut ce jour-là un monde considérable, de plusieurs dizaines de milliers de personnes, affluence que l’on retrouvera entre les deux tours de la présidentielle de 2002. Jusqu’alors, le Front national célébrait Jeanne d’Arc beaucoup plus discrètement, le deuxième dimanche de mai, au jour de sa fête officielle instaurée par une loi de 1920, ce qu’ont toujours continué de faire des mouvements classés à l’extrême droite.

Ce qui fait la singularité de ce 1er mai 2016 est que Marine Le Pen a renoncé à cette démonstration de force, arguant de menaces proférées par l’Etat islamique, et que les Le Pen père et fille célèbrent Jeanne d’Arc chacun de leur côté : la présidente du FN déposera une gerbe au pied d’une des statues parisiennes de Jeanne d’Arc, accompagnée du bureau exécutif du parti, avant de prononcer un discours lors d’un banquet sur réservations, tandis que l’ex-président d’honneur – qui considère qu’il l’est toujours et a engagé à ce sujet une action en justice – prononcera un discours au pied de la statue de Jeanne d’Arc la plus connue, celle de la place des Pyramides. Pour ajouter à cet éparpillement, on peut ajouter que le Siel de Karim Ouchikh, parti associé au Rassemblement Bleu Marine, appelle, lui, à se rassembler devant la statue de Jeanne d’Arc de la place Saint-Augustin en un hommage qui sera suivi d’un banquet distinct. Heureusement qu’il n’y a que trois statues de Jeanne d’Arc à Paris !

Jean-Marie Le Pen a fait de "Jeanne, au secours !" son cri de ralliement. C’est la formule qu’il avait lancée l’an dernier place de l’Opéra, à l’issue du défilé de Jeanne d’Arc, lorsqu’il était monté sur le podium où Marine Le Pen s’apprêtait à prendre la parole, sans y avoir été invité. Cet appel à l’intercession de sainte Jeanne d’Arc pour sauver la France et guider le peuple de France vers son salut est aussi, plus prosaïquement, un appel au rassemblement du "camp national", expression qui, dans la terminologie usitée dans ces rangs, désigne l’ensemble de l’extrême droite. Jean-Marie Le Pen considère que le premier des devoirs d’un homme d’Etat patriote est de rassembler ce camp avant de pouvoir partir à la conquête de l’ensemble de l’électorat, ce en quoi à mon sens il se trompe car on ne réunira pas une majorité de Français en s’appuyant sur un noyau dur qui a un effet repoussoir.

D’autre part, Jean-Marie Le Pen devrait se souvenir que ce rassemblement du "camp national" a toujours été une chimère et que l’histoire du Front national est bien plus marquée par les scissions que par l’unité. Lui-même l’a éprouvé très tôt puisqu’il n’a pas fallu un an pour que le Front national, fondé en 1972, connaisse sa première scission, dès après les législatives de 1973, avec le départ des militants d’Ordre nouveau et la création de Faire Front, qui a débouché sur le Parti des forces nouvelles (PFN).

Certes, au fil de ses succès, le Front national de Jean-Marie Le Pen a agrégé un grand nombre de personnalités du "camp national" hors FN, qui ont fini par venir au FN où ils ont cohabité en raison de l’état d’esprit de Jean-Marie Le Pen, peu dogmatique et plus tolérant qu’on ne l’imagine dès lors que son leadership n’est pas remis en cause, mais ils ont presque tous fini par partir ou par être exclus, et cela avant la prise de pouvoir par Marine Le Pen.

Le véritable rendez-vous de l’extrême droite pour célébrer Jeanne d’Arc est le 8 mai. Il y aura, ce jour-là, le cortège traditionnel des royalistes de l’Action française, et il y aura, surtout, le défilé organisé par l’association catholique traditionaliste Civitas, qui vient de se constituer en parti, auquel se joignent tout un tas de personnalités et d’organisations, du Parti de la France au Renouveau français, de Pierre Sidos à Roland Hélie, et auquel Jean-Marie Le Pen a été convié, sans que l’on sache s’il viendra.

Ce qui porte chez Le Pen, aujourd’hui, ce n’est plus sa capacité de fédérateur. C’est sa parole de visionnaire. Au commencement de Le Pen était le Verbe, au crépuscule aussi.

Que reste-t-il de cette extrême-extrême droite aujourd'hui ? Dans quelle mesure est-elle orpheline depuis que le Front national n'entend plus officiellement la représenter ? Et par conséquent, pour qui votent désormais ses sympathisants ?

Je ne partage pas la formule d’"extrême-extrême droite" qui me semble avoir pour seul objet de maintenir le Front national dans l’extrême droite.

L’extrême droite a toujours existé de façon autonome par rapport au Front national dont elle s’est toujours méfiée, quand bien même telles de ses personnalités l’avaient rejoint. Les structures politiques de l’extrême droite n’ont jamais cessé d’exister. Elles ont pu être vidées de leur substance durant un temps, elles ont pu être renouvelées, mais les principaux courants ont toujours entretenu la flamme. Elle n’est pas vraiment orpheline car Jean-Marie Le Pen n’a jamais été qu’un père de substitution durant un laps de temps déterminé. Ses vrais pères sont ses grandes figures intellectuelles et ses grands ancêtres, ceux qui lui ont indiqué les combats à mener, qu’ils perpétuent.

Ce qui a évolué, c’est le discours frontiste sur l’extrême droite, exprimé par Marine Le Pen et par Florian Philippot principalement, qui, en un étonnant retournement, est devenu un discours d’exclusion à leur encontre.

En l’état de l’offre électorale, le sympathisant d’extrême droite n’a d’autre choix que de voter pour Marine Le Pen à la présidentielle ou de se réfugier dans l’abstention – ou le vote blanc. Cela dépendra de la tournure que prendra la campagne présidentielle de la présidente du Front national et des éléments de langage qu’elle glissera ou non à l’égard de ce segment de l’électorat. Elle avait su le faire, lors d’une Fête de Jeanne d’Arc justement, le 1er mai 2011, à l’égard des homosexuels, et cela a précisément amené le "camp national" à prendre un peu plus ses distances avec ce qu’il appelle le "néo-FN", affublé de qualificatifs que je vous épargnerai.

Jean-Marie Le Pen n'est pas éternel. Sa fille étant spirituellement déshéritée, quels seront les héritiers de la ligne politique originelle du FN ? Marion Maréchal-Le Pen, qui tente de maintenir les liens entre les deux bords ? L'un des membres de sa garde rapprochée (Bruno Gollnisch, Carl Lang) ? Une nouvelle figure comme le très polémique Henry de Lesquen ?

Je ne suis même pas certain qu’Henry de Lesquen soit en mesure de se fédérer lui-même, ce qui impliquerait qu’il commence par faire l’unité des deux comptes Twitter qui sont supposés exprimer sa pensée et qui sont par ailleurs tout à fait distincts des positions de la quasi-totalité des animateurs de la radio qu’il préside, Radio Courtoisie, à laquelle il ne faut pas l’assimiler.

Plus sérieusement, il ne peut pas y avoir d’héritier de la ligne politique "originelle" du Front national dans la mesure où celle-ci était inscrite dans son époque et donc marquée par l’anticommunisme. Plus on s’éloigne du Front national de Jean-Marie Le Pen – et plus le Front national de Marine Le Pen évolue –, plus on a tendance à en faire le dépositaire de la pureté d’une ligne politique, alors que celle-ci fut évolutive en bien des domaines, tant sur le plan de la politique internationale que sur le plan économique – et même de l’organisation de la société.

Si l’on prend votre question comme celle de la possibilité que l’extrême droite soit fédérée sur le plan électoral, c’est Carl Lang, ancien secrétaire général du FN qui a fondé le Parti de la France (PDF), qui me semble le mieux placé pour réussir cette synthèse. On aura une première occasion de la mesurer avec les élections législatives de 2017, où il est probable qu’il présentera un nombre de candidats suffisant pour partir en quête du financement public et lancer véritablement son parti.

Si on ne peut pas exclure des candidatures dissidentes de ces dissidents du Front national, Carl Lang est le seul à avoir une personnalité reconnue, en raison de son absolue fidélité militante, et à tenir un discours qui fait consensus dans le "camp national", en plus de disposer de la structure qui lui permettra de partir au combat électoral.

Jean-Marie Le Pen, isolé, semble sortir du grand jeu politique pour revenir à une position plus confidentielle. Considéré par tous – adversaires compris – comme un rhéteur sans pareille et comme un stratège génial, JMLP est-il le dernier monstre sacré politique, typique du début de la Ve République (après le retrait de Chirac et la mort de Séguin, Pasqua, Mitterrand) ?

Je dirais même que Jean-Marie Le Pen est le dernier monstre sacré des deux dernières Républiques, la IVe et la Ve, rôle dans lequel François Mitterrand était son dernier rival. Jean-Marie Le Pen, élu député pour la première fois en 1956, est, comme Mitterrand, un rescapé du changement de République – presque un miraculé.

Jean-Marie Le Pen, qui est profondément un homme de la IVe, avec ce que cela suppose de goût pour l’éloquence parlementaire et pour les jeux de partis, avec ce que cela implique aussi de liberté de ton, a mis beaucoup plus de temps que François Mitterrand pour rebondir mais je ne crois pas que ce soit un hasard s’il l’a fait en partie grâce à lui, grâce au coup de pouce que Mitterrand lui a donné en 1984 pour lui permettre d’accéder à L’Heure de vérité sur Antenne 2.

Relire à l’aulne de cette IVe République injustement méconnue la carrière politique de Jean-Marie Le Pen permet de mieux comprendre, et de relativiser, les libertés qu’il a prises, avec insolence, avec les convenances d’une époque qui n’est pas la sienne et le désarroi qui a dû être le sien d’avoir été banni de la vie politique alors qu’il y avait été parfaitement intégré.

Je lisais récemment, pour un travail historique, Etoile au grand large, de Guy de Larigaudie, écrit en 1939, et j’ai pensé à Jean-Marie Le Pen en lisant un passage qui rend hommage à ces hommes qui "ont pris plaisir à lire dans le texte Virgile ou Tacite" et "dont les descendants auraient quelque peine […] à comprendre à livre ouvert même César". Le côté tragique de la carrière politique de Jean-Marie Le Pen me semble figurer là.

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