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L’Etat islamique est loin d’être vaincu
©Reuters

Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué

En dépit de lourdes pertes, l'Etat Islamique est encore loin d'être vaincu. En Syrie et en Irak, la situation reste très instable et d'autant plus difficile à prévoir qu'elle est créée par une multitude d'acteurs aux intérêts divers et parfois en opposition.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Depuis la fin de l’année dernière, les forces légalistes syriennes appuyées par leurs alliés russes, des milices chiites irakiennes, afghanes et du Hezbollah libanais étaient reparties à l’offensive grignotant peu à peu du terrain. Les succès les plus spectaculaires avaient été connus dans la région d’Alep (où les Forces Démocratiques Syriennes -FDS- dont la colonne vertébrale sont les Unités de protection du peuple -Yekineyên Parastina Gel, YPG- avaient apporté leur soutien "indirect"), de Damas, du mont Qalamoun et surtout de Palmyre, ville historique qui avait pu être reconquise assez aisément. L’euphorie étant à son comble à Damas, le président Bachar el-Assad allait jusqu’à affirmer qu’il ne s’arrêterait que lorsqu’il aurait repris le contrôle de l’ensemble de la Syrie. Cette déclaration n’avait pas été très appréciée par Vladimir Poutine qui avait annoncé dans la foulée (le 14 mars) le retrait des forces russes engagées même s’il sous-entendait qu’un contingent resterait en place en particulier sur le port de Tartous et sur la base aérienne de Hmeymin. Depuis, il a d’ailleurs été constaté que les effectifs russes n’ont pas vraiment baissé et que les chasseurs bombardiers ont été remplacés par des hélicoptères dont des K-52 Alligator et M-28N Havoc plus aptes à délivrer des tirs d’appuis au plus près des forces engagées au sol.

Personne ne semble s’être vraiment interrogé sur la faible combativité des troupes de Daech qui, en fin de compte, n’a opposé qu’une résistance symbolique aux différents coups de boutoirs lancés par les forces régulières syriennes, par les Kurdes et par les mouvements de l’opposition "modérée" emmenées par le Front Al-Nosra, le bras armé d’Al-Qaida en Syrie.

En fait, selon l’expression militaire, Daech s’est replié sur des "positions préparées à l’avance" évitant par là même d’accumuler les pertes au sein de ses effectifs qui ne sont pas aussi pléthoriques qu’annoncés (1). En effet, en dehors des actions relevant de la guerre asymétrique (attentats, harcèlements, etc.), la stratégie appliquée par le Groupe Etat Islamique (GEI) est celle de l’"offensive permanente". A savoir que pour ce mouvement, il est hors de question d’adopter une attitude défensive qui serait considérée comme un échec à la fois tactique et psychologique. En effet, ce mouvement salafiste-djihadiste ne peut durer que s’il est dans une dynamique de victoires. Ces dernières lui apportent soutien populaire dans les régions qu’il contrôle et afflux de volontaires. Qu’il s’arrête et il commencera à dépérir. Il est en conséquence hors de question de défendre des positions contre des forces très supérieures en nombre et, pour une fois, déterminées (2). Ainsi, lorsqu’elles ne sont pas en situation tactique favorable, les unités du GEI menacées se dispersent dans la nature puis attendent un moment plus favorable pour repartir à l’assaut. L’étirement naturel des lignes de communications de l’adversaire (étant données les distances à couvrir), lui offre de nombreuses opportunités tactiques.

La tactique du Groupe Etat Islamique

La cellule de base de Daech (GEI) serait appelée "fassil". Elle correspond à un groupe de combat motorisé fort d’une dizaine hommes qui embarquent dans deux ou trois pick-up parfois équipés d’une mitrailleuse lourde. Chaque combattant a un fusil d’assaut et peut servir une deuxième arme : fusil à lunette ou RPG anti-chars. Chaque fassil est indépendante et autonome mais, lors des phases offensives, elle peut se regrouper avec trois autres cellules du même type pour former une "saraya". Cette unité peut être comparée à une petite compagnie d’infanterie forte de 50 à 60 combattants. En plus des quatre fassil, la saraya bénéficie de groupes d’appuis armés de mitrailleuses lourdes voire de canons-mitrailleurs montés sur des véhicules ou même de missiles anti-chars. Ces derniers sont souvent récupérés sur les stocks fournis à l’opposition "modérée". Pour les opérations d’importance, plusieurs saraya peuvent constituer une katiba (bataillon) qui bénéficie d’appuis lourds : artillerie ou chars de bataille majoritairement employés en tant que canons d’assaut.

De manière à échapper aux frappes aériennes adverses, tout le dispositif reste très fluide, les fassil ne se regroupant qu’au dernier moment pour former les saraya ou, plus rarement les katiba. La spécificité des tactiques employées par Daech est l’usage massif de vehicule-borne improvised device (VBIED ou véhicule piégé) pour obtenir un effet de rupture dans le dispositif ennemi, brèche par laquelle les combattants s’engouffrent pour terminer au corps à corps en ne faisant pas de quartier. La tendance actuelle consiste à employer simultanément plusieurs VBIED sur une même cible. L’effet est dévastateur tactiquement et psychologiquement. Ces actions sont directement soutenues par des tirs d’appuis nourris délivrés par les mitrailleuses lourdes et les snippers.

Où en sont les combats en Syrie ?

Très mobile et manoeuvrant, Daech se livre actuellement à de violentes contre-attaques qui remettent en question la suprématie des forces gouvernementales et de l’opposition "modérée".

Cette dernière qui progressait vers l’est le long de la frontière turque vers Ar Raï (3) se trouve désormais en position difficile. A savoir que les forces du GEI sont parvenues à couper les unités les plus avancées à l’est de leurs arrières et ce, malgré l’appui de l’artillerie turque qui délivre des tirs depuis l’autre côté de la frontière. Daech a, en plus, récupéré de nombreux armements, particulièrement américains et russes…

Au sud d’Alep, les forces régulières se préparaient à mener une vaste opération de nettoyage sous la direction du major-général Suleil Al-Hassan, le légendaire chef des Tiger Forces qui avait dirigé la reconquête de Palmyre après avoir libéré l’est l’Alep. Elles ont été devancées par Daech qui menace une fois de plus de couper les lignes de ravitaillement Alep - province de Hama à hauteur de Khanasser. Le major-général Qassem Suleïnani, le chef de la force Al-Qods des pasdarans qui "conseille" les forces syriennes, a effectué un voyage précipité à Moscou à la mi-avril pour s’entretenir en urgence de la situation. On se rappellera que c’est après un déplacement similaire en août 2015 que les forces russes étaient intervenues directement en Syrie…

Même les unités gouvernementales qui tiennent Palmyre se retrouvent en position délicate, Daech faisant peser une menace immédiate sur la ville antique risquant de couper la garnison de ses arrières. Plus à l’est, les forces gouvernementales syriennes encerclées à Deir ez-Zor commandée par le major général druze Issam Zahreddine, une autre figure de l’armée syrienne, subissent les assauts répétés du GEI.

A Damas, Daech a presque entièrement conquis le camp de réfugiés palestinien de Yarmouk dont une partie était aux mains du Front Al-Nosra.

Enfin, la brigade des martyrs de Yarmouk qui dépend de Daech aurait doublé ses positions au sud-ouest de la Syrie dans la province de Deraa (jouxtant la partie du Golan contrôlé par Israël et la Jordanie) en en chassant les rebelles du Front Al-Nosra et d’Ahrar Al-Sham.

A n’en pas douter, Daech subit de rudes pertes mais elles sont très rapidement comblées. Le mouvement ne semble connaître aucun problème d’approvisionnements en armes et munitions… Surtout, ses activistes sont toujours beaucoup plus motivés que leurs adversaires au sol, qu’ils soient gouvernementaux, du Front Al-Nosra ou de l’opposition "modérée". De son côté, le régime syrien qui a officiellement remporté les élections législatives qu’il a organisé le 13 avril, parvient à tenir grâce aux aides extérieures évoquées en en-tête de cet article . Cependant, les Iraniens paraissent avoir du mal à "fournir". Jusque là, seuls les gardiens de la Révolution (pasdarans) étaient présents en Syrie mais ils ont dus être renforcés en mars dans la région d’Alep par des éléments de la 65è brigade aéroportée des forces spéciales (ou 65è brigade Nohed), ce qui constitue une première pour l’engagement d’unités régulières iraniennes à l’extérieur. Plusieurs de ses membres, dont un colonel, ont été tués dès les premiers jours de combat.

En résumé, Daech est loin d’être encore vaincu et il est très difficile de prévoir l’évolution de la situation militaire en Syrie (comme d’ailleurs en Irak) dans les mois à venir d’autant que de nombreux acteurs aux intérêts contradictoires s’opposent les uns aux autres. Par exemple, le 17 avril, considérant que le régime ne respectait pas les conditions du cessez-le-feu, une coalition de mouvements rebelles a décidé de repasser à l’action au nord de la région de Lattaquié. De plus, ce conflit dépasse largement les intérêts des Syriens eux-mêmes puisqu’il entre dans le cadre des luttes d’influences qui existent entre l’Iran et la Russie d’un côté, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, les Etats-Unis et l’Europe (en ordre dispersé) de l’autre. La Chine et Israël regardent et comptent les points… Seul facteur commun : Daech est contre tout le monde !

(1) Les estimations varient mais un chiffre raisonnable avance de 30 à 35 000 activistes sur le front syro-irakien soutenus par quelques 70 000 sympathisants qui n’ont pas un rôle combattant direct.

(2) Deux exceptions notables : Raqqa, la "capitale" de l’"Etat Islamique" et surtout Mossoul, son poumon économique. La défense de ces deux villes a été préparée à l’avance.

(3) Localité qui a été prise par l’opposition "modérée" au début avril avant d’être recédée à Daech.

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