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La science du recrutement intelligent
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Coup de foudre

Très souvent, les entretiens professionnels se jouent dès les premiers instants. Pour éviter qu'ils ne soient biaisés par la première impression laissée par le candidat et les rendre le plus objectifs possible, Google a mis au point plusieurs solutions.

Elodie Picard

Elodie Picard

Manager Ressources Humaines- au département finance chez Michael Page

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Atlantico : Google a mis au point en 2012 un algorithme pour mieux recruter ses candidats. Comment cela fonctionne-t-il ?

Elodie Picard : Google a été classé comme la "meilleure entreprise où travailler" par le magazine Fortune en 2012 et reçoit plus de deux millions de CV chaque année. Rien d’étonnant donc que la reine des algorithmes crée un algorithme pour l’aider au recrutement. Google a développé un outil interne nommé le QDroid. Celui-ci consiste à faire passer aux candidats un ensemble de tests pour évaluer, d’une part, les capacités d’une personne à être performante sur un poste donné et, d’autre part, d’apprécier les facultés d’un candidat à apprendre et à travailler en groupe. Mais, même chez Google, l'algorithme n'aide qu'à la pré-sélection ; c'est toujours l'homme qui prend les décisions fnales.

La direction de Google cherche notamment à lutter contre la subjectivité lors des entretiens d'embauche. Elle souligne la difficulté de se défaire de l'opinion fondée sur le candidat au bout de 10 secondes. Cette première impression est-elle aussi radicale ?

Une étude dirigée par Google avait révélé que 99,4% du temps consacré à un entretien en moyenne est utilisé pour tenter de confirmer la première impression, souvent fausse, que se fait le manager. C’est aussi la raison pour laquelle l’entreprise a développé cet algorithme de recrutement.

Il est vrai que la première impression a un très gros impact lors d'un entretien. Si la première image du candidat n'est pas en ligne avec ce qui est espéré ou attendu, ce dernier ne s'en rend pas compte mais il va devoir se battre pour "rattraper son retard", captiver davantage son interlocuteur et être plus convaincant. Ce qui n'est pas évident. 

Cette première impression est évidemment complètement subjective et repose sur les filtres personnels de chaque interviewer. La présentation du candidat, sa tenue vestimentaire, sa façon de saluer, son regard, sa posture, etc... sont tout autant d'éléments qui vont influencer les 10 premières secondes. Evidemment tout au long d'un entretien, cette évaluation peut se transformer, mais l'interviewer doit faire l'effort de creuser, d'explorer et de s'intéresser profondément à son candidat afin de se fonder réellement sur le contenu de l'entretien et non plus sur cette première impression.

Quels autres éléments peuvent brouiller l'évaluation du recruteur ? 

La sélection du recruteur débute dès la réception du CV. La présentation de ce dernier, sa simplicité ou sa mise en page créative, son côté synthétique, ou au contraire son côté très détaillé, vont plaire ou déplaire au recruteur selon ses critères. D'un pays à l'autre, les formats de CV diffèrent et donc les habitudes et attentes des recruteurs diffèrent également.

Ensuite vient l'étape du 1er "screening" téléphonique. Le ton de voix, le choix des mots, l'empathie, vont à nouveau donner une impression au recruteur. Qui n'a jamais été surpris de découvrir un visage après avoir échangé à plusieurs reprises par téléphone avec un interlocuteur (collègue d'une autre ville, d'un autre pays, fournisseur, client, etc.) ? Le visage que l'on découvre n'est-il pas (presque) toujours très différent de ce à quoi l'on s'attendait ?

Tout ce qui éveille les sens influence aussi naturellement l'évaluation d'un recruteur : les aspects auditifs, visuels, tactiles et olfactifs sont des éléments, qui, sans en avoir conscience, conduisent son choix. Lors d’un entretien en face à face, la première impression est visuelle (visage du candidat, tenue vestimentaire, posture, confiance dégagée), et s'accompagne dans un laps de temps très court et quasi immédiat, d'une impression olfactive (parfum, odeur naturelle, odeur de lessive, etc) et d'une première impression tactile (main serrée forte, fébrile, moite, froide, sèche, douce, confiante, etc). Ensuite, le recruteur portera attention à son impression auditive. Le débit de paroles du candidat, le ton de sa voix, le dynamisme ressenti sont à nouveau de nombreux éléments qui vont influencer un recruteur. Le langage corporel joue un rôle essentiel avant même le contenu des propos du candidat.

Il faut comprendre que le cerveau est habitué à classer toutes les informations qu'il reçoit. Il en est de même pendant un entretien. Difficile donc de dissocier les compétences du candidat du ressenti qu'il nous procure. C’est pourquoi il faut accorder du temps à un entretien (au moins 45 min-1h) afin que toutes ces impressions puissent être confrontées au contenu et aux propos du candidat.

Google a créé en 2006 un questionnaire à 300 questions, puis a imposé en 2012 la règle des quatre entretiens obligatoires pour chaque candidat. Le cumul des questions et d'entretiens permet-il de moins se tromper ? Si oui, jusqu'à quel point?

Tout est une question de dosage. Le questionnaire à 300 questions s’est révélé inefficace et a été abandonné par Google. L’idée était de poser toutes sortes de questions décalées : sur les animaux de compagnie, les records personnels etc. , afin de connaître le candidat "sous tous ses angles". Mais on a compris qu’il fallait s’en tenir à interroger les candidats sur leurs compétences professionnelles, et ce aussi pour des raisons de subjectivité du recruteur. D’un autre côté, cumuler quatre entretiens permet d’éviter cette subjectivité. Chaque recruteur a ses propres filtres fondés sur son éducation, ses origines, sa religion, les éléments qui ont marqué sa vie, ses expériences, son tempérament, etc. Si l'on met de côté les compétences techniques du candidat, chaque recruteur va être influencé par ses critères personnels et être ainsi plus ou moins réceptifs à certains points.

L'entretien d'embauche est-il suffisant pour ne pas se tromper dans son recrutement, ou nécessite-t-il des processus de recrutement complémentaires (journée test, concours entre plusieurs personnes) ?

L'entretien d'embauche est bien évidemment un outil nécessaire. L'idéal est de l'accompagner de tests de personnalité sur lesquels il est bon d'échanger avec le candidat. Cela permet de voir si ce dernier se reconnaît ou non, d'avoir alors des exemples concrets de situation, et également de voir comment il réagit aux questions, doutes ou remarques de son recruteur.

Une journée test est aussi une excellente idée. Certains cabinets de recrutement l'utilisent même pour le recrutement de leurs propres employés (ex: Michael Page). Le candidat passe ainsi une journée ou une demi-journée au sein de l'équipe concernée. Cet exercice est à la fois bon pour le recruteur et le candidat. Le recruteur peut observer comment se comporte le candidat, son intérêt, sa curiosité, la façon dont il interagit avec les futurs membres de l'équipe ou les personnes de l'entreprise qu'il rencontre. On peut ainsi évaluer la pertinence de ses questions, sa facilité à créer des relations avec des inconnus, voire même tester le candidat sur quelques exercices pratiques qui seront ensuite son quotidien. De son côté, le candidat évalue aussi l'environnement qui l'accueille : société, collègues, avantages mis à disposition des employés, atmosphère, contenu du poste, etc.  A l'issue de cette journée, si les deux parties sont satisfaites, le risque de se tromper diminue fortement. Chacun sait ce qu’il l’attend et ce qui l’intéresse dans la collaboration prévue.

Selon le poste pour lequel on recrute, d’autres exercices intéressants peuvent être utilisés : des mises en situation, une étude de cas, une présentation devant un groupe ou une mise en pratique en groupe (avec plusieurs candidats).

Quelles sont les professions dans lesquelles il est le plus difficile de bien recruter, et pourquoi ?

Plus les profils rencontrés ont des compétences naturelles fortes, plus il est difficile de les sonder. Un profil commercial va naturellement s'adapter beaucoup plus rapidement à son interlocuteur, comprendre à quoi il est réceptif et alors se vendre de façon plus convaincante.

De même, un profil cadre ou expérimenté aura des "soft skills " probablement plus développées que la moyenne, et peut être un niveau de confiance en soi supérieur (même si ce n'est pas une règle). Il faut alors savoir se détacher de tous ces signaux positifs pour éprouver le candidat et rééquilibrer la balance de l’évaluation.

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