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Frédéric Salat-Baroux : " Pour la droite, le danger c'est le conservatisme."
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La France EST la solution

Dans son nouveau livre "La France EST la solution" paru, Frédéric Salat-Baroux propose plusieurs pistes pour que la France sorte de son immobilisme politique et économique afin de profiter au mieux de la révolution technologique et de l'ubérisation de l'économie.

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux, historien, haut-fonctionnaire, a été secrétaire général de la Présidence de la République de 2005 à la fin du mandat de Jacques Chirac. Il est notamment l'auteur de "De Gaulle-Pétain : le destin, la blessure, la leçon" (Robert Laffont, 2010).

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Atlantico : Selon vous, "la gauche comme la droite sont historiquement étrangères aux questions économiques", alors que ces dernières sont au cœur de votre dernier ouvrage. Comment les remettre au cœur du débat politique ?

Frédéric Salat-BarrouxA la fin du XVIIIème siècle, l'Angleterre devient le moteur de la première révolution industrielle et la diffuse dans le monde. Nous faisons la Révolution française qui, elle, étendra son message politique au monde. Tout est dit dès cet instant. La gauche française est vitrifiée dans son attachement au discours marxiste ou révolutionnaire. Malgré les efforts du trio Hollande-Vals-Macron, elle continue à préférer Jules Guesde l'orthodoxe à Jaurès le réformiste. Pour la droite, le débat est toujours politique : Monarchie ou République, puis quelle République pour la France. La question qui l'obsède, du rapport au Front national, en est l'avatar actuel. 

Mais tout change avec la révolution technologique et l'ubérisation de l'économie. La crise ne va plus frapper les personnes les plus vulnérables du monde du travail - les 10% les moins qualifiés ou les jeunes - mais menace tous les emplois même les plus qualifiés. La question de l'impact de l'intelligence artificielle et de l'économie du partage sur l'emploi est au coeur du débat aux Etats-Unis. Elle doit, elle va le devenir en France. C'est l'objet de mon livre que de contribuer à cette prise de conscience : nous sommes pris dans des bouleversements économiques sans précédents, à la fois terriblement dangereux et riches d'un potentiel extraordinaire, et nous regardons à coté en nous focalisant sur la question identitaire et la préservation du modèle de 1945.

Lisez sur notre site un extrait du livre de Frédéric Salat-Baroux, La France EST la solution : "Pourquoi la crise du système scolaire français ne se résume pas à une simple pénurie de moyens"

Vous estimez que "la droite française a un problème avec le libéralisme". La réconciliation de la droite avec le libéralisme exige-t-elle une rupture avec le conservatisme ? Quelles personnalités à droite pourraient incarner le libéralisme ?

Pour la droite, le danger c'est effectivement le conservatisme. De Gaulle a cassé ce code génétique en imposant sa vision de la primauté du progrès technologique et projeté la France dans la concurrence européenne et mondiale, tournant radicalement la page du modèle protectionniste et de l'Empire colonial qui nous étouffait. Cette démarche reste totalement d'actualité. Le libéralisme économique n'est pas une fin en soi, c'est un instrument d'efficacité. Mais il doit s'inscrire dans une vision plus large, dans un récit : dire où l'on veut conduire la France et comment notre pays va contribuer à dessiner le nouveau monde dans lequel nous sommes entrés.

Les candidats aux primaires portent aujourd'hui des mesures d'essence libérales. Pour bien les connaître, et surtout Alain Juppé qui est profondément réformateur, j'ai la conviction qu'ils feront ce qu'ils proposent. Ce qui manque encore, c'est l'affirmation d'une direction. Comment allons-nous, par exemple, utiliser le numérique pour permettre à l'école d'armer les jeunes pour ce XXIème siècle si complexe et en refaire l'instrument de l'égalité des chances ? Comment faire pour que l'économie du partage ne débouche pas sur le triomphe des "barbares" avec comme conséquence la flambée de la précarité de travailleurs non-salariés, comme les chauffeurs d'Uber, et totalement soumis à des plate-formes devenues monopolistiques ? Comment, au contraire, faire de l'économie du partage une chance de bâtir un système économique plus sobre, plus juste et tout aussi innovant ? Comment, par exemple, relancer l'Europe par de grands projets, comme la transformation des 180 millions de bâtiments en unité de production d'énergie propre et décentralisée, ou en lançant le Google européen ? 

Selon vous, il faudrait revenir sur les 35 heures, coûteuses et handicapantes pour notre compétitivité. La droite a été au pouvoir durant dix ans, sans toucher à ce dispositif. A-t-elle manqué de courage ?

Ce n'est pas une question de courage. En 2003, nous avons eu le courage de faire une réforme des retraites très difficile. Nous avons, au contraire, pensé que l'assouplissement des 35h, en déverrouillant le recours aux heures supplémentaires, permettrait de répondre au problème. Nous avons eu tort. Le temps de travail n'a pas augmenté. Je donne les chiffres : nous travaillons une semaine et demi de moins que nos concurrents allemands. Il faut en tirer les conséquences et remonter la durée légale du travail à 39 heures. Il faut le faire sans commettre, à rebours, les mêmes erreurs que les lois Aubry : le systèmatisme et l'uniformité. Je propose dans mon livre un dispositif précis associant passage aux 39 heures et négociation en entreprises du bon point d'équilibre entre durée du travail et niveau de rémunérations, avec notamment l'élargissement du recours au referendum d'entreprise.

Mais le principal message du livre est qu'il ne faut pas passer cinq ans à sortir des 35 heures, car l'on risque de se réveiller alors dans une réalité économique dominée par une nouvelle forme de travail n'ayant ni la protection du salariat, ni la liberté du travailleur indépendant, et une ligne de partage entre temps de travail et temps pour soi qui aura totalement explosé sous l'effet des nouvelles technologies de communication. Il faut aller vite sur les 35 heures pour avoir le temps d'anticiper et de mettre en place un cadre qui réponde à ces dangers.

Vous estimez qu’il est "essentiel que [les entreprises] voient leurs charges diminuer et qu’elles gagnent en mobilité et en souplesse". La politique de l'offre amorcée il y a deux ans par le PS ne va-t-elle pas déjà dans ce sens ? Comment la droite pourrait-elle se distinguer sur cette question ? 

Sur le plan idéologique, la conversion du gouvernement socialiste à la politique de l'offre est une avancée pour le pays. Le problème, ainsi que le montrent les travaux de COE-Rexecode, c'est que le CICE et le pacte de responsabilité n'ont fait qu'effacer les hausses de charges qu'ont subi les entreprises entre 2011 et 2013. C'est pourquoi je propose de faire de la baisse des impôts et des charges le premier des investissements publics. J'expose l'équilibre dans le livre : 50 milliards de baisse d'impôts sur le revenu et de CSG, ainsi que la suppression de l'ISF, et passage progressif du taux de TVA à 23% afin de financer des baisses de charges nettes sur les entreprises. Cette logique d'une politique fiscale qui fait le choix de privilégier le travail et la compétitivité a nécessairement pour contrepartie une augmentation des droits sur les successions les plus importantes. Tout ne doit pas être écrit dès la naissance.

Emmanuel Macron a lancé récemment son mouvement intitulé "En marche", qui ne se veut "ni à droite, ni à gauche". Face aux montées des extrêmes et à l'enlisement dans la crise, un rapprochement du centre-gauche et de la droite libérale a-t-elle un jour des chances d'advenir ?

J'ai toujours été pour le Front républicain et contre les gouvernements d'union nationale. Et cela pour les mêmes raisons : il faut faire des choix clairs. On est contre ou pas le Front National. On propose au pays un projet clair et tranché, pas un compromis entre des visions différentes. Je mesure bien que derrière l'idée d'union nationale, il y a la volonté de trouver une méthode nouvelle pour réformer. Dans mon livre, je propose une autre approche : présenter clairement les principales réformes à conduire lors du débat électoral, quitte à mettre en ligne les textes et les faire adopter après les législatives dans le cadre d'un referendum unique, pris sur le fondement de l'article 11 de la Constitution. Mais au-delà des mesures de rattrapage (35 heures, code du travail, retraites, périmètre de l'Etat, baisse des impôts…) qui relèveraient de cette logique et qui pourraient être adoptées sous cette forme, l'essentiel est de travailler au bon point d'équilibre entre capitalisme et économie du partage. La nouvelle frontière entre la droite et la gauche est là.

Vous prenez à la fois parti pour un renforcement du pouvoir présidentiel et de la démocratie participative. La primaire à droite pourrait-elle être un moyen d'enclencher ce double mouvement ?

Le changement majeur que nous vivons réside dans la puissance des logiques participatives. La technologie les  rend plus innovantes et performantes que les grandes structures hiérarchisées et pyramidales : le logiciel libre est plus performant que Microsoft. Les entreprises l'ont bien compris et intègrent l'Open Source dans leur processus d'innovation et de fonctionnement. Il faut faire de même pour l'action publique. Avec le recul que me donnent 20 ans d'expérience au service de l'Etat et près de 10 dans le privé, j'ai la conviction profonde que l'intégration des processus participatifs au coeur du fonctionnement de l'Etat est la clé de son efficacité retrouvée et de la réconciliation des citoyens avec la politique.

L'expérience du budget participatif dans le domaine des investissement mis en place par la Ville de Paris en témoigne. Pour cela, il est important de simplifier l'organisation de l'Etat et de nos institutions non pas dans une vision ultra libérale de moins d'Etat, mais pour libérer un espace pour la démocratie participative.  L'objet de mon livre n'est pas de s'immiscer dans la campagne des primaires mais de contribuer au débat citoyen. C'est pourquoi les propositions que j'avance seront mises en ligne afin que ceux qui le souhaitent puissent les critiquer, les amender, les améliorer, dans le cadre de cette démarche participative à laquelle je crois.

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