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Explosion de l’espérance de vie en Afrique : le continent noir face à un gigantesque défi économique et politique
©Reuters

Trop de bébés, zéro système de retraite...

L'arrivée des traitements de lutte contre le VIH et la poursuite des campagnes de vaccination internationales ont contribué à une hausse considérable du niveau de vie en Afrique ces quinze dernières années. Un phénomène démographique qui pose au continent des défis politiques et économiques majeurs.

Atlantico : De récentes données de la Banque mondiale révèlent une hausse importante de l'espérance de vie sur le continent africain ces quinze dernières années, estimée en moyenne entre 20 et 42% selon les pays. Comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi concerne-t-il essentiellement les pays d'Afrique subsaharienne (30 sont concernés par cette hausse) ? 

Laurent ChalardPlusieurs facteurs expliquent l’impressionnante amélioration de l’espérance de vie sur le continent africain ces quinze dernières années, principalement d’ordre médical et géopolitique. Sur le plan médical, le principal facteur explicatif est l'arrivée des médicaments antirétroviraux pour le traitement de l'épidémie de SIDA, à l'origine d'une très forte augmentation de l'espérance de vie dans de nombreux pays d’Afrique australe (Malawi, Zambie, Zimbabwe), qui correspond à une récupération de la situation antérieure, l'espérance de vie ayant beaucoup baissé dans les années 1990-2000 à cause du SIDA. En effet, alors que la contamination par le virus était à l’époque synonyme de condamnation à mort relativement rapide, avec les nouveaux médicaments, les malades peuvent espérer vivre plusieurs dizaines d’années.

Le second facteur explicatif est la poursuite des campagnes internationales de vaccination et de prévention des maladies infectieuses, telles que la rougeole ou la malaria, qui font reculer leur prévalence, en particulier chez les jeunes enfants. Il convient aussi de signaler le rôle de la diffusion des médicaments à bas coûts produits par des pays, tels que l’Inde, qui a permis de répandre la médication à une large proportion de la population, tout du moins dans les zones urbaines.

Parallèlement, sur le plan géopolitique, si l’Afrique connaît encore de trop nombreux conflits (Somalie, Mali…), la fin des guerres civiles en Afrique de l’Ouest (Sierra Leone, Libéria, Côte-d’Ivoire) et en Afrique centrale (RDC, Congo-Brazzaville, Rwanda) a aussi grandement contribué à l’augmentation de l’espérance de vie dans ces pays.

Les pays concernés se situent essentiellement en Afrique subsaharienne pour la simple raison que le niveau de départ de l’espérance de vie y était très bas (entre 40 et 50 ans dans un certain nombre de pays), contrairement aux pays d’Afrique du Nord, où l’espérance de vie avait déjà atteint un niveau honorable en 2000, du fait d’un niveau de développement économique et d’hygiène beaucoup plus important, auquel venait s’ajouter le fait qu’ils n’étaient guère concernés par l’épidémie de SIDA. 

L'Afrique du Sud, considéré comme l'un des pays les plus avancés du continent, figure en bas du classement, avec une hausse de l'espérance de vie sur ces quinze dernières années de seulement 2,5%, dont le niveau est désormais similaire à celui des pays les plus pauvres du continent. Quels sont les ressorts de cette situation sud-africaine ? 

L’Afrique du Sud est un cas particulier, dans le sens où le niveau de départ de l’espérance de vie y était plus élevé que dans le reste de l’Afrique subsaharienne, limitant les perspectives de hausse, l’espérance de vie demeurant encore en 2015 légèrement supérieure à la moyenne continentale. Néanmoins, cela n’explique pas tout, le contexte national jouant un rôle non négligeable dans cette faible progression. En effet, alors que le pays était très durement touché par l’épidémie du SIDA, le président Thabo Mbeki a, pendant un certain nombre d’années dans la première décennie du XXIème siècle, nié le lien entre séropositivité et SIDA, retardant consécutivement l’arrivée des médicaments antirétroviraux en Afrique du Sud.

Parallèlement, depuis la chute du régime d’apartheid, la violence est endémique, avec un taux de criminalité parmi les plus élevés au monde, et la situation économique des classes populaires ne s’est malheureusement jamais réellement améliorée, d’où une hausse moindre qu’attendue de l’espérance de vie, compte tenu du niveau de développement du pays.

Quels sont les défis politiques et économiques que cette hausse de l'espérance de vie va poser au continent ? Celui-ci y est-il préparé ? 

Cette hausse de l’espérance de vie est à l’origine d’un relèvement des projections démographiques pour l’ensemble du continent, conduisant à l’accentuation d’une croissance de la population déjà très soutenue, qui constitue le principal défi politique et économique de l’Afrique subsaharienne. Il s’ensuit trois principales actions à mettre en place.

La première est l’instauration d’une politique drastique de limitation des naissances, s’inspirant du modèle chinois (politique de l’enfant unique) pour ramener le plus rapidement possible les taux de croissance démographique à des niveaux plus soutenables. En effet, lorsque la croissance démographique est du même ordre que la croissance économique, elle annihile les bienfaits de cette dernière.

La deuxième action doit porter sur la réponse à l’énorme besoin en nouvelles infrastructures, lié à cette population plus nombreuse, aussi bien pour assurer les besoins primaires (nourriture, logements) que secondaires (électricité, routes, autoroutes, transports en commun).

La troisième action doit concerner plus spécifiquement les personnes âgées. En effet, pour la première fois de son histoire, l’Afrique va commencer à avoir des personnes âgées en nombre, ce qui fait que le continent va devoir commencer à envisager de mettre en place des systèmes de retraite, alors que, jusqu’ici, la survie des rares personnes âgées reposait sur les solidarités familiales. Si l’Afrique subsaharienne peut voir venir, dans le sens que le processus n’exercera ses effets de manière intensive que dans plusieurs décennies, il vaut mieux s’y prendre de suite pour que cela se passe bien le jour où le pourcentage de personnes âgées explosera.

Il est difficile d’avoir un propos généraliste concernant la préparation du continent africain dans son ensemble à cette nouvelle donne, étant donné l’extrême diversité des situations économiques et géopolitiques du continent. Concernant la limitation des naissances, si certains Etats commencent à prendre les choses au sérieux, comme le Rwanda et l’Ethiopie, il reste un énorme travail d’information à faire ailleurs, en particulier en Afrique francophone, où le natalisme hexagonal n’incite pas à engager les réformes nécessaires dans le domaine. Pour les infrastructures, les pays littoraux, au développement économique plus important, s’en sortent relativement bien, mais la situation apparaît beaucoup plus compliquée à l’intérieur du continent, que ce soit au Sahel ou en Afrique Centrale. Ces pays auront probablement besoin d’une aide internationale massive pour surmonter les défis auxquels ils auront à faire face. Enfin, pour les retraites, tout est à construire !

Parallèlement à cette hausse de l'espérance de vie ces quinze dernières années en Afrique, on a pu assister à une amélioration de la situation et des conditions économiques. Les deux phénomènes sont-ils liés ? Par quels mécanismes ? 

Il existe effectivement un lien mécanique entre amélioration de l’économie et hausse de l’espérance de vie, puisque la première permet d’avoir plus de revenus, donc de mieux se soigner, mais aussi d’avoir de meilleurs conditions de vie. Cependant, pour l’instant, le niveau de développement économique du continent africain reste très limité, la hausse de l’espérance de vie apparaissant beaucoup plus liée à des facteurs exogènes, les progrès médicaux provenant de l’étranger diffusés par les grands organismes internationaux et les ONG, qu’internes au continent.

Peut-on craindre un arrêt, voire une dégradation, de cette hausse de l'espérance de vie prochainement, compte tenu de la dégradation même de l'économie sur le continent africain (cf. les déclarations et prévisions du FMI à cet égard qui prévoit pour cette année un ralentissement de la croissance en Afrique d'au moins 3%) ? Quels autres facteurs pourraient précipiter ce coup d'arrêt, voire cette dégradation de la hausse de l'espérance de vie en Afrique ? 

Comme l’évolution de l’espérance de vie en Afrique subsaharienne est, jusqu’ici, fortement liée à des facteurs exogènes, si les politiques internationales de lutte contre les maladies infectieuses se poursuivent avec le même succès, la hausse devrait se poursuivre, puisqu’il reste encore de gros progrès à faire, en particulier concernant le paludisme. La moindre croissance économique annoncée pour 2016 ne devrait donc pas avoir un grand impact si elle s’avère uniquement conjoncturelle.

Cependant, à moyen terme, la progression de l’espérance de vie pourrait marquer un coup d’arrêt une fois les maladies infectieuses résorbées, car la lutte contre les maladies non infectueuses (cancers, maladies cardio-vasculaires, maladies neurodégénératives), en l’absence de développement économique soutenu, risque d’échouer comme ce fut le cas en Union soviétique, où l’espérance de vie après avoir fait un bon considérable suite à la Seconde Guerre Mondiale avait atteint un palier au milieu des années 1960, le système de santé étant dans l’incapacité de lutter contre ces maladies demandant des traitements plus perfectionnés. Il existe aussi une inconnue, qui est l’éventuelle apparition d’une nouvelle épidémie, de type SIDA ou Ebola, qui, non contenue, pourrait avoir un impact négatif sur la mortalité dans un contexte de précarité généralisée des populations.

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