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Le rôle du médecin n'est pas de donner la mort, mais d'accompagner au mieux la fin de vie
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Aujourd'hui, la mort ne présente plus ce caractère inéluctable qui, par nature, est le sien. Des médecins, assistés par un personnel soignant dévoué, luttent pour en repousser les limites, voire la vaincre. Un médecin, un chirurgien et une philosophe relatent ici leur expérience au chevet des malades et ont à coeur de méditer le rôle de la main comme prolongement du cerveau dans la relation à l'autre…. Extraits de "La vie au bout des doigts" d'Henri Joyeux, Laurence Vanin et Jacques Di Constanzo, aux éditions Desclée de Brouwer 1/2

Pr Henri Joyeux

Pr Henri Joyeux

Henri Joyeux est chirurgien cancérologue et chirurgien des hôpitaux, professeur honoraire de chirurgie digestive et de cancérologie à la faculté de médecine de Montpellier. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés à l'écologie humaine, notamment sur l'alimentation. Parmi ses dernières publications, "Vaccins, comment s'y retrouver ?","Tout savoir pour éviter Alzheimer ou Parkinson" (en collaboration avec Dominique Vialard) et le best-seller "Changez d'alimentation".

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Jacques di Costanzo

Jacques di Costanzo

Jacques di Costanzo est docteur en médecine, docteur en sciences, praticien hospitalier, spécialiste en médecine interne, en réanimation médicale et gastroentérologie. Il est également directeur de recherche en chirurgie expérimentale et médecin en chef de la Marine nationale.

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Laurence Vanin

Laurence Vanin

Laurence Vanin est philosophe, docteur en philosophie politique et épistémologie. Elle enseigne à l'université de Toulon où elle est directrice pédagogique de l'université du Temps Libre. Elle est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages et dirige plusieurs collections, notamment « Chemins de Pensée » aux éditions Ovadia.

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La mort, un problème pour le médecin ?

Pr Henri Joyeux Nous percevons toujours la mort comme un non-sens quand elle survient trop tôt. 

Je ne suis pas d’accord pour cette réduction à deux choix, acharnement thérapeutique ou euthanasie. Il peut nous arriver de nous acharner contre l’avis de la famille ou même d’un membre de l’équipe médicale trop jeune, car notre expérience et de nombreux paramètres nous donnent le droit, et je dirais même le devoir, de poursuivre les soins. L’espérance est motivée. On a des éléments qui, synthétisés dans un coin de notre tête, nous donnent des arguments pour poursuivre la lutte, les soins. On peut gagner la situation et même obtenir la guérison.

Un cas précis qui a longuement occupé mon esprit vient à ma mémoire. J’ai opéré un homme obèse d’un cancer de l'oesophage à un stade qui permettait d’espérer le guérir. Il a bien perdu quelques kilos, mais est resté vraiment obèse. Il est donc immunologiquement affaibli et, même s’il a un peu maigri, on ne peut attendre plus longtemps sans risquer de voir évoluer la maladie vers un stade plus avancé où nous ne pourrons plus le guérir.

Huit heures d’intervention viennent à bout de cette tumeur. Je remplace l’oesophage – en partie enlevé avec la tumeur – par l’estomac tubulisé, ce qui impose deux temps, un premier abdominal et un deuxième thoracique. Le patient se réveille parfaitement. Le lendemain, nous lui expliquons ainsi qu’à sa famille que tout s’est passé au mieux et que, s’il supporte la période délicate des suites opératoires, il pourra guérir.

Vu et revu en salle de surveillance continue, tout se passe bien jusqu’au cinquième jour après l’opération où apparaissent des troubles respiratoires et une forte fièvre. Agité, le patient arrache un des drains chargés d’assainir une éventuelle fistule digestive. Le scanner pratiqué en urgence démontre une infection probable autour de la suture digestive. Un nouveau drain est mis en place en passant par l’orifice de celui parti dans l’agitation. Je décide de muter le patient nettement affaibli et aggravé en service de réanimation intensive. Il est mis sous respiration artificielle.

Le service d’accueil fait la grimace en l’accueillant et j’explique à mes collègues réanimateurs son état et l’acte chirurgical qui peut l’avoir guéri. Je promets que je passerai matin et soir le voir et dis à l’équipe qu’ils peuvent m’appeler sur mon portable jour et nuit.

C’est ce que je fis, matin et soir, sauf une journée, vers le dixième jour de réanimation car j’étais en conférence loin de Montpellier mais dans la région. Ce jour-là, je suis justement appelé en urgence car, me dit le réanimateur, l’état du patient s’est aggravé. Un jeune collègue d’une autre équipe chirurgicale pense qu’il faut le réopérer. Je réponds que je passerai voir le patient dès mon retour… J’y suis donc vers 1 heure du matin et on m’explique la situation. Je l’apprécie avec tous les paramètres biologiques et j’en conclus que les risques sont trop grands si on le réopère, il pourrait mourir pendant l’opération. Je refuse donc l’acte chirurgical et explique à l’équipe que je joindrai mon collègue le lendemain matin.

Mon collègue reste sur sa position, je reste sur la mienne. Étant le chirurgien référent, j’emporte la décision. Je continue à voir le patient deux fois par jour et à soutenir l’équipe des réanimateurs pendant plus de deux mois. Cinq ans plus tard, le patient est en vie, guéri. Nous avons pu sabler le champagne ensemble, avec son épouse et sa fille.

Voilà donc un exemple concret où l’expérience l’a emporté et où l’acharnement a permis de gagner. Quel était le pourcentage de chances de guérison au moment le plus dur ? À mon avis, pas plus de 10 %, mais ce dont je suis certain, c’est qu’une nouvelle intervention l’aurait envoyé dans l’au-delà.

Voici un autre cas, fort différent, chez un nouveau-né.

L’un de mes assistants étrangers était parti avec son épouse sur la Côte d’Azur où elle accoucha prématurément. L’enfant né vers le sixième mois de la grossesse fut mis sous respirateur et sauvé. Mais quinze jours après, les pédiatres se rendirent compte qu’il avait une grave anomalie qui ne lui permettrait pas de vivre très longtemps. Réanimé et sevré de la machine, il vivait et il n’était plus possible d’arrêter la vie de cet enfant gravement handicapé. Voilà un acharnement thérapeutique stupide lié à une grave et impardonnable erreur de diagnostic. En effet, si le diagnostic avait été correctement établi dès la naissance, cet enfant n’aurait pas été réanimé et se serait éteint tranquillement naturellement.

Évidemment, depuis ma spécialisation en cancérologie en 1972, je n’ai cessé d’accompagner des malades en fin de vie. C’est toujours difficile, car tous les malades sont différents et il n’y a pas de recette à l’accompagnement de fin de vie.

Une malade que je suivais régulièrement et qui était dans un centre de soins palliatifs à la périphérie de Montpellier a demandé à son médecin l’euthanasie. Celui-ci m’a appelé un dimanche soir pour me demander conseil. Ne pouvant me libérer avant, je suis allé la voir le mercredi soir. Son fils était présent. Elle était parfaitement consciente, rendue aveugle par la maladie et impotente. Après l’avoir saluée – elle avait l’air contente de me voir –, je me suis assis auprès d’elle, j’ai saisi ses mains et ses bras pour les caresser doucement, avec son fils je l’ai aidée à mieux s’asseoir dans son lit, j’ai essuyé son front et nous avons bavardé :

« Alors, lui dis-je, vous voulez qu’on arrête tout ? (Je n’aime pas le mot euthanasie car il signifie tuer délibérément un être humain.)

– Eh oui, je n’en peux plus, je suis prête, mon fils est là, il sait tout.

– Je vous comprends très bien. Est-ce que vous souffrez, avez-vous des douleurs…

– Non, je ne souffre pas, mais c’est la fin.

– Oui, vous le savez, je ne vous ai jamais menti, c’est formidable que votre fils soit là. Oui, la fin approche et vous êtes prête. Mais vous le savez bien, un médecin, le médecin que je suis, le personnel de soins n’est pas fait pour donner la mort. Nous sommes là pour vous aider, calmer la douleur, vous apaiser, vous aider à dormir. Il n’est pas question de prolonger votre vie en nous acharnant pour gagner quelques heures ou quelques jours. »

Je l’ai aidée à boire à la pipette en lui tenant le verre.

Avec elle et son fils, nous avons bavardé, nous avons eu une merveilleuse conversation, sur la vie, sur la mort qui est toujours difficile à accepter. À aucun moment, elle ne m’a demandé l’euthanasie. Je suis resté plus d’une heure auprès d’elle. Je lui ai dit que le départ était proche. Je n’ai parlé ni de mort ni de décès. Nous nous sommes dits adieu, et elle savait parfaitement ce que cela voulait dire. Je l’ai embrassée sur le front, essuyé une dernière fois. J’ai salué son fils et j’ai rejoint ma voiture en priant pour elle avec émotion. J’ai appelé son médecin pour le tenir au courant et l’ai rassuré sur sa fin naturelle très proche, sans brutalité. Elle est partie trois jours plus tard paisiblement.

On pourra me dire que ces trois jours de vie supplémentaires ont eu un coût pour la société, qu’elle a souffert trois jours de plus, que je n’ai pas été compatissant… J’entends ces reproches, je les accepte et les assume humblement. Je maintiens que le rôle du médecin n’est pas de donner la mort, d’arrêter la vie brutalement. Je sais pourtant que, dans certains pays, l’euthanasie est légalisée, en Belgique ou en Suisse, par exemple, où l’on parle de suicide assisté.

Extraits de "La vie au bout des doigts" d'Henri Joyeux, Laurence Vanin et Jacques Di Constanzo, publié aux éditions Desclée de Brouwer, avril 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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